Le Paraguay

 

Histoire précolombienne

Avant la colonisation espagnole, les territoires qui constituent actuellement le Paraguay étaient peuplés d'Amérindiens nomades et semi-nomades dont la majeure partie appartenait à l'ensemble guarani, langue dont ils parlaient des variantes. Elle est aujourd'hui en usage en général dans des formes de mélanges avec l'espagnol, ce qui en fait un sujet de controverses entre linguistes.

 

Colonisation

L'Espagnol Juan de Salazar fonde la ville d'Asuncion le jour de l'Assomption (15 août) 1537. La ville est ensuite devenue la capitale de la nouvelle colonie espagnole le gouvernement du Rio de la Plata, devenu par la suite une vice-royauté, puis de l'État indépendant du Paraguay (1811).

Les années 1610-1767 furent celles de la domination jésuite sur les Indiens Guaraní de la province jésuite au Paraguay, qui comprenait une partie du Paraguay actuel, mais aussi une partie du Brésil et de l'Argentine (actuel État argentin des Misiones). La présence jésuite se manifesta notamment par la création, à partir de 1609, de réductions, villages composés de plusieurs centaines ou milliers d'Indiens sédentarisés et encadrés seulement par deux jésuites. On a pu à cet égard parler de "communisme chrétien" (Clovis Hugon), dans la mesure où la vie des Guaraní était communautaire (jusqu'à la distribution chaque matin des outils pour aller travailler aux champs) et fortement encadrée par la religion (messe obligatoire à 5h30, le matin, et journée rythmée par les célébrations religieuses). En 1611, par les ordonnances d'Alfaro, la monarchie espagnole fournit à cette institution une base législative claire. Les réductions sont strictement interdites aux Blancs, Noirs et Métis. Les Indiens sont exemptés du système de l'encomienda, selon lequel des Indiens, confiés à un colon, devaient recevoir de lui protection et instruction chrétienne en échange de travail sur son exploitation. La province du Paraguay appartenait à la Vice-royauté du Haut-Pérou et se situait dans une région stratégique, lieu de passage entre les mines péruviennes (notamment les mines d'argent du Potosi) et le port de Buenos Aires, par lequel les métaux gagnaient l'Espagne. Par conséquent, l'économie des réductions était liée à l'activité minière : les Guaranis élevaient du bétail pour la viande et le cuir (qui servait notamment à fabriquer des sacs pour les mineurs) et des mules destinées à transporter le matériel dans les régions minières escarpées.

Cependant, le système des réductions jésuites déplaisait aux colons espagnols et portugais, dans la mesure où les ordonnances d'Alfaro soustrayaient les Guaranis à l'encomienda. Des raids de colons désireux de rafler des esclaves furent organisés, et ce d'autant plus facilement que les réductions réunissaient une quantité importante d'Indiens en un même lieu. Ce fut notamment le cas dans les années 1630, avec les rafles des bandeirantes, colons portugais de la ville de São Paulo toute proche. En conséquence, le roi d'Espagne autorisa les Guaranis à s'armer et à constituer des milices. En 1641 se tint la bataille du rio Mbororé, victoire des Guaranis et de leurs Jésuites contre les Paulistes. Ces affrontements étaient bien sûr liés également à la rivalité des deux grands empires espagnol et portugais.

