La Thailande

 

 

Fou-nan et Chen-la

Au IIIe siècle, une puissance maritime connue seulement par le nom que lui donnent les textes chinois, le Fou-nan, dont le centre économique était situé dans l'actuelle région d'Oc-Eo dans le sud du Viêt Nam, contrôle le sud du Viêt Nam, la basse vallée du fleuve Chao Phraya et le nord de la péninsule Malaise. La description qu'en donne le compte-rendu d'une mission chinoise venue entre 245 et 250, qui les décrits comme "tous laids et noirs avec des cheveux frisés, allant nus et nu-pied", on pense que les habitants du Fou-nan étaient ethniquement khmers.

À la fin du Ve siècle apparaît, dans le sud de l'actuel Laos, une nouvelle puissance, agraire celle-ci, et également connue seulement par son nom chinois : le Chen-la. Ce royaume s'étend bientôt sur le nord du Cambodge actuel et le nord-est de l'actuelle Thaïlande, et finit par annexer le Fou-nan. On considère que le Chen-la est l'ancêtre du Cambodge.

Cette vaste région (équivalent de l'Indochine moins le Dai-Viet) était connue par les étrangers comme le Sovannaphum ou le Sovarnabhumi.

 

Les Môns 

Entre les VIe et IXe siècle, la civilisation que l'on appelle Dvaravati s'épanouit dans le centre de la Thaïlande. Cette civilisation appartient à un peuple, les Môns, vivant de la Basse-Birmanie au nord de la péninsule Malaise. La dispersion des sites attribués à Dvaravati amène à penser que sa prospérité est liée au commerce qui sillonne l'Asie du Sud-Est continentale.

Au VIIe siècle les Môns fondent sur le site de l'actuelle Lopburi le royaume de Lavo (disparu en 1388), et au VIIIe ou IXe siècle celui d'Haripunjaya (disparu au XIIIe siècle) sur celui de l'actuelle Lamphun.

 

La péninsule malaise 

Très tôt, la péninsule malaise s'intègre dans un réseau commercial maritime qui relie la Chine à l'Inde, qu'on appelle parfois la Route maritime de la soie. Les cités-États portuaires de la péninsule adoptent des modèles culturels et politiques indiens. Des textes chinois du IIIe siècle après J.-C. mentionnent une cité qu'ils appellent Dun-sun, située dans le nord de la péninsule, qui contrôle les deux côtes.

Plus au sud, on a trouvé, près de la ville actuelle de Chaiya, des vestiges qu'on a datés du début du Ve siècle et appartenant à une cité que les textes chinois appellent Pan-pan.

À Chaiya même, on a trouvé une inscription datée de 697 de l'ère Saka (soit 775 après J.-C.), qui proclame qu'un roi de Sriwijaya, cité-État dont l'emplacement était sur l'actuelle ville de Palembang dans le sud de l'île indonésienne de Sumatra, y a érigé un stupa.

 

Les Khmers

À partir du IXe siècle les Khmers, qui ont établi leur capitale à Angkor, prennent progressivement le contrôle de l'ensemble de l'Asie du Sud-Est continentale, imposant leur domination à leurs cousins les Môns.

À cette époque, de premiers groupes de Thaïs, provenant de la Chine méridionale, commencent à s'établir dans les marches septentrionales de l'empire khmer, au nord des monts Dangrek. Pendant les XIe et XIIe siècles, l'élément thai devient dominant dans la population de la région.

 

Les royaumes de Sukhotaï et Lannathai

Selon la tradition, les chefs de clan thaïs de Sukhothaï s'affranchissent de la suzeraineté des Khmers en 1238 et élisent un roi. Le fils de ce roi, Ramkhamhaeng, c'est-à-dire « Rama le Hardi », est connu par une inscription datée de 1292, que les Thaïs considèrent comme l'acte fondateur de leur nation. Après sa mort, le pouvoir de Sukhothai a décliné et est devenu sujet du royaume d'Ayutthaya en 1365, qui a dominé la Thaïlande méridionale et centrale jusqu’en 1700.

Beaucoup d'autres États thaïs ont coexisté avec Sukhothai, notamment le royaume de Lannathai ou de Lanna dans le nord. Cet État a émergé à la même période que Sukhothaï, mais a survécu plus longtemps. Son histoire indépendante s’est terminée en 1558, quand il est tombé aux mains des Birmans ; il a ensuite été alternativement dominé par Ayutthayala et la Birmanie avant d'être conquis par le Roi siamois Taksin en 1775.

 

Le  royaume d'Ayutthaya (1350-1767)

Le premier souverain d'Ayutthaya, le roi Ramathibodi I, apporte deux contributions importantes à l'histoire de la Thaïlande : l'établissement et la promotion du bouddhisme theravāda comme religion officielle, pour différencier son royaume du royaume hindou voisin d'Angkor, et la compilation du Dharmashastra, un code légal basé sur des sources hindoues et des coutumes thaïes traditionnelles. Le Dharmashastra est demeuré un instrument de la loi thaïe jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Ayutthaya a des contacts avec l'Occident, à commencer par les Portugais au XVIe siècle. Mais jusque dans les années 1800, ce sont ses relations avec les nations voisines comme l'Inde et la Chine qui sont primordiales. Ayutthaya contrôle un territoire considérable, allant des royaumes du nord de la péninsule Malaise aux États du nord de la Thaïlande. Néanmoins, les Birmans, qui contrôlent le royaume de Lanna et ont également unifié leur royaume sous une dynastie puissante, lancent plusieurs tentatives d'invasion dans les années 1750 et 1760. Finalement, en 1767, les Birmans attaquent la ville d’Ayutthaya et la conquièrent. La famille royale fuit la ville où le roi meurt de faim dix jours plus tard, marquant la fin de la lignée royale d'Ayutthaya.

 

La période de Bangkok, Thonburi (1768-1932)

Après plus de 400 ans de puissance, en 1767, le royaume d'Ayutthaya est conquis par les armées birmanes, sa capitale incendiée et son territoire démembré. Le général Taksin parvient à réunifier le Siam à partir de sa nouvelle capitale de Thonburi et se fait proclamer roi en 1769.

Cependant, le roi Taksin est déclaré fou, dépossédé de son titre, emprisonné et exécuté en 1782. Le général Chakri lui succède en 1782 sous le nom de Rama Ier, premier roi de la nouvelle dynastie Chakri. La même année, il fonde une nouvelle capitale, Bangkok, sur la rive de la Chao Phraya, en face de Thonburi.

Dans les années 1790, les Birmans sont défaits et chassés du Siam. Le royaume de Lannathai, appelé aussi royaume de Lanna, s'étant aussi débarrassé de l’occupation birmane, un roi d'une nouvelle dynastie y est installé dans les années 1790. Ce roi n'est en réalité qu'une marionnette du roi Chakri.

 

Les relations avec les Européens au XIXe siècle

Après la victoire des Anglais sur le royaume birman d'Ava en 1826, les héritiers de Rama I s'inquiètent de la menace du colonialisme européen. La première reconnaissance thaïe d’une puissance coloniale dans la région est formalisée par la signature d'un traité d'amitié et de commerce avec le Royaume-Uni en 1826, le traité Burney.

En 1833, les États-Unis inaugurent des échanges diplomatiques avec le Siam. Cependant, c’est pendant les règnes de Mongkut (Rama IV) et de son fils le roi Chulalongkorn (Rama V) que la Thaïlande se rapproche fermement des puissances occidentales. Les Thaïs attribuent aux qualités diplomatiques de ces monarques et aux réformes modernistes de leurs gouvernements le fait que le Siam est le seul pays d'Asie du Sud-Est à avoir échappé à la colonisation.

Progressivement, au XIXe siècle, le Siam recule face à deux puissances européennes : le Royaume-Uni et la France. Ces deux puissances grignotent le pays, à la fois territorialement sur ses marges, et dans sa souveraineté.

La France, en 1873 et 1883, intervient deux fois pour mettre fin à la piraterie des Pavillons noirs dans le Tonkin, théoriquement sous protectorat siamois. En réaction, le Siam occupe Luang Prabang en 1883, mais ne peut empêcher l’installation d’un vice-consulat français dans cette ville en 1886 (Auguste Pavie), ni l’annexion en 1888 de 72 cantons par la France.

