La Guadeloupe

 

 

Peuplements amérindiens

À l'instar d'autres îles des Petites Antilles, la Guadeloupe est probablement occupée par des groupes amérindiens précéramiques à partir de 3000 avant J.-C. comme semble l'indiquer la découverte récente de traces de culture sur brûlis sur l’île de Marie-Galante. Cette période est dénommée Mésoindien ou Age Archaïque dans la nomenclature archéologique américaine. Vers le début du premier millénaire, des groupes amérindiens agro-céramistes migrent depuis le nord du Venezuela dans tout l'arc antillais. Cette période, le Néoindien ancien ou Âge Céramique ancien comprend deux cultures bien identifiables par le style de leur production céramique : Huecan- et Cedrosan Saladoïde (anciennement dénommés Arawaks par les archéologues).

Vers le IXe siècle, ils laissent la place à la culture troumassoïde qui inaugure la période du Néoindien récent. Ces groupes ne proviennent pas d'une migration mais d'une transformation sur place des groupes antérieurs, profonde mutation encore mal expliquée mais où le climat, la démographie et des modifications sociétales pourraient avoir joué un rôle. La céramique troumassoïde est dérivée de la céramique cedrosan saladoïde, avec une extrême simplification du registre décoratif qui disparaît presque totalement. C'est sans doute tardivement, peut-être autour du XVe siècle, qu'une nouvelle population migre dans l'arc antillais depuis le Plateau des Guyanes. Ces peuples, les Kalinagos ou Caraïbes insulaires décrits par les Espagnols à leur arrivée dans les Petites Antilles, pourraient correspondre aux cultures dénommées Suazoïde et Cayo par les archéologues. Cette période tardive est marquée par l'évidence de contacts avec les Taïnos des Grandes Antilles.

 

Découverte par les espagnols

L'histoire moderne de la Guadeloupe commence en novembre 1493, lorsque Christophe Colomb aperçoit, lors de son deuxième voyage, La Désirade puis Marie-Galante et arrive sur l'île de la Basse-Terre le 4 novembre où il débarque. Il note l'importance de la présence de l'eau, notamment en voyant les chutes du Carbet. Il nomme l'île Santa Maria de Guadalupe de Estremadura en hommage au monastère espagnol où Christophe Colomb fit un pèlerinage après son premier voyage au Nouveau Monde en 1492 et vint remercier pour cette découverte. Dès 1502, l'archipel de la Guadeloupe est précisément indiquée dans toutes ses composantes (les cinq îles) sur le planisphère de Cantino indiquant l'importance et la connaissance du lieu par les premiers navigateurs européens. La Guadeloupe est alors peuplée par les Caraïbes, peuple amérindien présent sur l'île depuis le VIIIe siècle.

L'archipel de la Guadeloupe fut une colonie Espagnole pendant environ 130 ans, jusqu'en 1635. Les Espagnols, avant 1635, ne furent jamais très nombreux : tout au plus, une centaine de colons, et la colonie ne fut jamais assez défendue avec ardeur. À l'arrivée des Français, en 1635, la résistance Espagnole fut quasi-inexistante, et au bout de moins d'une semaine, la colonie fut conquise.

En 1641, se termine la guerre entre colons et Caraïbes. Ces derniers, déjà diminués par les maladies et les massacres depuis les premiers colons espagnols, sont envoyés sur l'île de la Dominique.

 

Première colonisation française, développement de la traite des Noirs et esclavage

À partir de 1635, Charles Liènard de l'Olive et Jean du Plessis d'Ossonville prennent possession de la Guadeloupe au nom de la Compagnie des îles d'Amérique, créée le 12 février 1635 par le cardinal de Richelieu afin d'élargir le champ d'intervention de la Compagnie de Saint-Christophe, dans le but d'y développer notamment la culture du tabac pour l'exporter vers la France. C'est le début de la colonisation de l'archipel.

Ces débuts sont difficiles. Une famine décime en 1635 une partie des colons, les rapports entre les Amérindiens Caraïbes, qui leur fournissaient des vivres, et les Français se tendent rapidement, dès lors que ces derniers étendent leurs terres au détriment des populations indigènes, se transformant en guerres ouvertes. En 1641, se termine la guerre entre colons et Caraïbes. Ces derniers, déjà diminués par les maladies et les massacres, sont envoyés sur l'île de la Dominique.

La dépréciation du tabac est sensible dès le début de la colonisation : quatre compagnies commerciales font faillite en tentant de coloniser les îles guadeloupéennes, en raison de la chute des cours et du coût des guerres contre les Caraïbes. La population augmente cependant rapidement et l'esclavage se développe.1

Le Père Labat décrit dans ses ouvrages la société esclavagiste. Les pratiques religieuses européennes, couplées à de longues pratiques militaires, étaient jugées plus ritualisées et ordonnancées que celle des amérindiens. Des engagés de 36 mois sont utilisés pour la fortification de l'île. Une fois affranchis, ils obtiennent des lopins de terre. Les plus riches planteurs de café, de canne à sucre et de coton recherchent alors une nouvelle main d'œuvre meilleur marché, en s'inspirant du succès des planteurs de sucre de la Barbade.

Dès 1641, les colons signent avec les indiens caraïbes un traité pour les expédier sur l'île de la Dominique, ouvrant la voie aux défrichements. En 1656, lorsque des Hollandais arrivent du Brésil et s'installent dans la baie des flammands, les esclaves étaient déjà 3 000 en Guadeloupe, mais minoritaires face aux 12 000 blancs.

En 1671, l'île est encore habitée par de nombreux petits colons blancs qui cultivent du tabac, sur des plantations nécessitant peu de capitaux, dans le cadre de la Compagnie des Indes occidentales. Mais son monopole est aboli en 1671: la traite négrière est ouverte à tous les ports français, dans le but que cette concurrence la rende plus efficace. C'est l'époque où Louis XIV rencontre la veuve Scarron, Marquise de Maintenon, grandie en Martinique, et prête l'oreille à son ministre de la Défense : Louvois dirige la guerre contre les Pays-Bas (1672-1678), jusqu'alors détenteurs de l'asiento, le monopole d'importations des esclaves vers le Nouveau-Monde, organisé par le Traité de Tordesillas, qui interdit aux espagnols de s'aventurer en Afrique, zone réservée par la papauté aux Portugais.

L'augmentation rapide de la population d'esclaves correspond aussi à la création en 1673 par Louis XIV de la Compagnie du Sénégal, ancêtre de la Compagnie de Guinée, dans le sillage de la Compagnie Royale d'Afrique, fondée en 1672 par le duc d'York Jacques Stuart, cousin et allié de Louis XIV, qui deviendra roi d'Angleterre en 1685.

L'investissement rapide et massif des Français et des Anglais dans le commerce triangulaire fait flamber le prix des esclaves sur les côtes d'Afrique, alimentant de nouvelles filières et la construction d'une multitude de forts, mais abaisse le coût de leur transport, au profit des planteurs de sucre. Ceux-ci rachètent alors des terres en Guadeloupe et en Martinique. Le nombre de petits planteurs blancs diminue d'autant plus rapidement que la création de la ferme du tabac en 1674 par Louis XIV entraîne la ruine rapide du tabac français. Moins taxé, moins cher, le tabac produit en Virginie par les grands planteurs jacobite installés par Jacques II profite de la contrebande et prend son essor.

Dès 1674, la Compagnie des Indes occidentales est en faillite, puis dissoute. La Guadeloupe et la Martinique passent sous l'autorité directe du roi de France Louis XIV, qui pousse la culture de la canne à sucre, plus gourmande en capitaux mais beaucoup plus rentable, en donnant des terres à des officiers supérieurs pour les encourager à y importer toujours plus d'esclaves. Le sucre est une culture violente, qui nécessite de grandes propriétés et consomme des esclaves jeunes, rapidement épuisés au travail de coupe et de transport des cannes, qu'il faut régulièrement remplacer par de nouvelles recrues.

La population d'esclaves avait reculé en Guadeloupe entre 1664 et 1671 (passant de 6 323 à 4 627 personnes), faute de livraisons suffisantes par une Compagnie des Indes occidentales jugée trop dispersée, car elle s'investit aussi au Canada. Mais après sa dissolution en 1674, le nombre d'esclaves en Guadeloupe remonte rapidement pour atteindre 6 076 personnes dès 1700. L'essor de l'esclavage, au même moment, est encore plus rapide à la Martinique, où la population noire double entre 1673 et 1680. La traite négrière réserve à la Martinique les esclaves les plus résistants, car Louis XIV y a installé plus de nobles de rang élevé et d'anciens officiers, comme le chevalier Charles François d'Angennes.

Cette différence entre les deux îles explique aussi qu'un siècle plus tard, en 1794, Victor Hugues ait pu se rendre maître de la Guadeloupe pour le compte de la Révolution française alors que la Martinique est restée sous la domination des grands planteurs de sucre alliés aux anglais dans le cadre du Traité de Whitehall.

Le choix des noirs comme esclaves est lié à des critères géographiques, comme le climat, mais surtout théologiques, avec l’accord de la papauté. Pour perdurer, l'ère de prospérité des colons nécessitait l'institutionnalisation de l'esclavage (codification). La très rentable culture du sucre, que se disputent anglais et français, rapportait beaucoup d'impôts aux Métropoles, générant des travaux de fortification, menés par Louis XIV, Vauban et relayées par les anglais.
Une société opulente, très hiérarchisée, s'organise, tirant ses principes de fonctionnement des ordres à la fois militaires et religieux.
Les esclaves noirs, d'origines diverses, subirent eux des problèmes de langues et de coutumes ancestrales qui aboutirent à la création de la langue créole et de la culture du même nom.2

 

Conflits franco-britanniques et abolition temporaire de l’esclavage

Après des tentatives infructueuses en 1666, 1691 et 1703, les Britanniques s'emparent une première fois de la Guadeloupe en 1759. Ils ne la conserveront que jusqu'en 1763 (traité de Paris).

À partir de 1775, la Guadeloupe n'est plus rattachée à la Martinique mais reste sous l'autorité du gouverneur des îles du Vent.

En avril 1794, profitant des troubles provoqués par la Révolution française, les Britanniques reprennent brièvement possession de l'île, après la défaite le 20 avril de Basse-Terre et la capitulation du général et gouverneur depuis 1792, Georges Henri Victor Collot.