En 1750 fut signé le traité de Madrid ou traité des limites entre les monarchies espagnole et portugaise : en échange de l'évacuation par les Portugais de la place de Colônia (espace de contrebande et de menace portugaise sur Buenos Aires, située de l'autre côté du rio de la Plata), le roi d'Espagne, qui avait pourtant accordé aux Jésuites l'administration de la zone, devait faire évacuer sept réductions situées à l'est du rio Uruguay et céder ce territoire aux Portugais. Le refus des Guaranis se manifesta par la Guerre des 7 réductions, de 1754 à 1756, sous l'égide du cacique (chef coutumier) et corregidor ("président" du "conseil municipal" d'une réduction) Nicolas Neengiru. Cet épisode conforta les rumeurs qui circulaient alors en Europe, faisant de ces réductions un véritable État dans l'État aux mains des Jésuites, exploitant les Guaranis pour parvenir à ultimement combattre à la fois les Espagnols et les Portugais. La rumeur voulait même que cet État soit gouverné par un empereur (répondant précisément, comme Neengiru, au prénom de Nicolas) et qu'il frappe sa propre monnaie (certains affirment en avoir vu des exemplaires). Tout cela ne fut pas sans influer dans la décision prise par la monarchie portugaise en 1759, puis par la monarchie espagnole en 1767, d'expulser les Jésuites des empires américains. En tout état de cause, il convient de souligner l'originalité de cette forme de colonisation, notamment dans le contexte de la colonisation souvent brutale des conquistadors. La province du Paraguay fut la région où la chute démographique des Indiens fut la moins sensible.

 

Les premières années d'indépendance

Les premières années d'indépendance du Paraguay sont marquées par la montée en puissance dès 1810, de José Gaspar Rodríguez de Francia, futur Dictateur (selon une référence qui se voulait romaine), élu pour cinq ans (1814), puis désigné comme Dictateur à vie (Perpetuo). Son obsession sera d'abord l'élimination de toute trace de la Couronne d'Espagne, puis des prétentions de Buenos Aires. Cette dernière enverra une petite armée commandée par le général Belgrano, qui sera vaincu aussi bien par les militaires dont l'allégeance était variable (Gamarra était loyaliste à l'Espagne, Yegros penchait pour Buenos Aires) que par la population qui rejeta l'invasion étrangère.

Francia laissera planer l'équivoque sur ses positions de 1810 à 1811, éliminant ses opposants en s'appuyant sur le peuple d'abord de "l'Intérieur" (par opposition à la Capitale Asuncion), puis une grande partie des militaires de grades inférieurs et la population de la Capitale. Enfin, il lui restera à domestiquer l'Église catholique, ce qu'il réalisera progressivement jusqu'à la victoire complète en 1828. Il sera soucieux de l'indépendance du pays jusqu'à l'obsession et le protégera des tentatives d'ingérence luso-brésiliennes, puis argentine, anglaises, brésiliennes et nord-américaines, assignant à résidence de longues années, par la même occasion, un "botaniste" français et d'autres "visiteurs". Il louera des terres, pour une somme symbolique, aux paysans sans terre (Estancias de la Patria), permettant le développement de l'élevage et de la culture de la "yerba maté", dont les 3/4 de la production étaient exportés, réduisant au strict minimum les importations. Il ferma la seule institution d'enseignement "secondaire" selon nos critères d'aujourd'hui, le Collège et Séminaire de San Carlos, pour ne mettre en place que des écoles élémentaires qui, selon la plupart des observateurs étrangers pourtant hostiles, permirent à la grande majorité du peuple de savoir lire, écrire et compter. S'il est fait grand cas de sa tyrannie et de ses méthodes expéditives, elles concernaient essentiellement ceux qui représentaient un danger pour son pouvoir, donc aussi pour l'indépendance du pays. Le peuple, lui, y trouvait son compte : il se nourrissait, bénéficiait de l'instruction qui lui était nécessaire, et, de plus, connaissait la paix qu'il savait être refusée aux voisins argentins, constamment affectés par les conflits entre "caudillos".