En 1893, plusieurs incidents opposent le Siam et la France : soit celle-ci les provoque, soit elle en exagère l'importance, faisant ainsi monter la pression, jusqu’à l’envoi illégal de deux canonnières à l’embouchure de la Chao Phraya, que leurs capitaines annoncent leur intention de remonter jusqu’à Bangkok. Le Siam se met en tort en ouvrant le feu : le casus belli est saisi par Pavie, résident français à Bangkok ce qui déclenche la guerre franco-siamoise de 1893. Il exige l’abandon de la rive orientale du Mékong ; un blocus est mis en place à l’embouchure du Chao Phraya. Le Siam cède et la France ajoute à ses exigences une zone démilitarisée large de 25 km le long de la rive occidentale du Mékong, plus les provinces de Battambang et de Siem Reap. La ville de Chanthaburi est occupée par une garnison française (traité signé le 3 octobre 1893).

Le 13 février 1904, la France annexe Luang Prabang et Champassak.

Du côté anglais, des provinces sont réunies à la Birmanie. Le chemin de fer vers Singapour est concédé en exclusivité à une société britannique. Le Royaume-Uni obtient de plus l’assurance qu’aucun canal ne sera percé dans l’isthme de Kra.

Le traité anglo-siamois de 1909 établit la frontière moderne entre le Siam et la Malaisie britannique. Le Siam doit céder à l’Angleterre les états malais de Kedah, Kelantan, Perlis et Terengganu, jusque là ses vassaux et qui deviennent protectorats britanniques. La suzeraineté thaïe est maintenue sur le royaume de Patani (divisé depuis pour donner les provinces de Pattani, Yala, Narathiwat) et le district de Setul, détaché du Kedah (et devenu depuis la province de Satun).

Une série de traités avec la France a fixé la frontière orientale présente du pays avec le Laos et le Cambodge, le Siam plus tôt avait fait des réclamations et dans une certaine mesure contrôlé ces deux territoires.

Au total, le Siam a perdu 456 000 km² durant le règne de Chulalongkorn.

 

Première guerre mondiale

Bien que le Siam ne soit pas concerné par la Première Guerre mondiale, le roi Rama VI décide de l'y engager dans l'espoir d'obtenir la fin des traités inégaux. Le pays déclare la guerre à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie le 22 juillet 1917. Son armée saisit plusieurs navires allemands et un petit corps expéditionnaire est envoyé en Europe. Cette action permet au Siam de figurer parmi les vainqueurs de la guerre au Traité de Versailles et parmi les fondateurs de la Société des Nations.

 

La dictature militaire et la Seconde Guerre mondiale

Le coup d'État du 24 juin 1932 au Siam est une transition sans effusion de sang d'une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle. Parmi les conspirateurs se trouve le lieutenant-colonel Plaek Pibulsonggram, plus connu sous le nom de Phibun. En 1935, le roi Prajadhipok abdique. Son neveu Ananda Mahidol, un enfant qui suit son éducation en Suisse, est désigné pour lui succéder.

En 1938, Phibun, qui a maintenant le grade de major-général, devient premier ministre. C'est un admirateur de Mussolini. Il fait arrêter 40 opposants politiques en 1939, monarchistes aussi bien que démocrates. Après une parodie de procès, 18 d'entre eux sont exécutés. Phibun change le nom du pays, qui de Siam devient Prathet Thai, "pays des Thaïs" ou Thaïlande. Ce nom sous-entendait une unité de tous les peuples de langue thaï, ce qui incluait les Lao du laos et les Shan de Birmanie, mais excluait les Chinois. Le slogan du régime est d'ailleurs la "Thaïlande aux Thais". Un autre argument est étymologique, le mot thai signifiant également "libre". Le nom de Prathet Thai est d'abord employé non officiellement entre 1939 et 1945 puis déclaré officiel le 11 mai 1949.

En 1940, profitant de l’affaiblissement de la France après la défaite de juin devant les Allemands, la Thaïlande attaque l’Indochine française. La guerre franco-thaïlandaise dure quelques mois, et se conclut par l'annexion de quelques provinces par la Thaïlande, notamment grâce à l'arbitrage de l'Empire du Japon, soucieux de se ménager un allié en Asie.

Le 8 décembre 1941, quelques heures après l'attaque de Pearl Harbor, la 25ème armée japonaise envahit le sud de la Malaisie, alors sous protectorat britannique. Le gouvernement thaïlandais ayant tardé à donner l'autorisation de traverser son territoire, le Japon passe en force. Des heurts se produisent entre Thaïlandais et Japonais, mais un cessez-le-feu est décrété le même jour. Constatant l'avance foudroyante des Japonais dans la Bataille de Malaisie, le gouvernement thaïlandais oublie ses réticences et s'allie avec l'Empire du Japon. Le Quartier général impérial signe le 21 décembre un "traité d'amitié" avec le gouvernement thaïlandais et l'amène à lui laisser l'usage de ses bases militaires pour l'invasion des autres pays d'Asie du Sud-Est. Le 22 janvier 1942, la 55e division japonaise lance depuis Rahaeng en Thaïlande (province de Pathum Thani) une attaque sur la Birmanie à travers le col de Kawkareik en pays karen. La 17e division indienne de l'armée britannique, qui gardait le secteur, formée à la hâte et mal entraînée, doit battre en retraite vers l'ouest.

En accord avec l'alliance militaire entre la Thaïlande et le Japon signée le 21 décembre 1941, le 25 janvier 1942, la Thaïlande déclare la guerre aux États-Unis et au Royaume-Uni. Des éléments de l'armée thaïlandaise franchissent la frontière et pénètrent dans l'état Shan (dont les habitants sont de langue de la même famille que le thaï) en Birmanie le 10 mai 1942. Trois divisions d'infanterie et une division de cavalerie, précédées de groupes de reconnaissance et soutenues par l'aviation, entrent en contact avec la 93e division chinoise, qui doit battre en retraite. Kengtung est prise le 27 mai. De nouvelles offensives repoussent les troupes chinoises au Yunnan dans le sud de la Chine.

En août 1943, les Alliés créent le South East Asia Command (SEAC) dans le but de coordonner leurs différentes troupes présentes sur le théâtre d'Asie du Sud-Est. La première zone d'opération pour les forces terrestres du SEAC est constituée par l'Inde, la Birmanie, Ceylan, la Malaisie, Sumatra (dans l'actuelle Indonésie) et la Thaïlande.

Une opposition à la politique de Plaek Pibulsonggram se fait jour en Thaïlande. Seni Pramoj, ambassadeur de la Thaïlande aux États-Unis, refuse de remettre la déclaration de guerre, et fonde à Washington les Forces Thaïlandaises Libres. La Reine Ramphaiphanni, veuve de l'ancien Roi, anime un gouvernement en exil au Royaume-Uni. Le régent Pridi Banomyong anime secrètement des mouvements anti-japonais. L'économie de la Thaïlande souffre de sa participation au conflit mondial. En tant qu'allié du Japon, le pays subit des bombardements.

Avec les revers successifs du Japon, Phibun est mis en minorité à l'Assemblée et contraint de démissionner. À la fin de la guerre, les Alliés le jugent pour crimes de guerre et collaboration avec l'ennemi. Mais l'opinion publique, qui lui est favorable, amène à l'arrêt des poursuites.

 

Après la Seconde Guerre mondiale

Le jeune Roi Ananda Mahidol revient en Thaïlande à la fin 1945, après des années d'absence. Mais, le 9 juin 1946, il est retrouvé mort, tué d'une balle, dans des circonstances obscures. Son frère Bhumibol Adulyadej lui succède.

En novembre 1947, des unités de l'armée contrôlées par Phibun forcent le gouvernement à démissionner. Phibun redevient premier ministre en avril 1948.

Cette fois-ci, son régime adopte une façade démocratique. Il reçoit de l'aide des États-Unis lorsque la Thaïlande participe à la force multinationale des Nations Unies lors de la guerre de Corée.

Phibun renoue avec sa politique anti-chinoise des années 1930. Son gouvernement arrête l'immigration chinoise et prend diverses mesures pour restreindre la domination économique des Chinois en Thaïlande. Les écoles et associations chinoises sont de nouveau interdites.