Victor Hugues, nommé Commissaire national en Guadeloupe, les en chasse dès le mois de mai 1794, aidé par les esclaves, auxquels il avait promis la liberté. Ce dernier annonce, le 7 juin 1794, l'abolition de l'esclavage (adopté par la Convention nationale au mois de février par la loi du 16 pluviôse an II). Victor Hugues, dit « Le Terrible », met en place les lois de la Convention et par conséquent le tribunal révolutionnaire. Les planteurs (dont certains soutenaient l'Angleterre) ne se soumettant pas au nouveau régime, sont traduits devant ce tribunal. La répression du commissaire de la Convention sera étendue aux « anciens » esclaves qui se révoltèrent pour ne pas avoir été payés. En 1798, le Directoire le rappelle en France.

Il est remplacé par le général Desfourneaux, mais malgré sa volonté de réforme de la gestion locale, ce dernier est également remis en cause par la population et par une partie de l'armée.

En 1802, le premier Consul Bonaparte nomme Lacrosse gouverneur. Ce dernier tente de renvoyer de l'armée les officiers noirs, qui y avaient été intégrés après l'abolition de l'esclavage. Une révolte de ces officiers monte. Le propre aide de camp de Lacrosse, Louis Delgrès, métis, deviendra un des chefs de cette rébellion avec Joseph Ignace.

Bonaparte dépêche alors une expédition de 4 000 hommes dirigés par le général Richepance pour mater la rébellion. Après une défense héroïque, beaucoup de révoltés préfèrent se suicider plutôt que de se rendre. « Vivre libre ou mourir » dernières paroles de Louis Delgres. La loi du 16 pluviôse an II qui avait aboli l'esclavage est annulée le 16 juillet 1802 par Bonaparte.

En 1808, les Anglais mènent une nouvelle campagne d'invasion des Antilles, prenant Marie-Galante et la Désirade, puis en 1809, les Saintes. Entre le 28 janvier et le 6 février 1810, les troupes britanniques fortes de 6700 hommes et dirigées par George Beckwith, et soutenues par la Royal Navy commandée par l'amiral Cochrane, envahissent l'île en débarquant sur les plages du Gosier, de Sainte-Marie et de Capesterre. Les Britanniques se dirigent alors vers Basse-Terre où les troupes françaises peu nombreuses (entre 3000 et 4000 soldats), mal équipées et commandées par le gouverneur Ernouf sont rapidement prises en tenaille après un nouveau débarquement à Vieux-habitants, et sont obligées de capituler le 5 février 1810. L'aigle du 66e régiment impérial est un trophée rapporté à Londres, en même temps que de nombreuses troupes prisonnières.

La Grande-Bretagne intègre la Guadeloupe dans ses possessions coloniales antillaises tandis que la guerre s'intensifie en Europe (Guerre d'indépendance espagnole, Sixième Coalition) et en Amérique du Nord (Guerre contre les États-Unis, de juin 1812 à février 1815). Afin d'assurer l'intégration de la Suède dans la sixième coalition, les Britanniques signent un traité avec Bernadotte, nouveau prince héritier de Suède, le 3 mars 1813 : la Guadeloupe est cédée à ce prince, pour lui et ses descendants, en dédommagement de l'effort de guerre que la Suède doit fournir pour abattre Napoléon et pour dédommager Bernadotte d'avoir abandonné ses titres dans l'Empire français. En réaction, l'Empire français fait promulguer le 14 octobre 1813 un Sénatus-consulte « concernant l'île française de la Guadeloupe » : « il ne sera conclu aucun traité de paix entre l'Empire français et la Suède, qu'au préalable la Suède n'ait renoncé à la possession de l'île française de la Guadeloupe ».

L'écroulement rapide de l'empire napoléonien, quelques mois plus tard (avril 1814), et le traité de paix de Paris ne laissent pas le temps aux Suédois de remplacer les Britanniques sur l'île : l'article 9 du traité confirme que la Suède laisse la Guadeloupe à la France. L'épisode des Cent-jours replace la Guadeloupe sous occupation anglaise, et le deuxième traité de Paris de novembre 1815, redonne la souveraineté française sur la Guadeloupe. Pour l'anecdote, la Grande-Bretagne dédommagea la Suède de ces retournements de situation avec une somme de 24 millions de francs au profit du trésor suédois, destinée à verser une rente à perpétuité aux monarques suédois (Guadeloupefonden, en langue suédoise), rente qui fut close en 1983, après accord entre le roi de Suède et le parlement suédois.

 

Institutionnalisation républicaine dans l’empire colonial

Entre 1816 et 1825 une série de lois propres à l'île sont promulguées. Les institutions municipales voient le jour en 1837.

En 1848, sous la Deuxième République, l'esclavage est finalement aboli définitivement.

Le 24 décembre 1854, à bord de l'Aurélie, les premiers indiens arrivent en Guadeloupe. Ils viennent de la Côte de Coromandel, Pondichéry, de Madras, de la côte de Malabar ou de Calcutta. En 1925, Raymond Poincaré décide d'octroyer définitivement la nationalité française aux ressortissants indiens ainsi que le droit de vote.

Le 16 mars 1878, Saint-Barthélemy est cédée de nouveau par le Royaume de Suède à la France qui l’incorpore dans l’Empire français au sein de la Guadeloupe.

En tant que citoyens français, de nombreux Guadeloupéens sont mobilisés comme soldats lors des deux guerres mondiales. De septembre 1939 à la fin juin 1943, l'amiral Robert est commandant en chef de l’Atlantique Ouest et haut commissaire de France aux Antilles, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Guyane. Bien qu'il refuse la résolution votée le 24 juin 1940 par le Conseil général de la Guadeloupe proclamant sa volonté de poursuivre le combat aux côtés des Alliés avec l'Empire français d'outre-mer et qu'il se place sous l'autorité du gouvernement de Vichy, il négocie en août 1940 avec les représentants du gouvernement des États-Unis des facilités d'achat de denrées alimentaires et de matériel dans ce pays et n'obéit pas, en 1943, aux injonctions de Pierre Laval de saborder les navires et avions de guerre français stationnés aux Antilles et de détruire le stock d'or de la Banque de France transféré à Fort-de-France depuis juin 1940. Cependant, Constant Sorin, le gouverneur de la Guadeloupe de 1940 à 1943, applique les décisions de Vichy en supprimant le conseil général en octobre 1940 et en nommant les conseils municipaux. Si bien des Békés, fonctionnaires, commerçants ou employés adhèrent la Révolution nationale, des Guadeloupéens participent aussi à la Résistance extérieure en rejoignant les Forces françaises libres : c'est ce que les Antillais appellent entrer en « dissidence ». En juillet 1943, l'amiral Robert quitte ses fonctions et la Guadeloupe est placée sous l'autorité du Comité français de Libération nationale.

 

Départementalisation et régionalisation

Le 19 mars 1946, les anciennes colonies de l’Empire français font place à l’Union française, mais celle des Antilles françaises se rapprochent du statut de la métropole et deviennent des départements d’outre-mer : la Guadeloupe et la Martinique (le département de la Guadeloupe intégrera aussi Saint-Barthélemy et Saint-Martin dans un arrondissement spécial).

Avec l'arrivée des Socialistes au pouvoir en France, la loi de décentralisation est votée en 1982 et la région de la Guadeloupe est créée, s'intégrant aux 22 régions de France métropolitaine. Dans la foulée, le Conseil régional de la Guadeloupe voit le jour en 1983.

 

Conflits sociaux

Le 14 février 1952, dans la commune du Moule, une grève est organisée par les ouvriers de l'usine Gardel pour une hausse de leurs salaires. Des barrages sont érigés par les grévistes. Finalement, les militaires français sur place reçoivent l'ordre de tirer sur la foule et le bilan est de 4 morts et 14 blessés. Selon certains témoignages, certaines victimes n'avaient pas de lien direct avec la grève. Localement ces événements sont appelés le Massacre de la Saint-Valentin.

De nouvelles émeutes ont lieu les 25, 26 et 27 mai 1967 lors des manifestions ouvrières en vue d'obtenir une augmentation salariale de 2,5 %. Ces manifestations donnent lieu à des affrontements avec les CRS, et entraînent la mort de 5 à 87 personnes, selon les sources, dont Jacques Nestor, un célèbre militant du GONG et plusieurs blessés. Les personnes arrêtées seront relâchées par la cour.

 

Évolution statutaire de la Guadeloupe

Le 1er décembre 1999, la « Déclaration de Basse-Terre » est signée. Les présidents de Région des DFA proposent au président de la République et au Gouvernement une modification législative voire constitutionnelle, visant à créer un statut nouveau de Région d'Outre-mer doté d'un régime fiscal et social spécial pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, dans le cadre de la République française d'une part, et de l'Union européenne d'autre part (article 299-2 du Traité d'Amsterdam).

Le 7 décembre 2003, les électeurs de Guadeloupe ont rejeté à 73 %, le projet de création d'une collectivité unique se substituant au département et à la région qui coexistent sur le même territoire. Le même jour, les électeurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont voté en faveur de l'autonomie de leurs communes, devenues par la loi organique du 21 février 2007 deux Collectivités d'outre-mer (COM) distinctes des autres dépendances et de la Guadeloupe.

 

 

Grève générale de 2009

Le 20 janvier 2009, débutent les grèves générales du L.K.P Liyannaj Kont Pwofitasyon (Union contre les profiteurs) qui dureront jusqu'au 4 mars. Ce collectif rassemble 48 organisations syndicales, associatives et politiques. C'est la première fois que l'on assiste à une telle union de la société civile qui élabore une plateforme de revendications balayant l'ensemble des problèmes de l'ile. Jusqu'à 100 000 personnes, soit 1/4 de la population, défilent dans les rues. Du jamais vu. Le LKP se livre alors à une mise en accusation publique de l'État français en décortiquant brillamment les mécanismes d'un système inégalitaire. Ces 44 jours de paralysie affaiblissent l'économie de la Guadeloupe et révèlent un profond malaise social sur fond de crise économique.

En avril 2009, pour trouver des réponses à la crise sociale en outre-mer, Nicolas Sarkozy ouvre les États généraux ; de nombreux ateliers dont l'atelier gouvernance propose un projet d'évolution statutaire à caractère autonome (art. 74 de la constitution) et un projet d'évolution institutionnel (simplification administrative) relevant de l'assimilation législative (art.73 de la constitution) soumis à consultation référendaire, à l'instar de la Martinique et la Guyane. Les populations de ces dernières se sont prononcées en deux référendums en janvier 2010, rejetant l'autonomie en faveur la simplification administrative (fusion des assemblées départementale et régionale).