 

La guerre de la Triple-Alliance

Après la mort de Francia après un an de flottement, sa politique fut amendée par son successeur, Carlos Antonio López, autre civil qui parvint au pouvoir par une capacité de manœuvre discrète. Exerçant un pouvoir toujours absolu mais consenti par le peuple, il ouvrit le pays aux techniques nouvelles (appel à des ingénieurs étrangers, envoi de boursiers en Europe, construction d'un chemin de fer, de chantiers navals, etc.), sans pour autant céder un pouce sur l'indépendance du pays, bien qu'il ait tenté d'établir des relations normales avec ses voisins et au-delà, en dépit de la pression de l'Argentine, du Brésil, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, qui se faisait plus forte.1

Il cédera le pouvoir à son fils, Francisco Solano López, qu'il avait nommé à la tête de l'armée et qu'il avait envoyé conduire diverses ambassades auprès des puissances de l'époque. Il convoqua un Congrès pour le 12 octobre 1862 qui le « choisit » comme président. Fort des moyens économiques laissés par son père, il se prépara à la guerre qui devait éclater en 1865, le poids du Paraguay et son refus de plier devant les exigences du libre commerce prôné par la Grande-Bretagne, relayée par l'Argentine et le Brésil, le grignotage par le Brésil des territoires à frontière indéfinie du Nord-Est, la volonté de l'Argentine d'en finir avec les prétentions paraguayennes sur son actuelle province de Misiones, semblaient en effet conduire à une confrontation inéluctable, que Francisco Solano Lopez a en fait accélérée en prenant l'initiative militaire, décision compréhensible mais qui répondait aussi à ses rêves de gloire que la diplomatie, qui n'était pas de son goût, ne lui apporterait pas.

Le Paraguay s'engagea dans la « Guerre de la Triple Alliance » contre ses trois ennemis coalisés, l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay (1865-1870), dont les buts de guerre inscrits dans le Traité de 1865 comprenaient l'attribution au Brésil et à l'Argentine des territoires qu'ils revendiquaient et l'imposition de la clause de la nation le plus favorisée, en finissant avec le protectionnisme qui avait permis le développement relatif du pays.

Conduite imprudemment sur le plan stratégique dès le début de la guerre, quatre années ne furent que celles d'un lent repli avant la quasi-extermination de son peuple. Défait, l'acharnement principalement des armées brésiliennes et la résistance obstinée de Francisco Solano Lopez aboutit à sa mort au combat et à la dévastation complète de la partie peuplée du pays, les enfants d'environ quatorze ans étant enrôlés, à la réduction de sa population à une fraction de ce qu'elle était auparavant (probablement entre un tiers et la moitié), causant un déséquilibre démographique inouï entre les sexes (un homme pour deux à quatre femmes). La polygamie de fait se pratiquera par la force des choses et, compte tenu de la courte espérance de vie, le rééquilibrage démographique sera atteint une soixantaine d'années plus tard. Il y perdit aussi des territoires qu'il contrôlait mal autour de son actuelle région à l'Est des fleuves Paraguay et Parana.

Comme l'Uruguay, le pays devint "pays tampon" entre Argentine et Brésil et connaîtra, désormais, une existence alignée sur celle des autres pays de la région : instabilité politique, exploitation du territoire par des intérêts d'abord anglo-argentins, plus tard aussi anglo-brésiliens. Ainsi exploitée, l'économie ne se rétablit au niveau antérieur à la guerre qu'une cinquantaine d'année plus tard.

 

La guerre du Chaco

Le Paraguay dut affronter une deuxième guerre, la guerre du Chaco-1932-1935. Attaqué par la Bolivie, il gagna aux dépens de celle-ci la plus grande partie du Chaco qu'elle revendiquait. En fait, la région conquise n'était contrôlé par aucun pays à l'exception de ses franges, situation fréquente entre les anciennes colonies espagnoles et portugaises d'Amérique latine, qui a donné lieu au renouvellement de la théorie juridique dite de "l'uti possidetis juris'' : la terre appartenait à celui qui l'occupait, encore fallait-t-il prouver le caractère effectif de l'occupation et tenter de s'appuyer sur des "titres". L'essentiel du territoire qui lui a été alors reconnu ne comprenait pas de ressources économiques notables (la thèse largement diffusée selon laquelle elle aurait été déclenchée pour y rechercher du pétrole sous l'influence américaine ne repose sur rien de sérieux), la principale ressource, le quebracho, un arbre à croissance lente au tronc riche en tanin alors indispensable aux industries du cuir, étant déjà sous souveraineté de fait paraguayenne et sous domination économique argentine le long du Haut-Paraguay.