En 1951, alors qu'il assiste à une cérémonie à bord du USS Manhattan de la marine américaine, Phibun est pris en otage par un groupe d'officiers de la marine thaïlandaise. Des combats éclatent dans les rues de Bangkok entre la marine et l'armée de terre, cette dernière étant soutenue par l'armée de l'air. Phibun réussit à s'échapper. Les marins déposent les armes.

La Thaïlande devient un allié officiel des États-Unis avec la signature de l'Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est (SEATO dans son sigle anglais) en 1954. Durant la guerre d'Indochine, elle reste néanmoins à l'écart.

En 1957, le maréchal Sarit Dhanaraj (=Thanarat) prend le pouvoir et force Phibun à s'exiler au Japon. Ce dernier y demeurera jusqu'à sa mort en 1964.

La Thaïlande passe un accord secret avec les États-Unis en 1961. Elle envoie des troupes au Viêt Nam et au Laos et autorise les États-Unis à installer des bases aériennes dans l'est du pays, d'où décollent les bombardiers B-52 qui pilonnent le Nord Viêt Nam.

 

1973 et après : un début de démocratie

L'histoire de la Thaïlande depuis 1973 a été une suite de transitions difficiles et parfois sanglantes entre le pouvoir militaire et civil. La révolution de 1973 a été suivie d’une brève et instable démocratie, puis du retour à un régime militaire, porté au pouvoir par un coup d’État en 1976.

 

Révolution de 1973

En octobre 1973 des manifestations massives ont eu lieu à Bangkok, exigeant la fin du régime militaire. Le général Thanom Kittikachorn a répondu avec force, et jusqu'à 70 manifestants ont été tués dans les rues, du jamais vu en Thaïlande. Cette intervention violente du régime militaire a incité le roi Rama IX à faire sa première intervention dans la politique thaïlandaise en retirant son appui au régime militaire, et le 14 octobre 1973, le général Thanom Kittikachorn a démissionné et a quitté le pays.

Les événements d'octobre 1973 se sont révélés une révolution dans la politique thaïe. Pour la première fois, la bourgeoisie urbaine, menée par les étudiants, avait défait les forces combinées de la vieille classe régnante et de l'armée et gagné la bénédiction apparente du Roi pour une transition vers la pleine démocratie, symbolisée par une nouvelle constitution qui prévoit une législature entièrement élue.

Mais la Thaïlande n'avait pas encore produit une classe politique en mesure de faire fonctionner cette nouvelle démocratie sans à-coup. Les élections de janvier 1975 n'ont pas produit une majorité stable, et une nouvelle élection en avril 1976 a donné les mêmes résultats. Le politicien-vétéran Seni Pramoj et son frère Kukrit Pramoj ont alterné au pouvoir, mais n’ont pas été en mesure de mener une réforme cohérente du système politique. La forte hausse des prix du pétrole en 1974 a mené à une récession et à l'inflation, affaiblissant la position du gouvernement. Le geste politique le plus populaire du gouvernement démocratique a été d'ordonner le retrait des forces américaines de Thaïlande.

La sagesse de ce geste a été bientôt remise en cause, quand les communistes ont pris le pouvoir au Viêt Nam, au Laos et au Cambodge en avril et mai 1975. L'arrivée des régimes communistes aux frontières de la Thaïlande, l'abolition de 600 ans de monarchie laotienne et l'arrivée d'une pléthore de réfugiés du Laos et du Cambodge, ont fait basculer l'opinion publique thaï à nouveau vers la droite et les conservateurs ont fait bien mieux aux élections de 1976 qu'en 1975. L'aile gauche du mouvement étudiant n'a pas accepté leur victoire et a continué à manifester pour des changements radicaux.

 

Régime militaire

À la fin de 1976, la bourgeoisie modérée a tourné le dos au radicalisme de plus en plus militant des étudiants basé à l'université Thammasat. L'armée et les parties de droite ont lutté contre les radicaux de gauche avec des groupes paramilitaires tels que les « Village Scouts » et le « Red Gaurs ». L'exemple s’est présenté en octobre quand Thanom est revenu en Thaïlande pour entrer au monastère. Des manifestations violentes d'étudiants se sont heurtées à des contre-manifestants. Le 6 octobre 1976, l'armée a lâché les paramilitaires sur les manifestants, et a utilisé cette orgie de violence, dans laquelle des centaines d'étudiants ont été torturés et tués, pour suspendre la constitution et reprendre le pouvoir.

À partir de cette date, de nombreux gauchistes prennent le maquis pour rejoindre le parti communiste thaïlandais (PCT) d'obédience maoïste.

Au cours de la plus grande partie des années 1980, le général Prem Tinsulanonda a régné sur la Thaïlande à la tête du régime militaire, et ce, avec un mandat démocratique à partir de 1983. Par la suite, le pays est demeuré une démocratie, mise à part une brève période sous un régime militaire de 1991 à 1992.1

 

Années 90 : Irruption de la société civile

Les discours sur ce pays où « tout le monde vit en harmonie et où il n’existe pas de lutte de classes mais un peuple uni derrière son souverain adoré » n’ont rien à voir avec la réalité. Durant plusieurs décennies, le peuple thaïlandais a été asservi par des régimes autoritaires ou des dictatures et un roi à leur service. Les élites thaïlandaises n’ont cependant pas réussi à empêcher des soulèvements réguliers contre l’ordre établi, dont ceux de 1973, 1976, 1992, réprimés dans des bains de sang.

Le boom économique de la période 1986-1996 a entraîné des mutations irréversibles de la société, notamment la formation d’une classe ouvrière d’environ 7 millions de membres et des réformes politiques structurelles.

Les bouleversements économiques et politiques des années 90 ont modifié un équilibre qui datait des années 30, établit avec la fin de la monarchie absolue. Après le coup d’État militaire de 1991 et la répression de 1992, la société civile s’est invitée dans le champ jusqu’alors très réservé de la politique.

À la suite d’un processus qui dure plusieurs années et d’une consultation publique, une 16ième constitution, appelée « constitution du peuple », est instituée en 1997. Pour la première fois dans l’histoire de la Thaïlande, les deux chambres sont élues au suffrage universel. Les pouvoirs exécutifs et législatifs sont séparés. La constitution se dote de contre-pouvoirs pour combattre la corruption et défendre les droits de l’homme. Si elle permet de réelles avancées démocratiques, elle n’en a pas moins de très nombreuses limites. Il faut être titulaire d’un diplôme universitaire pour devenir membre du parlement. On y voit le mépris des élites envers le peuple et un bon moyen pour l’establishment de maintenir ses privilèges. Le système de liste de partis est décrié par les petites formations politiques pour qui il sera plus difficile d’obtenir des élus. Les procédures électorales mises en place sont faites pour renforcer le bipartisme afin d’assurer plus de stabilité politique: entre 1995 et 1997, la Thaïlande a connu 4 gouvernements ! Dans le même sens, le rôle du premier ministre est renforcé.

La répression de 1992 a ouvert une réflexion sur la nécessité de transparence en politique et sur le rôle et la place des militaires au sein de la société. Pendant de nombreuses années, l’armée va être cantonnée dans ses casernes. Mais en réalité, elle n’a pas renoncé à exercer le pouvoir et les gouvernements civils n’ont pas remis en cause ses privilèges. L’armée reste une puissante institution financière et politique qui exerce son pouvoir en sous main.

La première moitié des années 90 est aussi celle d’une forte croissance économique et d’une accélération de l’industrialisation. Des centaines de milliers de jeunes ruraux, en particulier des femmes, partent travailler dans les entreprises manufacturières et les services à Bangkok et dans ses environs. Les salaires sont bas et les conditions de vie difficiles mais toujours plus enviables que de cultiver la terre, peu fertile dans le cas de l’Isaan. Le travail à Bangkok n’offre pas seulement une possibilité de gagner de l’argent et d’aider les parents et les enfants restés au village. Cette migration des jeunes vers la capitale est révélatrice des transformations en cours dans la société thaïlandaise : Elle leur offre la possibilité d’être « Thansamai », d’accéder à un mode de vie différent, « moderne », de s’affranchir de « traditions » jugées arriérées et pesantes. Comme partout ailleurs, les Thaïlandais aspirent au même mode de vie qu’ils voient à la télévision et ils aimeraient bien profiter des fruits de la croissance.