À la demande du président de région, Victorin Lurel, la Guadeloupe décide un report de dix-huit mois des consultations populaires, vu la proximité des scrutins régionaux et la pluralité des évolutions statutaires sollicitées par elle-même et par ses dernières dépendances. Ce délai supplémentaire accordé par le chef de l'État, devait permettre la finalisation du projet guadeloupéen et celui ou ceux des îles du sud. Mais en définitive, la Guadeloupe et ses dépendances s'inscriront dans la réforme nationale des collectivités territoriales. Les collectivités et l'État, qui avaient toutes les cartes en main, se contentent de sauver les apparences et n'ont pas su mettre en place le grand changement promis, devant un LKP réduit au simple rôle d'observateur.3

 

 

Rapports de race et de classe dans la société guadeloupéenne

Le 28 janvier 2009, lors des négociations entre le collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon, les élus, les représentants des socio professionnels et l’encadrement de l’État, le préfet quitte les négociations. L’ambiance est lourde. Monsieur Willy Angele, président du MEDEF Guadeloupe, affirme qu’il est prêt à travailler sur un projet de territoire s’il le faut. Il exprime, à travers son expérience de Mai 1967, son aversion pour les débordements violents et ne veut pas voir son pays se déchirer comme le firent les Tutsis et les Hutus.

Extrait de la déclaration de Elie Domota au LKP :

Je tiens à réagir au propos concernant les Hutus et Tutsis. Je salue Monsieur Arconte, directeur du Travail qui est resté dans cette réunion et dont je ne sais pas s’il est Hutu ou Tutsi. Et je tiens tout simplement à affirmer, Monsieur Angel (patron du MEDEF Guadeloupe), que nous ne pouvons nier que vous, Madame Koury (présidente de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Pointe à Pitre) et Monsieur Payen (membre du Comité Economique et Social) soyez des Guadeloupéens, ce n’est pas notre propos.

Ce que nous affirmons, c’est que la société guadeloupéenne s’est construite sur des rapports de race et de classe depuis 400 ans. Aujourd’hui, dans la pyramide, le pouvoir correspond à une couleur, on vient de le constater (les représentants de l’État ont quitté les négociations). En Guadeloupe actuellement, au sommet de la pyramide, on retrouve les Blancs et les Européens, au bas de l’échelle se situent les Nègres et les Indiens, c’est un constat. On nous parle de paix sociale ! La paix sociale ne peut exister dans un pays quand la majorité de ses enfants est exclue du travail, est exclue du savoir, est exclue des responsabilités (…)

Aujourd’hui, en analysant les 50 plus grandes entreprises en Guadeloupe, leurs cadres ne sont pas des Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne, c’est la vérité ! En observant les administrations, les services de l’État, les chefs de services et les cadres ne sont pas majoritairement des Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne ! Dire le contraire, c’est mentir, (…) !
Quels sont les services que les Guadeloupéens d’origine africaine et indienne gèrent en Guadeloupe ? Ce sont les services qui relèvent de la gestion de la misère. La CMU (la Couverture Maladie Universelle), monsieur Yacou, le RMI (le Revenu Minimum d’Insertion) monsieur Lubeth, le pôle emploi ANPE-ASSEDIC monsieur Dumurier, la CAF et l’API (l’Allocation Parent Isolé) monsieur Saint-Clément. Les Guadeloupéens d’origine africaine et indienne gèrent la misère des Guadeloupéens ! Dans tous les autres services de l’État qui exercent un pouvoir, tant dans leur direction que dans leur staff d’encadrement, on ne trouve pas de Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne !

Bien évidemment, on nous parle de formation, c’est faux archi faux !
Nous connaissons des diplômés « à la tonne », mais ils ne travaillent pas en Guadeloupe. Dernièrement, j’ai reçu une jeune femme diplômée en ressources humaines qui postulait sur un poste à Air France ; on lui a proposé un poste d’hôtesse de l’air. Et sur ce poste a été recrutée une personne venant de France avec moins de diplômes qu’elle ! Nous l’interprétons ainsi, c’est une question de couleur de peau, c’est la réalité telle que nous la percevons.

En France, 6 % des offres marchandes dans le secteur privé sont gérées par l’intérim et les cabinets de consultants. En Guadeloupe 50 % de ces offres sont gérées par ce secteur ! Et qui dirigent ces cabinets d’intérim et de consultants ? Qui y travaillent ? Ce ne sont pas majoritairement des guadeloupéens d’origine africaine et indienne.
Aujourd’hui en Guadeloupe, on embauche du personnel sous le sigle BBR ! Un bleu blanc rouge ! J’ai travaillé en France, il m’a été demandé d’embaucher un BBR, un « 01 codification informatique », 01 signifiant « nationalité française » ! Ou un « vrai 01 » signifiant un Français blanc ! Voilà ce qui se passe sur la discrimination raciale à l’embauche.
Cela explique pourquoi de jeunes diplômés guadeloupéens et martiniquais ont déjà mis en ligne plusieurs blogs dont http://antildiscrim.skyrock.com/ où ils expriment ce qui leur arrive, la victimisation dans le système !

C’est la vérité, la Guadeloupe a été construite sur des rapports de classe et de race qui perdurent depuis 400 ans.
Le système de la plantation a été maintenu, prenons des exemples, Monsieur Angele. Prenons des entreprises comme Carrefour, Monsieur Bricolage, est ce que la photographie de leur encadrement correspond à la réalité ethnique de la Guadeloupe, à la réalité sociale ? NON et NON ! C’est une évidence !

Face à cette situation, nous affirmons, pour répondre à votre remarque sur les Tutsis et Hutus, que nous ne sommes pas du tout dans ce schéma. Nous ne contestons pas que vous soyez un Guadeloupéen tout comme monsieur Payen, sinon on se mettra à contester le caractère guadeloupéen de n’importe qui ! Nous l’affirmons de nouveau, la paix sociale ne peut exister dans un pays quand la majorité d’un peuple est exclue !
Et aujourd’hui en Guadeloupe, 99,99 % des chômeurs sont des Guadeloupéens d’origine africaine et indienne.

Prenons encore des exemples. À Jarry, il y a des commerces qui ont ouvert récemment comme Décathlon, Kiabi ou Casino. Je travaille à l’ANPE, qui était chargée de réaliser le recrutement de Décathlon. Nous avons travaillé à la sélection, aux offres d’emploi comme il le fallait. Par la suite, un cabinet de consultants payé par le groupe Hayot a « nettoyé » le travail et ensuite, le personnel est venu de Paris ! Je suis persuadé qu’en visitant ce magasin n’importe qui a été interpellé ( nous n’interdisons à personne de travailler ), par le fait qu’il est surprenant d’embaucher un personnel venant de Paris pour être caissière à Pointe-à-Pitre ! Lorsque nous posons ce problème, on nous taxe de racisme ! Nous résidons dans un pays de 1600 km2 avec 460 000 habitants dont … 60 000 chômeurs. Nous avons avec la Guyane le plus important taux de chômage !

Nous avons vu récemment un courrier de monsieur Vion (hôtelier) affirmant : « Qu’on soit de la Creuse, de la Guadeloupe, de la Corrèze ou de la Normandie, on est français ». Ce n’est pas aussi simple, Monsieur Vion ! Comment voulez-vous que la paix sociale existe en Guadeloupe si les Guadeloupéens ne peuvent pas y travailler !
J’ai eu l’occasion de vous rencontrer, madame Jeanny Marc (maire de Deshaies, députée de la 3è circonscription) sur ces questions, particulièrement sur l’hôtel Fort Royal.
Un jour est arrivée à l’ANPE une offre d’emploi pour l’embauche de 40 personnes avec comme tâches de couper de l’herbe, laver la vaisselle, nettoyer les chambres, faire les lits, porter les bagages, et avec comme contrainte « anglais lu, parlé et écrit obligatoire ! » Cela signifie que si nos enfants formés au lycée hôtelier, avec un niveau bac+2 ou bac+3, parlent anglais couramment, c’est cela leur destinée, laver la vaisselle dans un hôtel à Deshaies ?
Nous avons de nombreux jeunes diplômés en Guadeloupe qui sont obligés de procéder à l’ensachage de clous dans des entreprises à Jarry ou réalisent des sandwichs dans des fast-foods ! C’est cela qui leur arrive car ils refusent de partir et de quitter leur pays, espérant à terme trouver un job !

D’autres par contre, prennent l’avion et partent. Une fois arrivés, par exemple en Allemagne ou ailleurs, c’est fini, ils ne reviendront qu’en vacances, (…), ils fonderont une famille, leurs enfants seront allemands, australiens ou autre. Et c’est ainsi que la Guadeloupe perd ses forces vives !
Le processus que nous venons de décrire concernant l’hôtel Fort Royal est très subtil, vous le savez bien, Monsieur Arconte : si une offre d’emploi a été déposée dans le service public de l’emploi et si cette offre n’a pas été satisfaite dans un délai de 30 jours car on n’a trouvé personne en Guadeloupe, dans ce cas la législation permet d’opérer « l’introduction de main d’œuvre étrangère » ! C’est ainsi que, tout naturellement, 45 Suédois ont pris les postes dans un hôtel appartenant à la collectivité régionale !
Cela nous permet d’affirmer haut et fort qu’il faut une priorité d’embauche aux Guadeloupéens en Guadeloupe ! Il faut que ce qui se passe au sommet corresponde à la situation ethnique et sociologique du pays ! Cela est la règle dans tous les pays.
Pourquoi aujourd’hui en France, à partir de ce qui s’est déroulé aux États-Unis, Christine Kelly a été nommée au CSA ? On a avec empressement nommé une préfète d’origine Camerounaise sans même s’apercevoir que madame Pierrot, Guadeloupéenne de Trois-Rivières, occupe depuis longtemps ce type de poste !

Ces questions, nous les posons sans haine de façon justement à ne pas arriver à la haine ! Car si un embrasement des banlieues a eu lieu il y a deux ans, c’était justement parce que ces jeunes, se sentant exclus, affirmaient : « Nous sommes français ! » De ce fait une série de mesures furent appliquées, train pour l’emploi, etc.
Ici nous sommes toujours dans le même système, un système construit sur des rapports de classe et de race depuis 400 ans ! Nous ne reviendrons pas sur les chiffres. Nous sommes les premiers concernant les jeunes filles mères, nous sommes les premiers avec les Guyanais pour le SIDA, nous sommes les premiers dans nombre d’aspects négatifs. Par contre dans le domaine sportif, lorsqu’il s’agit du capitanat de l’équipe de France de foot ou pour réaliser des performances en athlétisme, nous sommes demandés !
Au point pour nous d’intégrer les domaines où nous sommes cantonnés. Lilian Thuram est un grand sportif mais tous nos enfants, seront-ils des Lilian Thuram ? Seront ils des Teddy Riner ? Non ! Cela signifie que tous nos enfants ont droit à la réussite ! Quand j’étais petit, je lisais Blek, Yataca, Zambla et Akim comme tous les jeunes de mon âge. En grandissant, un adulte m’a interpellé me déclarant : « Domota, quelque chose ne va pas : le héros tout seul, le plus fort dans la forêt, commande à tous les Nègres, tous les serpents, tous les gorilles, toutes les bêtes, le Blanc seul commande tout le monde ! » Alors évidemment on se réfère au héros !