 

L'instauration de régimes autoritaires

C'est après la fin de cette guerre que les forces politiques sous l'influence de l'Argentine puis, à moindre titre, du Brésil, regroupées, en synthèse, entre libéraux (les « bleus ») et libéraux nationalistes (les « rouges » ou « colorados »), durent céder le pouvoir à des régimes militaires sous la pression notamment des anciens combattants du Chaco et du Colonel Franco qui fondera le parti « Fébrériste ». L'orientation politique de ceux-ci alla d'une tendance démocratique (José Félix Estigarribia, « Général de la victoire » de la Guerre du Chaco, élu le 30 avril 1939, décédé dans un accident d'avion le 7 septembre 1940) jusqu'à une tendance influencée par une adaptation locale du fascisme (Général Victor Morinigo, 24 décembre 1940, avec perte progressive d'influence jusqu’au 12 janvier 1947), pour déboucher, les « colorados » alors dominants, sur une période de guerres civiles (1947), coups d'État et de troubles dont sortira finalement vainqueur le général Alfredo Stroessner en 1954 et renversement de l'influence des deux grands voisins au profit du Brésil.2

 

La longue dictature du général Stroessner

Alfredo Stroessner conserve le pouvoir pendant plus de trente-quatre ans, devenant ainsi la dictature latino-américaine la plus longtemps au pouvoir jusqu'à ce qu'il soit détrôné par le président cubain Fidel Castro. Il est réélu à huit reprises (avec modification constitutionnelle), tous les cinq ans, de 1958 à 1988.

Il parvient à vider méthodiquement le parti colorado de la plupart de ses anciens chefs de faction qui durent partir en exil, en en faisant un parti stroessniste, à prendre le contrôle des syndicats, des mouvements étudiants, à marginaliser les anciens partis, remplaçant les anciens cadres du parti colorado quadrillant la population. Il parvint aussi à réduire l'influence des unité militaires clefs, en achetant les chefs en leur attribuant des monopoles de fait d'activités lucratives fondées en grande partie sur la contrebande (cigarettes, alcool, drogue), faisant du Paraguay une plateforme de redistribution dans le Rio de la Plata et vers le Brésil. Seule lui échappa l'Église catholique, surtout à partir de la diffusion de la "Théologie de la Libération" après Vatican II, et un parti démocrate chrétien se constitua, loin des anciennes pratiques politiques. Toutefois, son pouvoir n'en fut pas menacé.

Sous la pression des États-Unis, il instaura une démocratie en faux semblant, laissant réapparaître le parti libéral "radical" héritier des anciens liberales, qu'il affaiblit en laissant créer un autre parti libéral, et le parti fébrériste, ne leur laissant jamais de marge de manœuvre réelle. Il se débarrassera des tentatives de guérillas surgies après la prise de pouvoir à Cuba de Fidel Castro, de groupuscules constitués par des jeunes hommes sans relais local.

 

Politique économique

Pendant sa présidence, le Paraguay connut une croissance économique relativement stable, d'environ 3 ou 4 % par an, à l'exception du « boom » économique de 1976-1981, pendant laquelle elle dépassa les 10 % par an. Appuyé par les États-Unis, son gouvernement bénéficia, à partir du début des années "60", des fonds de "l'Alliance pour le progrès", qui permettront de créer une infrastructure routière limitée mais indispensable (Asuncion - Paraguari - Encarnacion vers l'Argentine ; Asuncion - Puerto Présidente Stroessner (aujourd'hui "Ciudad del Este") vers le Brésil ; et la route Transchaco vers la Bolivie dont seul un tronçon depuis la rive droite du fleuve Paraguay en face d'Asuncion sera asphalté).