Le boom économique est stoppé net par le début de la grande crise financière de 1997 qui touche d’abord la Thaïlande et se répercute ensuite à une série de pays d’Asie. De très nombreuses entreprises font faillite. Celles liées aux services protégés par l’État s’en sortent mieux. C’est le cas des entreprises de Thaksin Shinawatra, un milliardaire qui a fait fortune dans les télécommunications grâce aux licences et aux concessions qu’il a obtenu des différents gouvernements et des militaires dans les années 90. L’instabilité politique et économique due à la crise le renforce dans l’idée de se lancer en politique. Le retrait politique de l’armée a ouvert un espace politique. Dans les milieux du business, l’idée s’est développée que l’armée n’est plus à même de gérer les affaires publiques dans un monde de plus en plus complexe et globalisé. En 1998, Thaksin fonde son propre parti, le Thai Rak Thai (TRT- les thaïs aiment les thaïs) avec quelques grosses fortunes réchappées de la crise. En 2001, il est élu sur la base d’un programme politique qui essaye de répondre à de nombreuses demandes sociales, parfois contradictoires. Une fois élu, il met en œuvre une politique « pro pauvre » qui améliore considérablement le sort de millions de petites gens. Thaksin crée un système de santé presque gratuite (moins d’un euro pour une consultation médicale), soulage les paysans endettés en octroyant un moratoire de plusieurs années sur leur dette, met en place un système de micro crédit pour favoriser des projets de développement dans les villages. Il n’oublie cependant pas qu’il est un businessman milliardaire dont la politique sert d’abord ses intérêts. Corruption, autoritarisme et népotisme sont des fléaux qui prospèrent avec lui lorsqu’il est premier ministre.

Il n’en demeure pas moins que pour la première fois un homme politique thaïlandais s’est occupé du sort de millions de ses administrés. Sa politique s’inscrit très clairement dans une tradition populiste classique : satisfaire les demandes des paysans et des ouvriers pour s’assurer une base électorale et la stabilité nécessaire à la bonne marche des affaires. Museler le mouvement ouvrier en maintenant les lois restreignant l’activité syndicale et un système électoral qui, en obligeant les ouvriers urbains à voter dans leur région rurale d’origine, bloque l’émergence de partis de gauche. La guerre à la drogue, menée au début de son premier mandat, s’est soldée par des milliers de morts et d’arrestations arbitraires. Thaksin a aussi relancé la guerre contre la minorité malaise de l’extrême sud thaïlandais. Malgré cette violence étatique, que Thaksin en démagogue habile a su utiliser pour renforcer sa légitimité, le volet social de sa politique lui vaut une popularité immense. Elle lui permettra d’être le seul homme politique thaïlandais à obtenir un deuxième mandat consécutif. Il est réélu triomphalement en 2005. Chemin faisant, il ne mesure pas à quel point, il a bouleversé les équilibres traditionnels du pouvoir.

 

Les germes d’une nouvelle crise politique

Les bases d’une nouvelle crise politique sont maintenant toutes réunies. Quand Thaksin arrive au pouvoir, la Thaïlande est dirigée depuis près de 70 ans par une élite qui détient l’argent et le pouvoir : les militaires, la haute bureaucratie, la monarchie et quelques grandes familles industrielles. Ils partagent en commun un mépris profond pour le peuple qu’ils jugent inculte et non apte à la démocratie. Plus d’une vingtaine de coups d’État depuis la fin de la monarchie absolue en 1932 en attestent. La démocratie, ils en veulent bien, mais une démocratie « version thaï » qui serait « mieux adaptée » à l’histoire, aux valeurs et à la culture thaïlandaise. En opposition aux valeurs occidentales, les « valeurs asiatiques » mettraient en avant « la primauté du groupe sur l’individu, le respect des autres, le sens de la communauté, la frugalité, l’éducation, l’acceptation de la hiérarchie ». En fait, tout cela sert de justification idéologique à un système très inégalitaire et à des lois profondément anti démocratiques permettant à quelques privilégiés de s’enrichir et de se maintenir au pouvoir. Les administrés n’ont pas à intervenir dans la prise de décisions des gouvernants qui n’ont pas à motiver ni à rendre compte de leur action. Le sentiment d’appartenance à la nation est inculqué au peuple prié de faire passer ses intérêts après ceux de la patrie. Au cœur de cette construction idéologique, le roi occupe une place centrale. « Père » de la nation qu’il incarne, il rend régulièrement visite à ses « enfants » pour écouter leurs doléances qu’il réinterprète « convenablement ». La monarchie est au centre de (très) nombreuses œuvres de bienfaisance et de projet de développement des campagnes. L’« économie de l’autosuffisance », « théorie » économique élaborée récemment par le roi illustre bien les mécanismes paternalistes et de maintien des hiérarchies sociales. « L’autosuffisance a trois principes clefs : modération, sagesse et perspicacité, et la nécessité de mettre en place l’autosuffisance contre les risques qui proviennent de changements internes ou externes…». Le message est clair : les paysans et les pauvres sont priés de faire avec ce qu’ils ont. Si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils ne savent pas mettre en œuvre des solutions adaptées aux moyens dont ils disposent… Des lois d’exceptions comme l’ISA (Internal Security Act) et le crime de lèse-majesté sont instituées pour étouffer toute contestation.

Le jeu politique est totalement dévoyé. Les liens politiques sont d’abord des rapports marchands et clientélistes : achat de voix à grande échelle et collusion entre business et politique. Dans les années 90, plus de la moitié des députés sont issus des milieux d’affaires. Les différents partis politiques ne représentent en rien une alternative mais se constituent pour peser dans des coalitions gouvernementales où ils espèrent profiter des opportunités pour faire des affaires. Un retour sur investissement en quelque sorte : se constituer une base électorale coûte très cher.

D’un autre côté, l’amélioration des conditions de vie apportée par le boom économique de la période 86-96 a permis de diminuer les tensions sociales et les revendications. Avec la crise de 1997, les données changent. Des centaines de milliers d’employés des usines de la région de Bangkok sont licenciés et beaucoup retournent à la campagne sans indemnités. L’idée développée par les élites au pouvoir en Asie (en particulier par Mahathir en Malaisie et Lee Kwan Yew à Singapour) que la croissance économique doit passer avant la démocratie est sérieusement ébranlée.

Les années Thaksin ont permis à la population de prendre conscience que le jeu électoral peut aussi bénéficier à ceux qui « n’ont rien ». Il est possible de mettre en œuvre des politiques économiques redistributives et plus égalitaires.

Thaksin a profité à plein du système. Durant son premier mandat, il a favorisé les entreprises « amies » et placé des « fidèles » à la tête de l’armée. L’establishment traditionnel se sent menacé : les opportunités financières, les contrats juteux leur échappent. Le conseil privé du roi perd la main sur les promotions dans l’armée, le principal levier de maintien de l’ordre. Le parti démocrate, principal parti d’opposition et allié de l’establishment n’est pas en mesure de rivaliser avec le TRT sur le terrain électoral. Il n’a pas remporté d’élections depuis près de 10 ans. Le roi lui-même se sent menacé. La popularité de Thaksin rentre directement en concurrence avec la sienne. L’ordre traditionnel est remis en cause.

 

La campagne élit les gouvernements, Bangkok les renverse

L’establishment cherche par tous les moyens à se débarrasser de Thaksin. Une opportunité est offerte en janvier 2006, lorsqu’il décide de vendre sa société Shin Corp à Temasek, une entreprise détenue par l’État de Singapour. Des forces royalistes organisées autour de Sondhi Limtongkul lancent une campagne nationaliste pour la démission du premier ministre et réussissent à fédérer les nombreuses luttes du moment contre la privatisation de l’entreprise publique d’électricité EGAT, contre les accords de libre échange avec les USA, contre la décentralisation dans l’éducation… Thaksin remet son mandat en jeu en avril 2006 mais malgré les nombreuses manifestations contre lui et une intervention publique du roi, il gagne à nouveau les élections.

C’en est trop. L’armée opte pour l’option militaire, sans aucun doute avec l’assentiment du « palais ». Le 19 septembre 2006, profitant d’un voyage international de Thaksin à l’ONU, un nouveau coup d’État militaire est organisé, sans que le sang soit versé cette fois-ci. Les objectifs avancés sont la lutte contre la corruption et la nécessité de restaurer « l’unité du pays » mise à mal par plusieurs mois de manifestations ininterrompues. L’establishment, les forces royalistes mais aussi une grande partie de l’intelligentsia et des classes moyennes se félicitent du renversement de Thaksin « le corrompu ».