Les héros des Guadeloupéens aujourd’hui, qui sont ils ? Ce sont Thierry Henry et Lilian Thuram. L’épanouissement, la réussite par le sport sont des notions fondamentales mais admettons que nos enfants ne peuvent avoir comme seuls modèles Thierry Henry et Lilian Thuram ! Il faut que nos enfants aient comme modèle Nicolo ou d’autres personnes s’illustrant dans d’autres domaines. Il faut que nos enfants osent affirmer : « Je voudrais être un jour monsieur Météo ! ». Depuis 25 ans c’est toujours le même, actuellement M. R. Mazurie ! Nous devons viser l’excellence mais pour la Guadeloupe !
Nos enfants, au cours de leur développement, ne voient personne qui leur ressemble lorsqu’ils regardent la télévision. Dans les activités professionnelles, celui qui symbolise la réussite ne nous ressemble pas. Par contre, celui qui est dans la rue nous ressemble. On finira par intégrer, si nous sommes croyants, que c’est une malédiction !

Rappelons nous de la phrase, lorsque Cham fut banni : « Tu seras l’esclave de tes frères ». N’est-ce pas, Monsieur Lurel, vous parliez de Dieu précédemment. Ainsi Cham était l’esclave de Japhet et de Sem. Or Sem était de la lignée des Sémites, les Juifs et les Arabes. Et Japhet de celle des Blancs. Depuis la nuit des temps, il était écrit que les Nègres seraient les esclaves des Juifs, des Blancs et des Arabes. Nous finirons par intégrer cette prétendue malédiction !
Ou bien nos enfants finiront par se dire : « À quoi bon aller à l’école, continuer à faire des études d’agriculture, de toute façon nous sommes au pied de la croix, restons dans la rue, prenons les armes ». Voilà le modèle de société que nous devons condamner et combattre. Nous devons nous mettre ensemble pour en changer le cours et pour ne pas nous diriger vers une impasse. Car nous, dans cette assemblée, nous pouvons penser que nous avons réussi notre parcours social : J’ai 42 ans et 3 enfants, je suis directeur adjoint à l’ANPE. J’ai réussi quoi aujourd’hui : un parcours personnel. Mais que laissons-nous à nos enfants ? Un pays meurtri.

Nous avons eu la démonstration aujourd’hui que nous devons prendre notre destin en main car la politique publique de l’État français ne répond pas à nos exigences. Monsieur Lurel, rassurez-vous, nous ne sommes pas dans une démarche politicienne. Chaque fois que vous vous exprimez, vous êtes en train de régler les comptes avec d’autres mais cela ne peut s’adresser à nous. Notre démarche vise à régler les exigences sociales prioritaires du peuple guadeloupéen en souffrance aujourd’hui.

Ajoutons ceci, concernant les Hutus et les Tutsis et le respect de la démocratie. Le gouvernement Pétain était légitime (s’adressant à monsieur Angele), le Code Noir était légitime (Rectification de monsieur Angele : « Pas légitime, légal »). Pardon il était légal. Donc vous êtes pour la légalité. C’est pour cela que j’affirme que tout a une limite et que c’est donc le fait qui fait le droit. Si nos ancêtres n’avaient pas estimé que le Code Noir, bien que légal, n’était pas légitime, nous en serions toujours en esclavage ! Je voulais simplement apporter cette nuance : ce n’est pas parce qu’ un concept est légal qu’il est pour autant correct.4

 

 

 

Année des Outre-mer ou exposition coloniale ?

Déclaration du LKP, collectif guadeloupéen qui regroupe une cinquantaine d'organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles de la Guadeloupe.

Le 02 février 2011, le gouvernement Français lançait son année des outre mer dont l’objectif principal, selon Mme Penchard  (alors ministre chargée de l'Outre-mer) reprenant les propos de Nicolas Sarkozy, est de changer la vision des Français concernant les DOM TOM, les ultramarins, les ultra périphériques, les DFA, en un mot, les colonies et singulièrement ceux qui y vivent, c'est-à-dire NOU.

Cela veut donc dire que les Français ont une vision de NOU. Mais quelle est-elle ? Pour changer de vision, ne faut-il pas déterminer ce qu’il y aurait à changer ? Ne faudrait-il pas que Mme Penchard nous dise comment ses collègues ministres la voient et nous voient ? Une première réponse dans les vœux de Nicolas Sarkozy aux outre mer : « Je voudrais vraiment qu'à la fin de cette action et de mon quinquennat, les Français portent un autre regard sur l'Outre-mer, qu'ils vous voient comme des gens fiers, compétents, parfaitement inscrits dans le monde d'aujourd'hui, ayant parfaitement digéré leur histoire, n'ayant ni amertume, ni revanche, simplement de l'espérance pour eux et pour leurs enfants ».

 

Eh bien OUI. NOU sommes sans fierté, sans dignité, sans conscience, incompétents, fainéants, arriérés, primitifs, …. et qu’on lui f…e la paix avec l’esclavage nous invitant gentiment à digérer notre histoire. Et nous savons tous ce qui suit la digestion. Aurait-il osé tenir de tels propos à Maillé où en août 1944, l’armée Allemande massacra une centaine de villageois ? Aurait-il eu le courage et l’insouciance de dire cela à Oradour sur Glane où un village entier a brûlé et les villageois exécutés par les Allemands en juin 1944 ? Et bien non, tout comme le 14 juillet, le 8 mai, le 11 novembre, il y a des dates, des événements qui rassemblent le peuple et forgent une nation. Sauf que cela n’est pas fait pour nous.

Une telle vision nous renvoie donc, inexorablement, aux expositions coloniales dont le but était d’étaler, d’exhiber la grandeur et l’immensité de l’empire colonial français mais surtout de montrer au monde et tout particulièrement aux Français « cette mission civilisatrice » qu’un pouvoir quasi divin aurait donné à la France afin d’éduquer les sauvages, cultiver les indigènes, en faire des hommes suivant les principes et valeurs républicaines, catholiques, apostoliques et romaines dixit le code noir. Mais, visiblement, le travail est difficile et quelque peu incompris par beaucoup qui voient en NOU, une bande de sauvages qui vivent aux raccrocs de la république et heureusement qu’il y a eu l’esclavage sinon nous serions en train de mourir de faim quelque part en Afrique ; traduction vulgarisée du discours de Nicolas Sarkozy !

 

Bien évidemment, l’histoire de la France coloniale n’est pas enseignée. Une grande majorité de Français ne savent rien de la barbarie du code noir qui définissait le statut de l’esclave. Ils ne savent pas que Napoléon était un négrier qui a rétabli l’esclavage en Guadeloupe en 1802 ou que Pierre Messmer au nom de l’État français organisa l’élimination de plus de 300 000 nègres au Cameroun. Ils n’ont jamais entendu parler du code de l’indigénat qui déterminait plusieurs catégories de Français (français français et français moins français). Ils ne savent rien des massacres de Sétif (45 000 morts) ou de Madagascar (89 000 morts) ni ceux plus récents des 26, 27 et 28 mai 1967 en Guadeloupe où les militaires français ont tué plus de 100 travailleurs guadeloupéens lors d’une grève des ouvriers du bâtiment. Rien non plus de l’empoisonnement « légal » du peuple guadeloupéen à la chlordécone. Ils n’en savent pas plus sur le rôle moteur joué par la France dans la destruction de la nation haïtienne et de nombre d’États africains. C’est ça aussi l’histoire de « la France universelle patrie des droits de l’homme ».

 

Pour mieux comprendre, rappelons-nous certains propos du candidat Sarkozy : Caen, Montpellier, … mars - mai 2007 : «  Alors, c’est vrai, il y a dans notre histoire des erreurs, des fautes, des crimes, comme dans toutes les histoires de tous les pays. Mais nous n’avons pas à rougir de l’histoire de France. La France n’a pas commis de génocide, elle n’a pas inventé la solution finale. Elle est le pays qui a le plus fait pour la liberté du monde. Elle est le pays qui a le plus fait rayonner les valeurs de liberté, de tolérance, d’humanisme. Nous pouvons être fiers de notre pays, de ce qu’il a apporté à la civilisation universelle, à l’idée d’humanité. Nous pouvons être fiers d’être les enfants d’un pays de liberté et de démocratie. Nous pouvons être fiers d’être les enfants de la patrie des Droits de l’Homme. »

 

Toulon 7 février 2007 : « À tous ceux d’entre vous qui sont revenus des colonies en ayant tout abandonné, n’emportant avec eux que leurs souvenirs de jeunesse et cette nostalgie qui ne les quittera plus jamais, je veux dire que si la France a une dette morale, c’est d’abord envers eux. Aux enfants des harkis qui ont servi la France, qui ont dû fuir leur pays et que la France a si mal accueillis, je veux dire que si la France doit des excuses et des réparations, c’est à eux qu’elle les doit. À tous les anciens combattants de nos anciennes colonies, je veux dire la reconnaissance de la France et je veux rendre hommage à Jacques Chirac de leur avoir rendu justice. »

 

Paris 6 mai 2007 : « Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français la fierté d'être Français. Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres. »

OUI, n’en déplaise à Mme Penchard, à Brice Hortefeux, à Nicolas Sarkozy, à Daniel Maximin (régisseur de plantation pour l’occasion), la colonisation, la traite négrière, l’esclavage et tous leurs corollaires (pillage, vol, viol, massacre, épuration ethnique, génocide, aliénation culturelle, domination économique, répression et éradication de toute contestation, racisme, soumission de la classe politique locale, …) ont assuré et assurent encore aujourd’hui à la France ses richesses, sa puissance et son autorité.

Deuxième puissance maritime au monde, la France possède un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Et nous ne dirons rien de la biodiversité ni des richesses minières, marines, sous marines. Nous ne dirons rien des richesses du sol et du sous-sol. Nous ne dirons rien non plus des espaces géostratégiques ni de la promotion et de la vulgarisation de la langue française véhiculée par tous ses colonisés. Nous ne dirons rien non plus sur la musique et le sport, l’un des rares espaces « réservés » car selon la même vision décrite plus haut, NOU sommes nés pour ça mais surtout pas pour diriger et occuper des postes à responsabilité. Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas déclaré à Dakar le 26 juillet 2007 que : « l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’histoire ?  » Tout comme sur la plantation, la société Guadeloupéenne demeure aujourd’hui encore organisée sur la base d’intérêts de classe où la discrimination du fait de la couleur perdure.