Il signera avec le Brésil l'accord qui permettra la construction du barrage d'Itaipu (et raya de la carte les chutes de Guaira), et une relative libéralisation des échanges avec les pays voisins (l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay). Le traité du Río de la Plata, signé en 1973, facilita ces échanges en réduisant l'importance des différends frontaliers qui persistaient après la Guerre de la Triple Alliance (1864-70), laquelle avait réglé pour l'essentiel le sort des régions intéressant le Brésil et l'Argentine à leur profit, notamment avec la Bolivie.

Cependant, le fait que le pays ait été tenu relativement à l'écart de la communauté internationale, en raison des violations des droits de l'homme qui s'y produisaient, entrava le développement économique du pays. La mise à l'écart de Stroessner (1989) permettra progressivement d'améliorer cet aspect.

 

Diplomatie

Sur le plan extérieur, Alfredo Stroessner rompt dès 1960 les relations diplomatiques qu'entretenait le Paraguay avec Cuba, à la suite de la révolution qui s'y est produite. L'influence du Brésil persista, les relations avec l'Argentine furent plus chaotiques. Il effectue plusieurs voyages à l'étranger, au Japon, aux États-Unis et en France, mais surtout en Allemagne, pays d'origine de son père, pour lequel il éprouve une véritable fascination, même si les relations entre les deux pays demeurent difficiles alors que plusieurs criminels nazis (à l'instar du médecin d'Auschwitz, Josef Mengele s'étaient réfugiés dans son pays.)

Dans les années 1970, Stroessner appuie activement l'opération Condor qui vise à éliminer des opposants aux régimes dictatoriaux en Amérique du Sud et donne asile au président nicaraguayen déchu Anastasio Somoza. Quand celui-ci est assassiné en 1980 par un commando de guérilleros argentins, Alfredo Stroessner réclame la tête des coupables, provoquant un durcissement du régime mais révèle dans le même temps une faiblesse, puisque le Paraguay s'avère incapable de lutter contre les montoneros argentins qui s'infiltrent dans le Sud du pays.

À la fin des années 1980, la démocratie est rétablie au Brésil et en Argentine, ce qui fragilise la présidence Stroessner. La population descend régulièrement dans les rues pour protester contre les abus du régime. Ces manifestations pacifiques, organisées par les syndicats et les mouvements de gauche, sont durement réprimées. Les États-Unis, qui avaient toujours soutenu le président, finissent par l'abandonner, tandis que l'isolement diplomatique du pays avait des conséquences catastrophiques sur son économie.

 

Une évolution possible vers la démocratie ?

En 1987, lors de la convention du Parti Colorado, des rumeurs circulent au sujet d'une maladie dont serait atteint le président Stroessner, et certains envisagent de choisir son fils Gustavo Stroessner comme candidat à sa succession. Toujours en 1987, il lève l'état de siège. Mais aux élections de 1988, Alfredo Stroessner est réélu triomphalement avec 88,8 % des voix. Il reçoit la même année la visite du pape Jean-Paul II, qui appelle ouvertement dans ses déclarations à l'évolution du régime vers la démocratie.3

 

Coup d'État du 3 février 1989

Le 3 février 1989, Stroessner est renversé par un coup d'État militaire du général Andres Rodriguez, qui remporte ensuite aisément l’élection présidentielle en mai. Son parti, le parti Colorado, remporte la majorité des sièges au Congrès. Cependant, l'opposition remporte plusieurs grandes villes, dont Asuncion, aux municipales de 1991. Rodriguez lance plusieurs réformes politiques, législatives et économiques, et ouvre le Paraguay à l'extérieur.

 

Le Paraguay contemporain

La constitution de juin 1992 établit un système démocratique et renforce radicalement la protection des droits fondamentaux. En mai 1993, le candidat du Parti Colorado Juan Carlos Wasmosy est le premier président civil du Paraguay depuis 1954, élu au cours d'élections impartiales et libres. Le Congrès est par contre dominé par l'opposition, ce qui démontre que l'exécutif n'a pas interféré sur son élection. En avril 1996, une tentative de coup d'État militaire du chef d'état-major des armées Lino Oviedo échoue grâce à la mobilisation populaire, le soutien de l'Organisation des États américains et des États-Unis.