Dans l’année qui suit le coup d’État, tout est mis en œuvre pour détruire les instruments du pouvoir de Thaksin : le Thai Rak Thai (TRT) est dissout, 111 parlementaires du parti sont jugés inéligibles pour les 5 ans à venir. Une partie des avoirs de Thaksin est gelée (près de 2 milliards de dollars). Une nouvelle constitution est écrite sous la dictée des militaires. Las, malgré le maintien de la loi martiale dans les bastions de Thaksin du nord et du nord-est, les militaires ne peuvent empêcher une victoire du People’s Power Party (PPP), héritier du TRT, lors du scrutin du 23 décembre 2007. La victoire des forces alliées à Thaksin ravive la crise. Très rapidement, le nouveau gouvernement de Samak Sundaravej envisage d’amender la nouvelle constitution pour se prémunir d’une nouvelle dissolution par le pouvoir judiciaire qui a été considérablement renforcé par la nouvelle constitution, lui permettant notamment de dissoudre un parti si l’un de ses membres est jugé coupable d’un crime.

De mai 2008 à décembre de la même année, l’« alliance du peuple pour la démocratie » (PAD) mène une lutte sans merci pour imposer la démission du premier ministre Samak. Les Chemises jaunes ne sont en rien une force progressiste comme le laisse supposer leur nom. Le mouvement est dirigé par Sonthi Limtongkul, un magnat de la presse, ancien partenaire en affaire de Thaksin, ruiné par la crise de 97. Il a fédéré autour de lui toutes sortes de mécontents : des royalistes qui se sentaient menacés politiquement et économiquement par la clique affairiste de Thaksin ; des militaires qui n’acceptaient pas de voir leur emprise sur la société réduite depuis 1992 ; des membres du parti démocrate, traditionnel allié de la royauté et de l’armée et rejeté à la périphérie des affaires ; des juges des différentes hautes cours ; des intellectuels et des membres de la classe moyenne fatigués par la corruption et les affaires ; des moines appartenant à des sectes bouddhistes réactionnaires … Tous ont soutenu le coup d’État militaire. Parmi les principaux dirigeants, on trouve Chamlong Srimuang, Phanlop Phinmanee et Prasong Soonsiri, trois des principaux vétérans de la guerre contre l’insurrection communiste des années 70-80. Tous ont en horreur le peuple qu’ils jugent trop ignorant pour être habilité à voter et à intervenir dans les affaires politiques. Ils sont contre la démocratie et se sont mobilisés pour que la nouvelle constitution mette en place un système élitiste dans lequel seulement 30 % des sièges au parlement seraient pourvus directement par un vote populaire. Ils considèrent le gouvernement de Samak élu démocratiquement par la majorité comme illégitime. À plusieurs reprises, les Chemises jaunes reçoivent le soutien explicite de la très réactionnaire reine Sirikit.

À partir du mois de mai 2008, soutenus par le parti démocrate et Abhisit, les Chemises jaunes se remobilisent. Durant plusieurs semaines, ils occupent le bureau du premier ministre. En septembre, le gouvernement de Samak est dissout par une décision de justice. Samak, fin gourmet, est condamné pour avoir été rémunéré lors de sa participation à des émissions télévisées de cuisine ! En réponse, un nouveau gouvernement est formé autour de Somchai Wongsawat, beau frère de Thaksin. La lutte culmine avec le siège des deux aéroports de Bangkok fin novembre 2008, bloquant pendant une semaine plusieurs milliers de passagers et hypothéquant l’économie thaïlandaise déjà perturbée par la crise économique mondiale. Le 2 décembre 2008, le PPP est dissout par la cour constitutionnelle pour fraude électorale. Le 15 décembre, suite à un renversement d’alliance organisé par les militaires au sein du parlement, Abhisit Vejjajiva est élu 27ième premier ministre par les députés.

Un coup d’État militaire et deux décisions de justice ont renversé trois gouvernements dont la légitimité démocratique ne faisait aucun doute. Pour la majorité des thaïlandais, il apparaît de plus en plus clairement que le jeu démocratique est pipé et la justice au service des nantis. À ce jour, les dirigeants de la PAD qui ont bloqué les deux aéroports de Bangkok n’ont toujours pas été traduits en justice…. Les campagnes élisent les gouvernements et les élites de Bangkok les renversent s’ils ne recueillent pas leur assentiment ! Cette réalité montre aussi combien les différentiations spatiales et de classe se recoupent en Thaïlande. Les élites et les riches vivent à Bangkok, les pauvres sont issus des provinces. À Bangkok, on parle des paysans en utilisant le terme très méprisant de baan nok (« maison à l’extérieur »). Habiter la campagne c’est être arriéré, non éduqué, pas civilisé et naïf…

 

Qui sont les chemises rouges ?

C’est face à cette situation ouverte par la mise en place du gouvernement d’Abhisit que se constitue début 2009 le « Front Uni pour la démocratie et contre la dictature » (UDD), le mouvement des Chemises rouges. Ce mouvement politique et social est constitué à l’origine par l’union des défenseurs de Thaksin et des forces pro-démocratie qui ont vu le jour après le coup d’État. L’alliance a su mobiliser une base populaire constituée pour la plupart de paysans, de villageois et d’ouvriers urbains, en particulier dans le nord et le nord-est du pays, fatigués par le double langage de la justice, par l’absence de démocratie et par le maintien d’inégalités profondes malgré une réelle modernisation du pays. Bien qu’il ait en partie repris à son compte les réformes politiques de Thaksin, Abhisit apparaît pour ce qu’il est, le représentant des élites traditionnelles. L’unité du mouvement se fait autour du mot d’ordre de démission du premier ministre Abhisit et de nouvelles élections parlementaires démocratiques.

La fortune de Thaksin a largement contribué à développer la lutte, au moins dans un premier temps. Néanmoins, le mouvement des Chemises rouges a fortement évolué depuis sa naissance. Si Thaksin reste un « héros » pour beaucoup de Chemises rouges qui lui sont reconnaissantes d’avoir contribué à l’amélioration de leurs conditions de vie, les revendications sont maintenant d’un autre ordre. Les objectifs de Thaksin et des dirigeants de l’UDD sont pour le moins divergents. Les dirigeants des Chemises rouges se sont fait les champions de la justice sociale et de la démocratie. Des « habits » qui vont mal à Thaksin. Par ailleurs, ces chances de revenir au pouvoir sont minces et son principal objectif pourrait bien être de récupérer les 1,4 milliard de dollars saisis par la justice en février 2010. De fait, Thaksin s’est mis en retrait du mouvement et comme le soulignait Chang Noi, un éditorialiste très connu en Thaïlande, « Thaksin pourrait bien ne pas vouloir chevaucher ce tigre maintenant qu’il sait combien il est grand et féroce ».

De part sa composition, l’UDD est dès le départ un mouvement large et hétéroclite. L’unité autour du mot d’ordre de démission d’Abhisit et pour des élections immédiates masque mal des vues et des objectifs politiques bien différents parmi les dirigeants. D’après Tumberblog, un certain nombre de dirigeants comme Surachai Danwattananusorn « Sae-Dan », Jaran Dithapichai, Weng Tojirakarn ou Vipoothalaeng Pattanaphumthai sont d’anciens communistes. D’autres comme, Jatuporn Promphan sont des députés du parti Puea Thai, un héritier du Thai Rak Thai (TRT) et du People’s Power Party (PPP). La plupart sont royalistes ou en tout cas ne remettent pas publiquement en cause la monarchie constitutionnelle. La loi sur le crime de lèse majesté interdit tout débat sur la monarchie. Le « crime » peut être sanctionné de 3 à 15 ans de prison. Cela ne favorise pas la liberté d’expression et plusieurs personnalités des Chemises rouges, comme Giles Ji Ungpakorn et Jakaprob Penkair ont du s’exiler pour éviter la prison.