 

En réalité, le tour de magie de l’année des outre mer est une opération visant à surfer sur notre révolte, notre contestation de l’ordre colonial pour consolider l’empire colonial autour de sa « Métropole ». Rappelez-vous, après avoir élevé au rang de Ministre, de Conseils ou d’Experts, quelques « ultramarins », Nicolas Sarkozy rassemblait tout ce beau monde dans les « États Généraux » avant de leur donner mandat pour exécuter tels les anciens administrateurs coloniaux, la politique coloniale de l’État Français, version Guadeloupe de la Françafrique.

Mais c’est aussi une vaste opération de séduction en direction de la diaspora des colonisés, véritable réserve de voix pour les prochaines présidentielles. Et Nicolas Sarkozy de conclure ses vœux par : « Et j'aimerais que vous compreniez que ma façon de vous aimer, c'est de vous respecter. » La bataille sera rude, il faut puiser partout et ratisser large.

 

2011, année des outre mer confirme bien la vision colonialiste de la France vis-à-vis des pays en sa possession. Nous sommes dans le droit fil de la loi du 23 février 2005 reconnaissant les bienfaits de la colonisation, de la domination et de l’asservissement des peuples. Rappelons-nous de cette citation du général Charles de Gaulle, père de la nation, du 05 mars 1959 : «  C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne. »

 

Un État colonial dispose de quatre points d’encrage : l’aliénation, la dépendance économique, la soumission de la classe politique locale et la répression des opposants politiques, des avocats, des journalistes et des syndicalistes pour asseoir sa domination. Ainsi, c’est plus d’une vingtaine de syndicalistes qui sont poursuivis du fait de leur engagement dans la lutte de 2009 visant ainsi à annihiler l’expression de toute contestation de la rue. Dans le même temps, les accords du 26 février et du 04 mars ne sont pas respectés et l’État refuse de rencontrer le LKP, désormais persona non grata.

 

Après la formidable mobilisation de 2009, voilà les réponses de l’État Français aux revendications des Travailleurs et du Peuple de Guadeloupe : aliénation, exploitation, soumission – mépris et répression.

 

Nous avons commencé à entrevoir, à penser, à élaborer notre vision de notre Guadeloupe, aujourd’hui et pour demain. Nous avons réussi à nous rassembler et avons fait triompher l’idée d’un pays possible, d’une société débarrassée de la Pwofitasyon kolonyalis é kapitalis, riche de sa culture et de ses origines, ancré dans son espace naturel et son environnement caribéen. Un pays, une société pouvant disposer désormais de tous ses atouts pour nourrir, éduquer, soigner et élever tous ses enfants.

Répondre au Peuple, aux Travailleurs et au LKP par des vraies décisions consisterait à l’évidence à remettre en cause le système colonial, à s’opposer aux privilèges et à la toute puissance du lobby béké et des importateurs distributeurs, fabricants de Pwofitasyon. Nicolas Sarkozy a donc fait le choix de continuer à servir la Pwofitasyon. C’est le sens de l’opération « 2011 année des outre mer ».5

 

 

« La situation est explosive »

Par Jean-Pierre Anselme. 19 novembre 2013.

Les syndicats guadeloupéens appellent à la grève le 5 décembre 2013. Élie Domota en explique le sens face à un gouvernement qui « fait la même politique que Sarkozy ». Le secrétaire général de l'UGTG et le porte parole du LKP donne aussi son point de vue sur le climat politique hexagonal.

 

Comment va la Guadeloupe ?

Mal, très mal, la Guadeloupe va très mal. Le chômage de masse touche 34 % de la population active, 60 % des jeunes de moins de 25 ans sont sans emploi (la Guadeloupe est la championne d'Europe du chômage des jeunes ! ). Nous sommes confrontés à une cascade de « plans sociaux », ces jours-ci encore des fermetures d'entreprises sont annoncées. Pour donner une idée de ce que cela représente ici, j'ai fait le calcul : si on faisait le rapport avec la population active française, 40 personnes qui perdent leur boulot en Guadeloupe cela correspond à plus de 6000 en France !

 

Dans leur communiqué commun appelant à la grève du 5 décembre, les 9 organisations syndicales dénoncent « un gouvernement contre les travailleurs »...

Les Guadeloupéens ont voté majoritairement pour François Hollande mais ils réalisent que son slogan de campagne, « Le changement c'est maintenant », était une vaste blague ; en fait François Hollande a la même politique que celle de Sarkozy.

Il n'y a aucune mobilisation de l'État, des collectivités locales, des élus. Par contre, on les voit beaucoup aux vins d'honneur ou aux fêtes patronales. Quant au préfet, on se demande à quoi il sert. Lorsque le ministre d'Outre-mer, monsieur Victorin Lurel, vient en Guadeloupe, en octobre, il ne dit pas un mot sur la situation économique et sociale de l'île, par contre il a bien dansé et bu du punch avec ses amis. Quand monsieur Manuel Valls vient en Guadeloupe, c'est pour annoncer le renfort de deux chiens spécialistes de la recherche des armes à feu pour les brigades de police.

 

Justement, à l'occasion de la venue du ministre de l'Intérieur, les médias ont beaucoup parlé d'une insécurité grandissante en Guadeloupe. Est-ce vraiment le cas ?

Nous vivons une situation catastrophique dans le je-m'en-foutisme le plus total. Hier matin encore un jeune a été « exécuté », nous en sommes à 39 ou 40 morts en Guadeloupe depuis le début de l'année. Les élus ne parlent que de sécurité mais le fond du problème n'est jamais posé : mélangez un taux d'illettrisme de 20 %, un taux d'échec scolaire faramineux, un chômage exorbitant, aucune perspective pour la jeunesse, avec un peu de drogue et d'alcool et vous obtenez la violence. On ne pointe jamais du doigt la cause de cette situation qui est la mise en œuvre de politiques publiques qui mènent le pays à la ruine et ses enfants à la mort.

Quinze mois après l'élection de François Hollande, nous, organisations syndicales, nous nous devons de passer à l'action pour lutter, se battre et ne pas accepter la profitation.

 

Concrètement, c'est quoi la « profitation » ?

Quelques exemples :

On annonce que le CHU Guadeloupe a 40 ou 50 millions de déficit et que, pour rétablir l'équilibre budgétaire, il faut supprimer 500 postes. Silence total des élus et des autorités.

9 000 à 10 000 entreprises guadeloupéennes doivent 104 millions d'euros de charges sociales, dont 80 à 85 % sont des cotisations salariales. Les patrons des mêmes entreprises sont descendus dans les rues et ont obtenu du préfet l'assurance qu'ils ne recevraient plus de courrier de relance ni n'auraient à craindre la venue des huissiers. L'État lui-même légalise la fraude patronale.

Trois gros marchés publics de construction (l’agrandissement d’un centre hospitalier, une centrale électrique et un centre gérontologique) emploient des ouvriers portugais, italiens et espagnols. Exploités, sous-payés, ils vivent et dorment dans des cabanes sur le chantier. Nous avons interpellé le préfet sur le fait que des marchés financés par des fonds publics n'aient pas, comme cela se fait couramment en France, une clause d'insertion sociale, où la collectivité oblige l'entreprise qui a obtenu le marché à embaucher des gens du terroir. Pas de réponse du préfet, sinon ces propos concernant la centrale électrique : « On m'a dit que ce sont des Espagnols parce qu'ils sont spécialistes de ce genre de bâtiment. » Parce qu'en Guadeloupe … Je n'ai pas de preuve, mais je suis certain que quelqu'un quelque part touche de l'argent...

 

Derrière tout ça, il y a la corruption. Des élus en Guadeloupe sont payés pour fermer les yeux. La corruption domine en Guadeloupe. Comme ce dispositif d'information sur une route qui a coûté 13 millions d'euros et qui n'a d'autre utilité que de remplir les poches de certains. De l'argent qui aurait pu être investi dans le circuit d'alimentation en eau potable où 60 % de la production de l'île se perdent dans des canalisations pourries. On marche sur la tête !

C'est un prétendu « bouclier qualité-prix », voulu par le ministre de l'Outre-mer et décidé dans des réunions secrètes entre les distributeurs et le préfet, qui n'aboutit à aucune baisse des prix. C'est Total qui, profitant de sa situation de monopole pour exercer un chantage à l'emploi, obtient de l'État la garantie de sa marge bénéficiaire annuelle.

 

Quel regard portez-vous sur le mouvement dit des « bonnets rouges » en Bretagne ?

On regarde avec beaucoup d'intérêt ce qui se passe en France. Il y a l'exaspération qui gagne du terrain et il y a aussi ces patrons et ces élus qui prennent la tête de manifestations où l'on détruit des portiques et où même une sous-préfecture est attaquée au tracteur... Si, nous, on faisait le dixième de ça, on serait morts ! Ici, il suffit d'une palette brûlée pour que la Guadeloupe soit « prise en otage », pour que nous soyons arrêtés, convoqués au tribunal, traités comme des « terroristes », des « bandits », des « délinquants » avec prise d'ADN... On n'a pas oublié qu'en 2009, au quatrième jour de la grève générale, la première réponse du gouvernement a été l'envoi de gendarmes.

 

Que pensez-vous de la place grandissante de l'extrême droite dans la politique française, avec son corollaire, le racisme, qui s'exprime de plus en plus ouvertement ?

J'essaie toujours de prendre du recul.

Quand il y a beaucoup de problèmes sociaux dans un pays, il y a toujours le risque d'une montée de l'extrême droite, avec les discours nauséabonds qui l'accompagnent, mais si on veut éviter ça, il faut apporter des réponses aux personnes en matière d'emploi, de protection sociale, de pouvoir d'achat... La balle est chez monsieur Jean-Marc Ayrault.

Mais aussi, il faut que la France regarde une bonne fois pour toute son histoire en face. La France, « patrie des droits de l'Homme », aurait apporté la « civilisation » à la terre entière, mais la vérité est tout autre, la France a aussi volé, pillé, massacré des gens aux quatre coins du monde avec le colonialisme, elle s'est enrichie grâce à l'esclavage et la traite négrière.