 

Marzo paraguayo : la crise de mars 1999

Lino Oviedo est cependant le candidat du parti Colorado aux élections de 1998, mais la Cour suprême ne l'autorise pas à se présenter et le maintient emprisonné. C'est son rival, également du parti Colorado, Raùl Cubas, qui est élu en mai. Sa présidence est marquée par le conflit sur le statut d'Oviedo, qui influence la politique du gouvernement de Cubas. L'un des premiers actes officiels de Cubas est ainsi de commuer la peine d'Oviedo et de le libérer. Ces actes sont déclarés anticonstitutionnels en décembre 1998 par la Cour suprême. En février 1999, Cubas défie ouvertement la Cour, en refusant le retour d'Oviedo en prison. C'est dans ce contexte que le vice-président Luis Maria Argaña, rival de longue date d'Oviedo, est assassiné le 23 mars 1999, ce qui conduit la Chambre des députés à prononcer l'impeachment de Cubas le 24. Le 26 mars, huit étudiants qui manifestaient contre le gouvernement sont assassinés, assassinat assez largement attribué aux partisans d'Oviedo. Cette exaction rend alors le vote du Sénat qui devait avoir lieu le 29 sur l' impeachment inévitablement défavorable à Raùl Cubas, qui démissionne le 28. Le président du Sénat, Luis Ángel González Macchi, adversaire de Cubas, prononce le serment d'investiture présidentielle le même jour, malgré les craintes de coup d'État militaire. Cubas fuit au Brésil le 29 et y reçoit l'asile politique. Oviedo fuit lui aussi, en Argentine puis au Brésil. La demande d'extradition soumise par les autorités paraguayennes est rejetée en décembre 2001.

 

La présidence de Gonzalez Macchi

Le nouveau président offre des places dans son cabinet ministériel à des sénateurs représentatifs des trois principaux partis politiques pour créer une coalition gouvernementale. Même si le parti libéral se retire du gouvernement en février 2000, le gouvernement Gonzalez Macchi a réussi à trouver un consensus sur plusieurs réformes controversées, y compris les réformes économiques. Le libéral Julio César Franco remporte les élections d'août 2000 pour pourvoir au poste de vice-président. En août 2001, une procédure d'impeachment contre Gonzalez Macchi est examiné par le Congrès, pour des allégations de corruption et des accusations de gouvernement inefficace, mais ne l'approuve pas.

En 2003, Nicanor Duarte Frutos, du parti Colorado, est élu président.4

Le 20 avril 2008, le parti Colorado voyait son règne de plus de 60 ans s'achever avec l'élection de Fernando Lugo, ancien évêque de gauche de l'Alliance Patriotique pour le Changement (APC), à la présidence du pays.5

 

Présidence de Fernando Lugo

Le nationalisme économique, la lutte contre la corruption et la réforme agraire constituent ses axes prioritaires. Toutefois, il perd dès le printemps 2009 le soutien du Parti libéral et de la majorité du Parlement, et ne peut mener cette dernière réforme à terme.

En décembre 2009, il affirme avoir fait l'objet de plusieurs tentatives de putsch et être menacé par un coup d'État selon le scénario hondurien de juillet 2009. Son vice-président lui-même, Federico Franco (libéral), se dit prêt à assumer le pouvoir, tandis que le sénateur libéral, Alfredo Jaeggli, affirme qu'il faudrait le destituer dans les quatre mois, l'accusant de ne pas réussir à maintenir l'ordre dans le pays.