Au moins d’août 2009, après plusieurs mois d’âpres discussions, des divergences sont apparues publiquement entre les dirigeants du mouvement. Jakaprob Penkair et « Sae-Dan » l’ont quitté pour former leur propre groupe « Red Siam ». La scission s’est opérée autour de la tactique prônée par les principaux dirigeants d’organiser une pétition pour demander le pardon royal pour Thaksin. Une question fondamentale : autour de l’appel au roi est posée la question de la place de la monarchie et de son évolution souhaitable et possible. Les détracteurs ont fait valoir que cette pétition accordait au roi le pouvoir d’inférer de manière non démocratique sur la lutte des Chemises rouges et laissait perdurer des illusions sur les intentions de la monarchie. De leur côté, les trois dirigeants du groupe « Kwam Jing Wannee » (la vérité aujourd’hui), Jatuporn Promphan, Weera Musikapong et Nattawut Saikua, se battent pour des réformes mineures dans le cadre de la monarchie actuelle. Jatuporn l’explique très clairement au journal The Nation : « nous voulons la démocratie avec le Roi comme chef de l’État, c’est pourquoi nos activités se limitent à attaquer le président du Conseil privé Prem Tinsulanonda ou des figures moins importantes pour prévenir une escalade de la lutte qui conduirait à transgresser la monarchie constitutionnelle ». Les dirigeants de Red Siam, plus radicaux, sont d’avis que la monarchie doit être réformée. Toutefois ils ne remettent pas non plus en cause le cadre actuel de la monarchie constitutionnelle.

À la base, les Chemises rouges ne sont pas les dangereux « terroristes » et comploteurs contre la monarchie dépeints par le gouvernement. Ce sont des gens ordinaires. Résultat d’un bourrage de crâne organisé dès le berceau, ils sont pour la plupart religieux, nationalistes et royalistes. C’est ce qui rend ce mouvement politique différent des révoltes précédentes de 1973, 1976 et 1992. Pour la première fois, ce sont les gens ordinaires de province, les paysans, les ouvriers, les pauvres et aussi les classes moyennes les moins riches de Bangkok qui se mobilisent. La base du mouvement s’est élargie car une partie des classes moyennes a pris conscience du coût élevé qu’a représenté le coup d’État, tant en termes politiques qu’économiques et elle soutient maintenant un mouvement qui cherche à rétablir la démocratie. De nombreux habitants de Bangkok sont venus apporter leur soutien aux Chemises rouges ou les rejoindre.

L’UDD a su mettre en lumière la spécificité de cette révolte en réactualisant les termes désuets dans la langue thaïe de « phrai » (serf) et « amart » (nobles). Ces termes permettent d’illustrer l’oppression et les injustices dont sont victimes ceux qui « n’ont rien » en opposition aux privilégiés. Il s’agit bien d’une lutte de classe, de la révolte des laissés pour compte contre l’ordre établi. Le mouvement a mis à nu les rouages de ce système profondément inégalitaire, au centre duquel se place la monarchie.

 

Fin de règne

La monarchie est-elle encore au centre du système ? La question est légitime. La crise politique a sérieusement déstabilisé l’institution. Les références systématiques à la monarchie par les royalistes eux-mêmes, d’abord par l’armée pour légitimer le coup d’État puis par les Chemises jaunes pour légitimer leurs mobilisations contre les gouvernements « pro Thaksin », ont contribué à déconstruire l’image du « palais », garant de l’unité nationale et arbitre des conflits partisans, élaborée durant plusieurs décennies. Les doutes se font sentir parmi les Chemises rouges et il sera plus difficile dorénavant pour l’establishment de maintenir son emprise sur la société en invoquant la protection de la monarchie.

La crise a aussi révélé que la monarchie n’est plus en mesure comme par le passé de peser sur les événements pour tenter d’étouffer les protestations. Le roi est mourant. Il est à l’hôpital depuis le mois de septembre 2009. La question de la succession est posée et a ouvert une autre crise politique au sein des élites. La légitimité de la monarchie repose en grande partie sur l’image quasi déifiée du roi actuel. Or, l’héritier désigné du trône, le prince Vajiralongkorn, est totalement dépourvu des « qualités » de son père Bhumibol (« l’homme qui est béni »). Il est faible politiquement, connu pour ses mœurs décadentes et détesté par la majorité des thaïlandais. Les histoires salaces sur sa vie privée font le tour des sites web avant d’être censurées. Il est de plus lié à Thaksin qui a en partie financé son train de vie par le passé. Or, les enjeux financiers sont énormes. Le magasine Forbes estimait en 2009 que la monarchie Thaï était la monarchie la plus riche au monde avec 30 milliards de dollars d’avoirs nets. Ses investissements financiers et industriels dans tous les secteurs de l’économie thaïlandaise sont colossaux. La bonne marche des affaires repose, on le comprend bien, sur le maintien de l’ordre établi. Vu le peu de charisme et de légitimité de Vajiralongkorn, il ne sera pas en mesure d’avoir une quelconque autorité politique. La princesse Sirindhorn pourrait remplir un tel rôle car elle très appréciée mais la loi ne le permet pas sauf si l’héritier venait à décéder… Les luttes intestines pour la succession vont bon train. Chacun des prétendants a noué des alliances avec des fractions de l’armée et de la police, ce qui explique en partie les indécisions du gouvernement.

À l’autre bout de l’échelle sociale, on est très loin de la vie de château. En 2010, un rapport de l’UNDP sur la Thaïlande nous apprend que les inégalités n’ont cessé de croître ces dernières années. L’UNDP compare la part du revenu des 5 % les plus riches à celle des 5 % les plus pauvres. Les résultats sont édifiants : Dans des sociétés relativement égalitaires comme le Japon ou la Scandinavie, le rapport est environ de 3 à 4, c’est-à-dire que les 5 % les plus riches sont entre trois et quatre fois plus riches que les 5 % les plus pauvres. Dans le reste de l’Europe et en Amérique du nord il est de 5 à 8. Parmi les voisins de la Thaïlande, le rapport est environ de 9 à 11. En Thaïlande il est aux alentours de 13 à 15. Ces inégalités sont de moins en moins acceptées par la population.2

 

Les manifestations politiques de mai 2010

La colère contre le gouvernement du premier ministre Abhisit Vejjajiva était grande tout au long de 2009, suite aux manœuvres légales et militaires controversées qui ont mené à sa formation. Le 26 février 2010, la cour suprême rend son verdict sur les avoirs gelés de l'ancien premier ministre en exil depuis le coup d'état de 2006 Thaksin Shinawatra, dont le parti Thai rak Thai est interdit depuis 2007, et ordonne la confiscation d'1,4 milliard d'euros. Les chemises rouges de l'UDD qui comptent de nombreux partisans de Thaksin décident l'organisation d'une manifestation à Bangkok à partir du 14 mars pour obliger le gouvernement à organiser des élections anticipées. Abhisit renforce les mesures de sécurité avant les manifestations, les médias sont censurés, les radios et télévisions qui soutiennent les manifestants sont fermées.

 

Les manifestations politiques ont opposé les « chemises rouges » du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD) au gouvernement constitué par le Parti démocrate. Elles se sont à plusieurs reprises muées en de violentes confrontations entre les chemises rouges et l'armée, faisant plus de 85 morts et 2 100 blessés.

Le 16 mai les dirigeants de la manifestation disent qu'ils sont prêts à des négociations dès que l'armée se retirerait, mais le gouvernement leur répond qu'aucune condition ne peut être exigée tant qu'ils sont derrière leurs barricades. Une demande de cessez-le-feu et de médiation du sénat est rejetée par le gouvernement. L'assaut final est donné le 19 mai par l'armée, appuyée par des véhicules blindés. Il y a des témoignages de soldats tirant sur des équipes médicales tentant de venir au secours de victimes. Les dirigeants des chemises rouges se rendent à la police et demandent aux manifestants d'abandonner. Les combats continuent cependant dans de nombreuses parties de la ville, des manifestants refusant toute reddition incendiant la bourse de Bangkok, la station de la télévision officielle, le centre commercial Central World et des banques, et des douzaines d'émeutes ont lieu dans toute la Thaïlande. Les militaires déclarent le couvre-feu. Les troupes sont autorisés à ouvrir le feu sur tout individu pillant, incendiant, ou incitant aux troubles.3

 

Le titulaire du poste de premier ministre thaïlandais, Abhisit Vejjajiva, a présidé l’un des événement les plus sanglants de l’histoire de la Thaïlande parce qu’il ne voulait pas affronter les électeurs. Les élections de 2011, montreront que son calcul était justifié. Un coup d'arrêt à l'opposition démocratique est donné, mais la mobilisation reste active en province, moins médiatisée, tandis que la Cour criminelle de Bangkok a émis le 25 mai 2010, un mandat d’arrêt international pour « terrorisme » contre Thaksin Shinawatra.