 

Je suis dans la reconnaissance et la réparation et pas dans la repentance, je suis pour que les gens aient une autre analyse de la situation. Aujourd'hui ce n'est pas le cas pour le gouvernement français pour qui la colonisation reste une bonne chose. Par exemple, le 11 novembre commémorait l'armistice de la Première guerre mondiale et il célèbre à présent tous les soldats morts pour la France, donc y compris ceux tombés lors des conquêtes coloniales.

Si la France fait un effort pour assumer son histoire, sans haine et sans violence (les gens ne sont ni responsables ni coupables), elle sera aussi capable de porter un autre regard sur le Maghreb, un autre regard sur l'Afrique noire.

Mais on en est loin comme on entend certains leaders politiques de premier plan (Hortefeux , Guéant, Sarkozy…) et autre philosophes comme Finkielkraut et autres journalistes comme Zemmour. C’est une haine de l’autre savamment entretenue. C'est le même état d'esprit qui animait les premiers colons.6

 

 

Cette pwofitasyon qui pèse sur la classe ouvrière

La grève générale de 2009 fut une grève historique tant par son ampleur, la détermination des individus et des organisations syndicales, que par son retentissement international. Elle a été préparée et organisée par un collectif de 48 organisations, dont tous les syndicats de l’île, regroupées dans LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon), « Unité contre l’exploitation ».

Ce collectif, initié le 5 décembre 2008 et toujours à l’œuvre actuellement, se donne pour but de mobiliser la population guadeloupéenne contre la « vie chère », en désignant le système d’échange économique entre la métropole et la France comme responsable d’un niveau des prix très élevé, ressenti d’autant plus durement par la population que l’île subit les conséquences de la crise économique. À ce constat d’iniquité est adossée une dénonciation de la mainmise des élites économiques (les « pwofitans ») sur les ressources de l’île, élites dont la richesse contraste avec les difficultés d’une population insulaire particulièrement exposée à la pauvreté et au chômage.

 

Un mal qui vient de loin

Dans un article intitulé « La Guadeloupe, obscure clé de la crise mondiale ?  », publié au milieu du mouvement de l’hiver 2009, l’historien marxiste Immanuel Wallerstein s’interrogeait sur la signification de la mobilisation du Liyannaj Kont Pwofitasyon et de la grève qui paralysait l’île. Dans la continuité de ses analyses sur les dynamiques du capitalisme contemporain, il voyait dans la Guadeloupe un cas d’école où les contradictions liées à l’iniquité des échanges commerciaux, héritée de l’ère des conquêtes coloniales, ressortent de façon si aiguë et exacerbée qu’il envisageait la crise que traversait alors la Guadeloupe comme une crise d’ampleur « sociétale ».

L’histoire de la classe ouvrière en Guadeloupe, c’est d’abord celle de l’esclavage et de la traite négrière. Celle de la déportation de la main-d’œuvre venue, à fond de cale, d’Afrique de l’ouest et des Indes britanniques vers la Caraïbe puis du travail sur les plantations, ponctué de soulèvements et de fuites, d’actes de sabotage et de poussées insurrectionnelles. Vint ensuite le temps de la colonie, qui affranchissait symboliquement les travailleurs de l’esclavage tout en poursuivant sur la voie d’un capitalisme forcené qui maintenait sous son joug la population noire et indienne, en perpétuant les hiérarchies raciales des plantations sucrières au sein de l’ordre usinier comme dans les administrations publiques. Cette domination ne disparaît pas non plus avec la départementalisation de 1946, car même si Guadeloupéens et Martiniquais accèdent à la citoyenneté française et à la scolarisation, la misère et l’illettrisme font encore des ravages.

 

Des organisations syndicales dans la lutte anticolonialiste

En revanche, au sortir de la Seconde guerre mondiale et durant la période de la départementalisation, de nombreux épisodes de grèves et d’affrontements ponctuent la vie des organisations ouvrières antillaises, qui gravitent autour du Parti communiste durant les années 1950. L’objectif est alors de faire appliquer aux Antilles les mesures sociales adoptées par le gouvernement issu du Conseil national de la résistance : salaire minimum, sécurité sociale, allocations familiales, droits à la retraite ou aux congés payés. Malgré la combativité de la classe ouvrière et la puissance du Parti communiste, le capitalisme colonial continue de régner en maître sur les Antilles françaises, assurant un revenu monopolistique aux békés, les blancs créoles propriétaires terriens.

Intimement mêlé à l’histoire des luttes de libération nationale, le syndicalisme guadeloupéen est fortement marqué par l’anticolonialisme. La mouvance indépendantiste y conserve une influence prépondérante, au travers de la principale organisation syndicale de l’île : l’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe (UGTG), forte d’une dizaine de milliers d’adhérents. Née au milieu des années 1970, alors que l’économie guadeloupéenne demeurait fortement marquée par la monoproduction agricole destinée à l’exportation, l’organisation s’est d’abord rendue maîtresse du secteur cannier. Par la suite, l’UGTG a élargi son champ de syndicalisation à l’ensemble du salariat, dans le secteur public (santé, travailleurs sociaux, secteur de l’emploi et de la formation, personnels d’éducation, fonctionnaires territoriaux et employés communaux) mais aussi au cœur des services de l’économie touristique, hôtellerie et restauration.

C’est en partie en réaction à cette tentation hégémonique, et aussi à cause du déclin du Parti communiste, que des militants d’organisations trotskystes, Combat ouvrier et le Groupe Révolution socialiste, se sont retrouvés à la tête d’autres organisations syndicales – la CGT Guadeloupe et la CTU (Centrale des travailleurs unis) –, grâce à un travail patient de construction et de structuration. Même Force Ouvrière, autrefois accusée d’être un syndicat complaisant envers le patronat, promeut aujourd’hui une ligne particulièrement combative qui s’est avérée précieuse à la mobilisation impulsée par le LKP.

Cette vision du syndicalisme comme lieu d’insubordination, qui consiste à s’acquitter de la défense des salariés et de la gestion des relations entre employeurs et employés sur le lieu de travail, tout en avançant des objectifs éminemment politiques, joue un rôle déterminant dans la forme organisationnelle et les répertoires d’action propres aux syndicats guadeloupéens. Elle explique aussi, en partie, le maintien de la référence à la grève générale comme horizon stratégique partagé par les principales organisations de travailleurs.

 

La classe ouvrière guadeloupéenne aujourd’hui

La première caractéristique de la classe ouvrière en Guadeloupe réside dans le poids que le chômage fait peser sur les travailleurs les plus pauvres et les moins qualifiés. Du point de vue de l’emploi, les Antilles sont à l’abandon : selon l'enquête INSEE, réalisée en juin 2009, 36 800 personnes sont des chômeurs au sens du Bureau international du travail, pour une population de 440 000 Guadeloupéens. Le taux de chômage de la Guadeloupe dépasse les 22 %. En outre, plus de la moitié des chômeurs de Guadeloupe le sont depuis plus de trois ans.

Les chiffres publiés par l’INSEE évoquent également un taux d’activité et d’emploi inférieurs à ceux de France métropolitaine. Parmi la population des 15-64 ans, la part des personnes ayant un emploi s’élève à seulement 48,8 %, contre 64,3 % en France métropolitaine. Entre 15 et 64 ans, en Guadeloupe, moins d’une personne sur deux est en situation d’activité professionnelle. Dans ce contexte, « jobber » pour survivre devient un sport national : entre contrats précaires et travail au noir, le code du travail est systématiquement dévoyé et une pression systématique s’exerce sur les niveaux de salaire.

Si le gros de la classe ouvrière a longtemps été concentré dans le secteur agricole, le groupe socioprofessionnel des ouvriers représente aujourd’hui 12 % de la population active. Du fait de la faible industrialisation de la région, la plupart de ces ouvriers travaillent dans le secteur de la construction, les transports, l’hôtellerie-restauration. On retrouve aussi une économie tertiaire concentrée dans la grande distribution, qui regroupe plus de 8 % des actifs. Les niveaux de formation restent faibles avec une prépondérance des personnes non diplômées, employées dans des emplois précaires.

L’emploi public représente près du tiers des travailleurs salariés en Guadeloupe. La santé, l’éducation, l’administration territoriale, la formation et l’emploi représentent ainsi tant des bassins d’emploi que des bastions syndicaux. Au sein de l’emploi public, il faut également compter avec l’importance des services directs à la personne qui représentent près de 10 % de l’emploi total en Guadeloupe, bien plus qu’en France métropolitaine.

 

La vie chère : matrice des inégalités

Actuellement, la Guadeloupe importe 93 % de ses biens consommés. D’un point de vue économique, cela implique plusieurs conséquences. Le fait que ce soit le secteur du commerce qui soit le premier contributeur, après les administrations publiques, place l’économie de l’île en situation de déséquilibre structurel. Comparés à la part du commerce dans le PIB, le secteur primaire (qui a peiné à se reconvertir d’un modèle d’agro-exportation orienté vers la production de sucre et de banane, ce qui explique qu’il demeure largement subventionné par l’Union européenne) et le secteur secondaire font figures de « parents pauvres ».

À la lecture des écrits de Daniel Guérin, qui séjourna en Guadeloupe et en Martinique en 1955, on est saisi par la proximité entre la situation actuelle et le tableau que l’intellectuel socialiste libertaire dressait de l’iniquité des échanges commerciaux, mettant l’accent sur le caractère profondément inégalitaire du système d’imposition alors en vigueur. Dans l’introduction d’un chapitre consacré à la « vie chère » en Guadeloupe et en Martinique, Daniel Guérin dénonçait déjà les effets pervers du double avantage comparatif de la métropole, conquis dans l’acheminement des produits consommés en Guadeloupe et tirant parti de l’imposition portant essentiellement sur ces mêmes produits de consommation.

Il précisait alors que « le résultat fatal du système de production et d’échange anti-économique qui sévit aux Antilles, c’est la cherté de la vie. Non seulement l’Antillais est contraint et forcé d’importer la plupart des denrées et des articles manufacturés dont il a besoin, non seulement il doit subir, pour un parcours de 7000 km, les tarifs monopolistiques des compagnies de navigation, mais il doit encore supporter une cascade d’impôts indirects, de droits de douane et de taxes locales par lesquels l’administration se crée des ressources. Car la ploutocratie qui domine les malheureuses îles veille à ce que le fardeau fiscal soit reporté sur le dos des larges masses. L’impôt sur le revenu a été longtemps (ou est encore) beaucoup moins élevé que dans les métropoles, et les ressources procurées par la taxation indirecte très supérieures à celle provenant de l’impôt sur le revenu. »

Ces effets pervers vont encore s’accentuer avec la fin du modèle agro-exportateur, période durant laquelle les capitalistes antillais vont réinvestir le capital accumulé dans les enseignes de la grande distribution. Dans ce contexte, une entreprise commerciale n’a que deux solutions pour améliorer son résultat : la première consiste à baisser ses coûts d’approvisionnement et la seconde à augmenter ses prix. Si les écarts de prix entre les départements d’Outre-mer et la France métropolitaine sont en partie imputables aux produits alimentaires – en prenant comme référence le panier métropolitain, les écarts de prix sur l’alimentaire sont terrifiants : +34 % en Guadeloupe –, c’est aussi que ceux-ci constituent l’un des premiers postes de consommation des ménages.