Federico Franco tentera de faire destituer Lugo en octobre 2010, en l'accusant d'avoir violé la Constitution. En effet, alors que Lugo est au Brésil pour faire traiter un lymphome, il ordonne des changements dans l'état-major des armées ; or cette compétence revient alors à Franco qui assure la présidence par intérim. La menace d'un procès politique contre Lugo aura été brandie à de nombreuses reprises avant 2012.6

 

22 juin 2012 : le coup d’État « parlementaire »

Ce jour-là, Fernando Lugo, a été destitué en 24 heures par le Parlement. Son élection avait représenté une aspiration à la transformation de la société, insupportable pour les classes dominantes.
Le Sénat paraguayen l'a donc destitué à la suite d’une procédure de « jugement politique en destitution » : une manœuvre parlementaire certes prévue par la Constitution, mais dont le déroulement express (en moins de 24 heures !) a été largement dénoncé par les organisations sociales paraguayennes, ainsi que par plusieurs gouvernements des pays voisins. Evo Morales (Bolivie) a conspué ce qu’il considère comme un « coup d’État parlementaire ». Lugo, surnommé « l’évêque des pauvres », qui avait été élu en 2008 avec l’appui des classes populaires face aux candidats de l’oligarchie, a pris acte de cette destitution, tout en dénonçant un acte illégitime qui « meurtrit le Paraguay et sa démocratie ». La droite a ainsi cherché – et réussi – à instrumentaliser un affrontement sanglant dans le nord-est du pays, qui avait fait dix-sept morts (onze paysans et six policiers), drame dont plusieurs sources semblent confirmer qu’il pourrait s’agir du fruit d’une provocation policière.
À trois ans du coup d’État au Honduras, les classes dominantes cherchent là encore à garder l’initiative et surtout à stopper les luttes sociales et paysannes : la clef dans ce pays reste la domination de la terre, alors que 80 % des propriétés foncières appartiennent à 2 % de la population, ainsi qu’à de puissantes transnationales de l’agrobusiness comme Cargill ou Monsanto. Le peuple paraguayen subit ainsi les conséquences écologiques, politiques et sociales désastreuses d’une économie d’enclave : les exportations de soja (souvent transgénique) représentent 40 % des exportations nationales pour un chiffre de plus de 2 milliards de dollars annuels.

 

Jeu institutionnel

Le gouvernement Lugo avait été, dès le début de son mandat, marqué par la faiblesse et de nombreuses difficultés. Sa victoire électorale a sans aucun doute indiqué un tournant politique et représenté une large aspiration à la transformation démocratique et sociale, en mettant fin à soixante ans d’hégémonie du Parti Colorado, pilier corrompu et réactionnaire de la dictature du général Stroessner (1954-1989). Cependant, sans parti politique puissant pour l’épauler, sans base sociale organisée, et largement minoritaire au Parlement, Lugo avait choisi de négocier avec les élites libérales et des transfuges de la droite pour gouverner. Après cette destitution, c’est précisément son ex-vice-président Federico Franco, membre du Parti libéral radical authentique (formation conservatrice), qui assume l’exécutif pour le plus grand bonheur de l’oligarchie traditionnelle et du capital transnational.
Au final, Lugo aura opté davantage pour le jeu institutionnel et les négociations parlementaires, renonçant peu à peu à un programme de réformes ambitieux, plutôt que de s’appuyer sur un mouvement social, certes encore très affaibli et fragmenté, mais doté d’un immense potentiel d’organisation par en bas. Il s’agissait là d’une leçon majeure pour les gouvernements progressistes de la région.7

 

 