 

Arrivée au pouvoir de la sœur de Thaksin

Les élections législatives se sont tenues en Thaïlande le 3 juillet 2011, à la suite de la dissolution de la Chambre des représentants le 10 mai 2011 par décret royal. 47 millions de Thaïlandais étaient appelés aux urnes dans un pays où le vote est obligatoire.

Ces élections ont vu s'opposer le Parti démocrate mené par Abhisit Vejjajiva (Premier ministre sortant) et le Pheu Thai (Parti pour les Thaï), dirigé depuis le 16 mai par Yingluck Shinawatra, sœur cadette de l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, renversé en 2006 et en exil depuis. Cette dernière l'emporte par une majorité absolue des voix et obtient 265 sièges sur les 500 de la Chambre des représentants.

Entrée en politique à 44 ans et seulement 2 mois avant ces élections, elle représente clairement le parti de son frère, ce dernier l'ayant d'ailleurs clairement désignée comme son clone. Elle a assis sa victoire sur les votes des campagnes contre celui des villes. Le Parti démocrate a reconnu sa défaite et l'armée a déclaré accepter le choix des urnes.

Fin 2013, accusée d'être la marionnette politique de son frère, toujours en exil, elle est la cible de manifestations de l'opposition (urbaine et royaliste, alors que la Premier ministre est soutenue par les paysans ruraux) qui demandent sa démission, alors qu'est envisagé un projet d'amnistie pouvant faciliter le retour de Thaksin en Thaïlande. Même si des milliers de manifestants réussissent à envahir le siège du gouvernement, cette action n'est pas considérée comme une victoire politique, alors qu'une trêve a lieu pour célébrer les 86 ans du roi Bhumitbol et que l'armée refuse de prendre position. Elle décide finalement de dissoudre le Parlement et d'organiser des élections législatives anticipées, qui se tiendront le 2 février 2014.

 

Imbroglio électoral et chute de Yingluck Shinawatra

En empêchant l'ouverture de quelques 10.000 bureaux de vote, soit plus de 10% de l'ensemble, les manifestants ont perturbé l'organisation du scrutin des législatives. la Commission électorale a prévu un nouveau scrutin le 23 février 2014 pour les 440.000 électeurs qui ont été empêché d'exercer leur droit. La veille encore à Bangkok, une bataille de rue entre militants pro et antigouvernementaux avait fait plusieurs blessés par balles. Ces événements enfoncent encore un peu plus le pays dans une crise qui dure depuis trois mois.

Les élections ne se déroulent cependant pas dans de bonne conditions et le 24 mars 2014 elles sont invalidées par la Cour constitutionnelle. De nouvelles élections sont fixées pour le 20 juillet.

Entre temps, un groupe de sénateurs dépose une plainte contre la première ministre pour abus de pouvoir dans une nomination litigieuse d'un haut fonctionnaire à un poste de son parti.

Yingluck Shinawatra est appelée le 6 mai 2014 devant la cour constitutionnelle dans cette affaire d'abus de pouvoir. Le verdict est rendu le 7 mai : la cour prononce sa destitution. Le ministre du Commerce, également vice-Premier ministre, Niwatthamrong Boonsongpaisan, a été nommé Premier ministre par intérim. Un nouveau volet de la crise politique thaïlandaise s'ouvre.4

Le 9 mai, les « chemises jaunes », manifestent devant le siège du gouvernement pour exiger sa démission et demandent la mise en place d'un « conseil du peuple », non élu, pour le remplacer. Un jour après, les « chemises rouges », favorables au gouvernement, défilent dans les rues de Bangkok pour soutenir le gouvernement.

 

Coup d'État militaire du 22 mai 2014

Au cours de la crise, le 22 mai 2014, les violences dans le pays font 28 morts dans des attaques par armes et grenades. C'est un des prétextes avancés par les forces armées thaïlandaises pour annoncer la loi martiale le 20 mai 2014. Alors que des discussions entre les deux camps imposées par l'armée ont lieu dans un bâtiment militaire le 20 mai, le chef d'état-major de l'armée de terre, le lieutenant-général Prayuth Chan-ocha, en poste depuis octobre 2010, déclenche le 22 mai le dix-neuvième coup d'État militaire tenté ou réussi dans le pays depuis 1932, « Pour que le pays revienne à la normale » explique-t-il. Le même jour, la constitution de 2007 est suspendue, le couvre-feu est instauré et les rassemblements sont interdits. Le mot d'ordre « Tous les Thaïlandais doivent rester calmes et les fonctionnaires doivent continuer à travailler comme d'habitude » est également lancé.

 

L’armée au pouvoir pour une contre-révolution conservatrice

Le coup d’État militaire en Thaïlande vise à imposer une reprise en main du pays par les forces les plus conservatrices.

Réalisé le 20 mai et officialisé deux jours plus tard, le coup d’État militaire conclut une longue période de conflits politiques en Thaïlande au cours de laquelle le gouvernement issu des élections législatives de 2011 s’est progressivement vu privé de tous ses moyens par les forces conservatrices du pays. Depuis novembre 2013, des manifestations massives ont été organisées à Bangkok, la capitale, pour le paralyser et exiger sa démission. Le 7 mai 2014, la Cour constitutionnelle a démis de ses fonctions la Première ministre, Yingluk Shinawatra : un véritable coup d’État judiciaire. Maintenant, le général en chef de l’armée Prayuth Chan-ocha a directement pris les rênes du pouvoir.

 

Remise au pas générale

Le coup d’État militaire du 20 mai – le dix-neuvième depuis celui qui, en 1932, mit fin à la monarchie absolue – sanctionne l’échec du processus de « modernisation » institutionnelle du pays initiée en 1992 avec l’adoption d’une Constitution relativement progressiste pour le pays. Ce processus avait permis l’arrivée au pouvoir de nouveaux secteurs de la bourgeoisie incarnés par Thaksin Shinawatra, ainsi que la mobilisation électorale de secteurs populaires ruraux (dans le nord et le nord-est) ou urbains (à Bangkok). Le régime est alors entré en crise, sommé en quelque sorte de se réformer en profondeur. Une perspective impensable pour les élites traditionnelles : le Palais, l’armée, les institutions conservatrices, les grandes familles possédantes…
Les militaires ont tenté de porter un coup d’arrêt aux « réformateurs » avec la répression sanglante (93 morts) en 2010 des « chemises rouges », constituées pour l’essentiel du « petit peuple » soutenant Thaksin (du fait des programmes sociaux qu’il avait mis en œuvre), mais cela n’a pas suffi à empêcher une nouvelle victoire électorale de son parti, le Pheu Thai, et la nomination de sa sœur, Yingluck, au poste de Premier ministre .
Les forces réactionnaires (au sens littéral) tentent de réaliser désormais ce qu’elles n’ont pas réussi en 2010-2011 : une remise au pas générale du pays. Au nom de la lutte contre la corruption et le népotisme (des maux partagés par toutes les élites du pays), elles ont su mobiliser pour ce faire les dites « classes moyennes » bangkokiennes. Elles annoncent une véritable (contre)révolution conservatrice, évoquant même le retour à un régime électoral au suffrage censitaire. Elles ciblent à la fois le clan des Thaksin, la montée en puissance politique de nouveaux entrepreneurs et commerçants, les secteurs populaires réclamant des réformes sociales et les tenants d’un régime démocratique.