 

Un climat social délétère

Il en va du chômage de masse  comme de la cherté de la vie : aucun dispositif ne semble pour l’instant pouvoir les enrayer. Si l’on veut saisir le caractère endémique du chômage en Guadeloupe, il faut comprendre que le capitalisme colonial n’a jamais vraiment anticipé l’externalité négative qu’il pourrait représenter. Le choix a ainsi été fait par le patronat local de recourir à une main-d’œuvre journalière qui mettait en concurrence les travailleurs et opérait une forme de sédentarisation forcée sur le lieu de travail. Ni l’État ni les élus ne semblent plus se préoccuper de cette situation. Résultat : le patronat béké en profite pour faire pression sur un secteur entrepreneurial « à la corde » : d’après les syndicats guadeloupéens, 9 000 à 10 000 entreprises doivent 104 millions d’euros de cotisations sociales.

Par ailleurs, le budget de la Caisse d’allocations familiales (CAF) en Guadeloupe dépasse ceux de la Région et du Conseil général. L’organisme social est ainsi devenu un acteur économique de premier plan, les prestations CAF représentant l’un des moteurs de la consommation des classes populaires en Guadeloupe. Le nombre d’allocataires des prestations familiales et sociales s’élève à près de 125 000, ce qui signifie qu’un quart des habitants des îles guadeloupéennes vivent, de façon directe ou indirecte, des prestations versées par l’État. On estime que le montant moyen annuel versé par allocataire en Guadeloupe est d’environ 6 108 €. Parmi ces allocataires, on trouve un nombre important d’anciens bénéficiaires du RMI (plus de 30 000 personnes), pour un montant mensuel moyen d’environ 421 €.

Même si des réseaux de solidarité familiaux permettent à la population de « tenir » grâce aux aides sociales, ils ne parviennent pas à pallier les conséquences de la vie chère, notamment au vu des 38 000 familles monoparentales, majoritairement des femmes seules.

 

Un volcan en sommeil ?

Si la lutte des classes aux Antilles participe à révéler la nature coloniale du pouvoir et les rapports inégalitaires dont elle est le produit, force est de constater la relative stabilité du modèle de régulation politique antillais. Au vu de la situation sociale explosive et des traditions de lutte propres au mouvement syndical guadeloupéen, on ne peut qu’envisager de nouvelles mobilisations dans l’île, même si les derniers échos, témoignant d’une reprise de la contestation sous l’impulsion du LKP, indiquent que le mot d’ordre de grève générale pour le respect des accords Bino (par lesquels s’est conclu le conflit de 2009) n’a pas encore réussi à remobiliser toutes les franges de la population qui étaient descendues dans la rue à l’hiver 2009.7

 

 

Attaques contre la CGTG

Le syndicat CGTG, dirigé par un militant trotskyste, ouvrier dans la banane, s’est trouvé condamné à des dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts pour avoir critiqué dans un tract une famille de békés parmi celles qui ont la mainmise sur l’économie de l’île (grande distribution, industrie sucrière, agriculture).

L’affaire est édifiante : en 2012, l’un des magasins où deux frères Huygues-Despointes sont actionnaires principaux, Carrefour Milénis, très rentable, a annoncé le licenciement de 28 salariés, pour difficultés économiques. Après avoir saisi la justice et obtenu les comptes de l’entreprise, le syndicat a découvert que non seulement il n’y avait pas de difficultés financières, mais encore que compte tenu de ses bénéfices, l’enseigne devait verser une participation à ses salariés pour 2011 et 2012 ! Ce que Carrefour sera finalement obligé de faire. À l’époque, les militants CGTG ont distribué un tract où était écrit que « la famille Despointes a bâti toute sa fortune sur la traite négrière, l’économie de plantation et l’esclavage salarié ». Ce qui est une vérité historique. La famille, n’ayant pas digéré que le syndicat la fasse condamner, a cherché à se venger en l’accusant de propos diffamatoires. Et il s’est trouvé des juges pour condamner la CGTG à plus de 53 000 euros d’amende, avec saisie des comptes bancaires !

Les protestations ont été nombreuses : rassemblements, manifestations, meetings. L'action du 27 décembre 2015 fut un succès , appelée par la CGTG, Combat Ouvrier (trotskyste), trois organisations indépendantistes et le journal de jeunes « Rebelle ». Des dizaines de militants ont distribué des milliers de tracts pour dénoncer ce scandale, devant le magasin Carrefour, avec un bon accueil de la population. La grande surface a été désertée en ce samedi de fêtes de fin d’année. La couverture médiatique fut très large.

Grâce à la solidarité de nombreux travailleurs, en Guadeloupe mais aussi en France, 45 000 euros ont déjà été collectés, mais la revendication du remboursement des 55 000 euros demeurait.8

Comme le dénonce la CGTG, « les Despointes agissent pour le compte de l’ensemble du grand patronat : affaiblir la CGTG pour mieux s’en prendre aux travailleurs ». « Une insulte à la mémoire de tous les Guadeloupéens ».

Vieille famille installée aux Antilles durant la période esclavagiste, la famille Huyghues-Despointes a depuis fait prospérer sa fortune. Elle est l’archétype des « békés », ces descendants de planteurs, indemnisés à l’abolition de l’esclavage, gavés des subventions de la métropole ou de l’Union européenne, qui gardent la mainmise sur l’économie du pays, contrôlant la grande distribution, l’industrie sucrière ou rhumière, l’agriculture, et sachant tirer profit, par les monopoles qu’ils détiennent, de la vie chère. Elle fait partie des 500 plus grosses fortunes de France. Dans un reportage diffusé en février 2009 sur Canal + sur les descendants d’esclavagistes, Alain Huyghes-Despointes, chef du groupe familial, avait déploré que les historiens ne s’intéressent pas davantage aux « bons côtés de l’esclavage », expliquant : «  Quand je vois des familles métissées avec des blancs et des Noirs, les enfants naissent de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. [...] Nous, on a voulu préserver la race. »9

Cette somme de 53 000 euros, impossible à payer pour un syndicat qui ne vit que des cotisations des salariés syndiqués, a permis aux Despointes de mener sa lutte de classe contre les travailleurs de Guadeloupe en portant une atteinte grave à la trésorerie de la CGTG.

Condamner pour diffamation des militants pour avoir rappelé le passé et l’origine de la fortune des Békés est une insulte à la mémoire de tous les Guadeloupéens.

À titre de comparaison :

  • Alain Huyghues Despointes qui affirmait en 2009 son attachement à la blancheur de sa peau et celle de sa famille, et déclarait que l’esclavage avait eu aussi des « bons côtés » avait été condamné pour apologie de crime contre l’humanité, en première instance et en appel, avant que la cour de Cassation annule ces sanctions dans un arrêt de 2013 !
    • Guerlain, le parfumeur, grand patron français, avait été condamné à payer seulement 6000 euros d’amende pour avoir insulté l’ensemble des Noirs du monde. Il mettait en doute le fait « que les nègres aient jamais travaillé ».
    • Sylvie Hayot qui elle n’a pas hésité à insulter et cracher sur les pompiers noirs qui étaient venus la secourir, n’a été condamnée qu’à 8 mois de prison avec sursis et deux amendes de 3000 et 500 euros.
    • Nicolas Chaulet accusé d’insultes racistes, a bénéficié d’une intervention directe du procureur qui « a rectifié » les réquisitions de son substitut en réclamant un mois de prison au lieu d’un an !

Encore une justice à double vitesse, les enfants des victimes sont encore victimes.10

 

 

Un département pas comme les autres

La Guadeloupe est officiellement un département français depuis 1946. Il n’empêche que la situation y est encore fortement marquée par son passé de colonie. L’économie est toujours dirigée par quelques grandes familles békés, la lutte de classe y est exacerbée, les conflits nombreux et déterminés.

Au niveau économique, si la situation n’est pas brillante en métropole, elle est bien pire aux Antilles. En Guadeloupe, le chômage se situe aux alentours de 25 %, avec un triste record de 60 % pour les jeunes. Le niveau de vie s’établit à 67 % de celui de la métropole, et les prix y sont scandaleusement plus élevés, avec des écarts de 20 à 100 %. Quelques grandes familles descendantes de « békés », les premiers colons qui se sont enrichis avec l’esclavage, ayant la mainmise sur le transport, la distribution, le tourisme, notamment, fixent les prix qu’elles veulent.  Et en outre, elles sont aidées par les pouvoirs publics à hauteur de 3,9 milliards d’euros !

Autres cadeaux : les entreprises qui embaucheront des jeunes de moins de 30 ans d’ici la fin 2017 seront intégralement dispensées de charges patronales et salariales jusqu’à 2,5 Smic par l’ État, le département et la région. La défiscalisation est prolongée jusqu’en 2020 au lieu de 2017. Le crédit impôt recherche, de 30 % en France, passe à 50 % dans les DOM. Le CICE, de 6 % en métropole, est passé en 2015 à 7,5 % des rémunérations et, à partir de l'année 2016, atteindra 9 % et même 12 % pour les secteurs dits « exposés » comme le tourisme, l’hôtellerie, les transports agroalimentaires et les nouvelles technologies.

Un soutien sans faille de la part de l’État aux entreprises tenues majoritairement par les békés, des salaires qui sont à la traîne et des prix qui explosent, c’est cet état de fait qui avait été la cause, en 2009, d’une grève générale inédite, particulièrement longue puisqu’elle aura duré 44 jours en Guadeloupe et s’est propagée en Martinique. Les revendications principales ? La baisse des prix des produits de base comme les carburants et l’alimentation, ainsi qu’une revalorisation des bas salaires.

 

Et depuis ?

Les grèves s’étaient terminées par des accords arrachés aux patrons, qui ont résisté jusqu’au bout mais ont dû lâcher face à l’énorme détermination de la population. Les accords prévoyaient des augmentations de 200 euros sur les bas salaires, payés pour partie par les patrons, la Région et l’État. Les années qui ont suivi ont vu de nombreuses luttes pour le respect de ces accords, dits Bino, du nom de ce syndicaliste tué lors de la grève.