 

Persistances des résistances et alternative

L’armée a procédé à une série d’arrestations et somme nombre de personnalités progressistes de se présenter à elle. Néanmoins et malgré les dangers encourus, des mobilisations contre le coup d’État se sont déjà produites dans divers secteurs de Bangkok, à Chiangmai (au nord) et dans d’autres villes.
Ces mobilisations montrent que les réseaux construits au fil des ans dans le cadre du mouvement des « chemises rouges » restent implantés et actifs – même s’ils n’ont toujours pas donné naissance à une direction politique indépendante du clan Thaksin et de ses proches. Or, la résistance au coup d’État ne viendra pas de ces derniers, mais de secteurs populaires. Depuis la quasi-disparition du Parti communiste dans les années 1980, un parti de gauche significatif ne s’est toujours pas reconstitué en Thaïlande, mais il existe un grand nombre de réseaux sociaux très militants qui ont accumulé au fil des ans une expérience précieuse. C’est de là que vient l’espoir.
Les appels à la solidarité internationale ont été lancés par l’Assemblée du peuple, la Commission Asie des droits humains, l’Action pour la démocratie du peuple en Thaïlande (ACT4DEM) et ont été relayés par de nombreuses organisations de gauche de la région, comme le PSM (Malaisie), l’AWP (Pakistan), le PCB-ML (Bangladesh), le PLM (Philippines), ou par des personnalités « altermondialistes » comme Walden Bello.
La solidarité internationale doit se manifester – et se manifester au-delà de la seule région Asie.5

 

 

Conflit dans le Sud de la Thaïlande

Le conflit dans le Sud de la Thaïlande est un conflit séparatiste dans la région de Pattani, dans le Sud majoritairement malais et musulman de la Thaïlande, et a commencé en 1960.

Le sud de la Thaïlande, particulièrement les provinces de Narathiwat, Pattani, Satun, Songkhla et Yala situées près de la frontière malaisienne regroupent l'essentiel des 5% de musulmans que compte le pays. Pour 4/5e d'entre eux, il s'agit des personnes de langue malaise, les autres parlant le thaï.

Ces régions rurales et pauvres, passées sous l’autorité du royaume du Siam après la signature du traité anglo-siamois le 10 mars 1909, ont subi une politique d’assimilation forcée de la part du gouvernement de Bangkok dans les années 1960. Depuis ces provinces sont agitées par des mouvements rebelles indépendantistes prônant la reconstitution de l'ancien Royaume de Patani.

Entre 1976 et 1981, deux mouvements indépendantistes : le Pattani United Liberation Organization (PULO) et le Barisan Revolusi Nasional (BRN) prirent une première fois les armes pour faire connaitre leurs revendications, puis ces mouvements se cantonnèrent par suite au simple activisme politique et à l’extorsion de fonds.

En 2002, le Premier ministre Thaksin Shinawatra déclare qu'il n'y a pas de « séparatisme, de terroristes mais seulement de vulgaires bandits ». En 2004, il revoit sa position et inscrit la lutte contre les insurgés dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. La loi martiale est instaurée dans les régions touchées par l'insurrection (Pattani, Yala et Narathiwat). En réponse aux mesures musclées du chef du gouvernement, la minorité musulmane revendiqua de nouveaux droits et réclama notamment le port du Hijab pour les femmes dans les lieux publics, l’ouverture de mosquées et l’expansion des études islamiques dans les écoles publiques.

Depuis 2004, les quatre provinces les plus au sud de la Thaïlande, proches de la Malaisie, sont victimes d'une guérilla violente menée entre autres par des groupes terroristes islamistes comme le Pattani Islamic Mujahadeen Movement (ou Gerakan Mujahideen Islam Pattani), qui a déclaré la djihad contre les populations bouddhistes qu'elle souhaite chasser du secteur, et la junte militaire thaïlandaise. Selon des experts, les insurgés seraient liés au Front Moro islamique de libération (Philippines) et au Mouvement pour un Aceh libre (Indonésie).

Le 3 juin 2006, le chef de l'armée Prayuth Chan-ocha déclare que l'insurrection est financée de l'étranger par les narcotrafiquants et les contrebandiers de pétrole.

Après le coup d'État de septembre 2006, l'insurrection n'a fait que s'intensifier. En 2009, le déploiement de 30 000 militaires des forces armées royales thaïlandaises dans la région n’arriveront pas à maîtriser les mouvements rebelles.

En juillet 2010, le bilan humain est estimé à 4 100 tués. Par ailleurs, un rapport d'un centre de l'OTAN sur le terrorisme relève en 2011, selon les sources publiques, un total de 332 actes terroristes en Thaïlande (8e rang mondial) faisant 292 tués, 660 blessés et 16 personnes enlevées. Le bilan de 2012 du même organisme s'établit à 185 attaques (9e rang mondial), 171 tués et 674 blessés, pas d’enlèvement signalé.

En mars 2013, les négociations n'ont pas abouti et le bilan annoncé est alors d'environ 6 000 morts.6

 

 

Succession monarchique sous l’égide de l’armée

Le roi est mort, vive le roi ? La royauté thaïe légitime le pouvoir en place plus qu’elle ne le possède. Cette fonction risque d’être mise à mal avec l’intronisation du prince héritier.

La mort du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) a été officiellement annoncée le 13 octobre 2016. Il avait 88 ans, aura régné sept décennies et aurait joui, dit-on, d’une popularité et d’un respect sans pareils... L’histoire des monarchies n’est cependant jamais un roman à l’eau de rose.

Depuis 1932, la royauté en Thaïlande n’est plus absolue, mais constitutionnelle. À de rares interludes près, le pouvoir réel est détenu par l’armée. Bhumibol est monté sur le trône en 1946 (sous régence jusqu’en 1950), après que son frère fut mort d’une balle dans la tête dans des circonstances mal élucidées. Au temps de l’escalade militaire US au Viêtnam, le pays a été transformé en un immense porte-avions terrestre et couvert de bordels destinés au repos des GIs. La junte militaire a été renversée en 1973, à l’occasion d’un soulèvement étudiant, mais trois ans plus tard, l’ordre dictatorial a été rétabli par un coup d’État sanglant... avec l’appui du palais.

L’autorité du palais royal était alors, de nouveau, au plus bas. Pour la rétablir, la « tradition culturelle » n’aurait pas suffi. Un véritable culte de la personnalité a été construit des années durant avec l’aide des États-Unis et de leurs services de propagande. Son effigie est devenue omniprésente, le respect affiché une obligation, le crime de lèse-majesté s’est avéré une arme redoutable pour réprimer quiconque sort des clous ou interdire tout débat sur le régime, à l’instar de l’accusation de blasphème ou d’atteinte à la sécurité nationale en d’autres pays. Bhumibol Adulyadej a joué son rôle de parfaite façon. Il s’est laissé déifier sans pour autant contester le pouvoir à ceux qui le détenaient. D’allure austère, l’expression triste et lointaine, il pouvait incarner une figure protectrice aimée du peuple, une posture que certains qualifient de « paternalisme despotique ».

 

Nouveau tyran ?

Les princesses étant d’office écartées de la succession, le prince héritier (64 ans) doit donc monter sur le trône, alors qu’il s’avère incapable de jouer le même rôle que Bhumibol. Vivant à Munich plus qu’en Thaïlande, il est réputé play-boy, noceur, et les vidéos de ses frasques font le tour des chaumières... Il a même été photographié descendant d’un avion en blue-jeans taille basse, débardeur découvrant le ventre, le buste couvert de tatouages temporaires. Il a fait de son caniche Foo Foo un haut officier de l’armée de l’air. Ce comportement peu protocolaire pourrait être amusant si le personnage n’était pas aussi inquiétant. Vindicatif à l’extrême, il poursuit de sa hargne les proches de son père. Il a des comportements de tyran.

La famille royale est aujourd’hui la plus riche de la planète, sa fortune est évaluée à 35 milliards de dollars (31,70 milliards d’euros). Mais quel est son pouvoir effectif ? La question est controversée. La reine Élisabeth est elle aussi une grande possédante, mais ne gouverne pas pour autant. Toujours est-il que sur le plan idéologique, les piliers du régime sont constitués de la monarchie, de l’armée et du clergé bouddhiste. Mais si cette Sainte-Trinité fonctionnait effectivement, la junte actuellement au pouvoir n’aurait pas besoin d’imposer un ordre particulièrement verrouillé et oppressif. La succession de Bhumibol rend l’avenir encore plus incertain qu’il ne l’était déjà.6

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Tha%C3%AFlande
(2) Danielle Sabai  http://www.npa2009.org/content/thailande-un-point-de-non-retour-%C2%AB-pas-de-justice-pas-de-paix-%C2%BB
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_politiques_tha%C3%AFlandaises_de_2010
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_en_Tha%C3%AFlande
(5) Pierre Rousset  http://www.npa2009.org/content/thailande-larmee-au-pouvoir-pour-une-contre-revolution-conservatrice
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_dans_le_Sud_de_la_Tha%C3%AFlande
(7) Pierre Rousset  https://npa2009.org/actualite/international/thailande-succession-monarchique-sous-legide-de-larmee