Le plus spectaculaire en terme de changement est l’apparition de marchés locaux qui tournent de commune en commune et qui ont beaucoup de succès. Cela avait été inauguré en 2009 par les petits agriculteurs mobilisés.

Quelques gestes ont été faits vis à vis de la population :  il était question de supprimer en 2016 le roaming, à savoir la surfacturation des communications lorsqu’on téléphone en métropole et vice-versa. Il y a des aides sur les billets d’avion pour les étudiants ou les gens à faibles ressources qui veulent se rendre en France.

La mise en place d’un syndicat unique de l’eau, une revendication de 2009, a fait son chemin et est en passe de voir le jour. Un organisme unique devrait remplacer la multitude des organismes communaux et autres régies gérant la distribution de l’eau, qui est une véritable catastrophe dans l’île, avec des coupures fréquentes et une vétusté du réseau qui occasionne une perte de 50% de l’eau à cause des fuites.

Enfin, quelques gestes ont été destinés à flatter la fibre nationaliste de la population, comme la nomination en 2013 d’un premier préfet noir, une femme, Marcelle Pierrot. Il faut savoir que le dernier représentant noir de l’État français avait été le gouverneur de la colonie, Félix Eboué, en 1936.

Au bout du compte, il ne reste pas grand chose de concret de ce vaste mouvement, à part un état d’esprit, le fait que ce combat avait été en capacité de faire reculer gouvernement et patrons. Une fierté qui est bien ancrée dans les consciences et qui explique une combativité qui ne se dément pas du côté des salariés, et du côté des patrons et de l’État, une volonté de répression tout aussi importante. Quelques exemples permettront de se faire une idée de la situation.

 

Répression contre les jeunes

Un journal animé par des militants trotskystes est bien implanté dans la jeunesse. Trop aux yeux des dirigeants, d’où un procès qui leur a été intenté. Le procès en appel, le 3 mars 2016, a été l’occasion d’une bonne mobilisation. Une cinquantaine de jeunes des lycées et de l’université est venue les soutenir, ainsi qu’amis, familles. En tout, une bonne centaine de personnes. La presse a bien relayé l’action. Un des deux accusés a finalement été relaxé et l’autre a vu sa peine réduite à deux mois avec sursis et une amende. Ils se sont pourvus en cassation. Il faut dire qu’en Guadeloupe, certains principaux de collèges et de lycées sont des « brutes machistes », comme les surnomment les jeunes, qui ne se laissent pas faire.

 

Lutte contre l’épandage aérien

L’épandage aérien des cultures est interdit sur le territoire français depuis 2009. Il était interdit aux  États-Unis depuis... 1976 ! Mais des dérogations ont été accordées par les préfets successifs en Guadeloupe, pour satisfaire les intérêts des planteurs de banane, déjà responsables d’une pollution au chlordécone qui va durer des siècles et a empoisonné les sols dans une bonne partie du territoire martiniquais et guadeloupéen, entraînant des morts et des interdictions de pêche. En Guadeloupe, quatre associations, regroupées au sein d’un collectif Vigilance citoyenne, sont allées en référé et ont obtenu l’annulation de la dérogation par le tribunal administratif.

 

Des grèves nombreuses

Il y a eu de nombreuses grèves dans l’île tout au long de l’année 2016, même si aucune n’a été déterminante. La dernière grève importante est celle des ouvriers d’une plantation de bananes. Dans ce secteur, des centaines d’ouvriers ont été contaminés par des produits toxiques, herbicides, insecticides. L’épandage de ces produits a provoqué des dizaines de morts sur les plantations et indirectement des centaines par la suite. Le CHSCT de l’habitation Bois Debout ayant fait appel à un expert, il est ressorti que les 140 ouvriers sont soumis à des conditions de travail indignes. L’expert ajoutait que sans amélioration des conditions de travail, d’autres ouvriers mourront au travail. Il y a actuellement 47 accidents de travail par an. Les ouvriers ont fait 40 jours de grève pour réclamer une amélioration de leurs conditions. Ils n’ont pas obtenu ce qu’ils réclamaient, mais se sont fait entendre, ont fait connaître leurs conditions de travail, enchaînant meetings et distribution massive de tracts.

 

 

Les élections régionales (décembre 2015)

Le président sortant du conseil régional, Victorin Lurel, ex-ministre de l’outremer, a été battu par Ary Chalus, maire d’une des plus grandes villes de l’île, vice président du conseil régional, qui avait soutenu activement Lurel en 2010. Chalus se prétend de gauche modéré, mais son axe était surtout « tout sauf Lurel », surfant sur le mécontentement de la population. Sa liste a rassemblé une ex-ministre de Sarkozy, Marie-Luce Penchard et des socialistes dissidents. Le PC guadeloupéen s’est présenté pour la première fois depuis longtemps à des élections locales en tant que tel. Ses résultats sont encore plus faibles que ceux de Combat Ouvrier, parti d’extrême gauche, avec 0,92%.

Les Républicains, le parti de Sarkozy, atteint 4,47 %. Le Front national fait un petit score de 1,40 %, ce qui a fait écrire au Canard Enchaîné : « On ne remercie jamais assez les régions d’outre-mer : le FN fait 1,40% à la Guadeloupe, 2,39% à la Réunion. Quant à la Guyane et à la Martinique, c’est simple : le Front national n’a même pas pu y aligner un candidat. »

Les électeurs des deux îles ont à leur façon sanctionné les sortants socialistes, très liés au gouvernement, au profit d’hommes au profil de gauche, faisant ainsi sentir leur mécontentement de la politique menée par Hollande et Valls.11

 

 

Le scandale du manque d’eau potable

Dans cette île des Antilles françaises, la population subit depuis plusieurs années des coupures d’eau répétées. Et, lorsque l’eau coule au robinet, elle est rarement potable.

Le 1er novembre 2018, ce scandale a fait l’objet d’un reportage au journal télévisé de France 2. Il a dénoncé des coupures d’eau pouvant durer jusqu’à 24 heures. En réalité, certains habitants peuvent rester sans eau courante des semaines, voire des mois durant !

Les coupures de 24 heures sont devenues la norme dans de nombreuses communes, les structures chargées de la distribution de l’eau ayant mis en place des « tours d’eau ». Un planning est diffusé régulièrement, notamment dans la presse, où l’on annonce aux habitants qu’ils seront coupés une ou deux fois dans la semaine. Mais ce planning est rarement respecté. On découvre tout simplement que l’eau ne coule pas. Il faut ajouter à ces « tours d’eau » les événements accidentels, comme les ruptures de canalisation ou les fortes pluies, qui interrompent aussi la distribution.

Pendant des années, les autorités ont inventé des prétextes farfelus pour expliquer cette situation scandaleuse. Un coup, c’était les touristes, nombreux à certaines périodes, qui consommaient beaucoup d’eau. Une autre fois, c’était à cause de la sécheresse… dans cette île de la Caraïbe où il pleut bien plus qu’en région parisienne et où des dizaines de rivières coulent à flot.

En Guadeloupe, où il y a de l’eau à profusion, tout le monde reconnaît maintenant que la pénurie est due à la vétusté du réseau d’adduction en eau potable. Plus de 60 % de l’eau produite se perd, car les tuyaux fuient à tous les niveaux.

La multinationale Veolia est responsable de ce problème. Pendant 69 ans, sa filiale, la Générale des eaux, devenue Veolia, a bénéficié d’un quasi-monopole en Guadeloupe. Elle a encaissé les factures, arrosé les élus pour s’assurer leur bienveillance, et laissé le réseau à l’abandon. Lorsque le problème est devenu trop lourd, en 2017, la Générale des eaux a plié bagage et a transféré la distribution de l’eau aux collectivités locales. Ces dernières, déjà lourdement endettées, sont bien sûr incapables de financer les travaux de rénovation nécessaires, dont on estime le coût réel à 900 millions d’euros. Quant aux politiciens locaux, ils ont laissé cette situation perdurer pendant des années, jusqu’au pourrissement d’aujourd’hui.

Les coupures d’eau sont donc maintenant de plus en plus fréquentes. La situation est dramatique dans certaines zones, en particulier le sud de la Basse-Terre.

Parmi les personnalités locales interviewées par France 2, Lucette Michaux-Chevry, figure politique de l’île, a osé parler sans honte du « plaisir d’attendre ». Elle qui fut ministre, présidente du conseil général et du conseil régional, maire du chef-lieu Basse-Terre, préside maintenant la communauté d’agglomération du sud Basse-Terre (CASBT) qui a entre autres la charge des questions d’adduction d’eau. Elle se trouvait alors mise en examen dans l’affaire de détournement de fonds publics de la CASBT, pour « association de malfaiteurs, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics, escroquerie en bande organisée, recel d’abus de biens sociaux, faux et usage de faux. »

Un autre notable, le maire de Saint-François, Laurent Bernier, n’hésite pas à blâmer la population, qu’il accuse de ne pas payer avec assez d’empressement ses factures d’eau. Mais ce que France 2 n’a pas signalé, c’est que l’eau, quand elle coule, est souvent contaminée par des polluants comme le chlordécone, voire par des bactéries d’origine fécale.

S’agissait-il de ne pas trop ternir la carte postale de Karukéra, nom caraïbe de la Guadeloupe, qui signifie « l’île aux belles eaux » ? 12

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guadeloupe
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Guadeloupe
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guadeloupe
(4) Extrait de la déclaration de Elie Domota au LKP  https://www.investigaction.net/fr/Rapports-de-race-et-de-classe-dans/
(5) LKP https://www.investigaction.net/fr/Annee-des-Outre-mer-ou-exposition/
(6) Interview de Élie Domota par Jean-Pierre Anselme  http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-anselme/191113/guadeloupe-la-situation-est-explosive
(7) Pierre Nodi  https://www.npa2009.org/content/guadeloupe%E2%80%89-cette-pwofitasyon-qui-p%C3%A8se-sur-la-classe-ouvri%C3%A8re
(8) Régine Vinon  https://npa2009.org/idees/international/guadeloupe-un-departement-pas-comme-les-autres
(9) https://www.npa2009.org/actualite/international/guadeloupe-justice-coloniale
(10) Philippe Belair  http://www.legrandsoir.info/ils-veulent-tuer-la-cgtg-cgt-guadeloupe.html
(11) Régine Vinon  https://npa2009.org/idees/international/guadeloupe-un-departement-pas-comme-les-autres
(12) Max Rodon https://journal.lutte-ouvriere.org/2018/11/14/guadeloupe-le-scandale-du-manque-deau-potable_114943.html