Coup d’État, militarisme, transnationales et agrobusiness

Le temps n’est plus aux bottes et aux dictatures militaires en Amérique latine mais les coups d’État se succèdent sous une nouvelle forme, plus « raffinée »... Le 22 juin 2012, le Coup d’État au Paraguay destitue Fernando Lugo de la présidence, élu trois ans auparavant pour un mandat qui devait s’achever en avril 2013. La victoire de Lugo venait consolider la vague de victoires de partis progressistes en Amérique latine. Elle écartait le Parti Colorado, au pouvoir depuis 60 ans - dont 35 ans de dictature d’Alfredo Stroessner - et était un symbole d’espoir pour les Paraguayen-ne-s. Ne disposant presque pas de parlementaires acquis à sa cause, Lugo est resté l’otage d’un Parlement et d’une Justice issus de l’ancien régime. Résultat quasiment inévitable de cette situation : Lugo n’a pas pu faire grand chose de ce qu’il avait promis. Dès lors, pourquoi ses opposants ont-ils voulu le renverser, à moins d’un an de l’élection présidentielle ? Qui les a soutenus ? Qui a gagné quelque chose avec ce coup de force ? Ricardo Canese, parlementaire au Mercosur pour le Mouvement populaire Tekojoja, apporte des éléments de réponse.

 

Barack Obama a rencontré le putschiste Federico Franco - dont le gouvernement n’est reconnu par aucun pays au monde, excepté par le Vatican et Taïwan - lors du déjeuner d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. La participation des États-Unis au Coup d’État parlementaire au Paraguay fut d’emblée flagrante, via la désinformation et leur attitude néfaste à l’égard du gouvernement progressiste de Lugo.

La veille du Coup d’État, l’ambassadeur yankee en personne a demandé au gouvernement de Lugo qu’il reçoive les évêques car ils « allaient lui apporter leur soutien ». Au lieu de cela, l’ultra conservateur Claudio Giménez, président de la Conférence Épiscopale Paraguayenne (CEP), est venu demander publiquement à Lugo qu’il démissionne. Ce fut parmi les derniers coups psychologiques destinés à miner toute résistance au sein d’un peuple profondément catholique. L’Église catholique s’est excusée publiquement de l’attitude du président de la CEP mais le mal - le Coup - était fait, avec la participation active du Vatican et de l’ambassade yankee.

Le commerce entre le Paraguay et les États-Unis est limité, le rôle des entreprises étasuniennes dans le pays peu significatif. Dès lors, quel intérêt avait l’Empire étasunien à encourager un Coup d’État au Paraguay ? Le Coup, « doux » et adapté aux temps nouveaux, ne visait pas tant le Paraguay mais le processus d’intégration autonome de l’Amérique latine. Ce qui préoccupe ces « maîtres du monde », c’est l’indépendance croissante de la région depuis l’ascension à la présidence de Chávez au Venezuela et, surtout, depuis le premier gouvernement Lula au Brésil. Les principaux motifs du Coup ne sont pas le Paraguay et ses 7 millions d’habitants, ni ses importantes richesses naturelles en eau et en énergie hydroélectrique, ni ses terres agricoles. La véritable raison est l’Amérique latine, particulièrement l’Amérique du Sud, qui s’unit autour de l’UNASUR, de la Banque du Sud, et autour d’une politique extérieure (y compris de défense) indépendante, voire opposée à l’Empire étasunien.

Les États-Unis d’Amérique veulent disposer de leur « Israël d’Amérique du Sud » et ont visé le « maillon faible » de la région, le Paraguay. Ils ont réussi au Paraguay ce qu’ils ont échoué en Bolivie, en Équateur ou au Venezuela. L’attitude belliciste des putschistes paraguayens s’est manifestée à l’égard de la Bolivie (le Paraguay partage des frontières définitives avec la Bolivie et il n’y a aucun motif objectif de conflit avec ce pays) et en encourageant le réarmement rapide des Forces Armées paraguayennes. Une course à l’armement en Amérique du Sud est-elle absurde ? Pour qui défend le processus d’intégration, oui. Pour qui voudrait détruire un tel processus, la thèse belliciste doit être prise au sérieux, on ne peut écarter aucune provocation qui, en réalité, viendra du Nord. Dans un tel contexte, les putschistes paraguayens ont insisté sur la nécessité de construire une base militaire étasunienne dans la région du Chaco et de signer un accord de libre-échange avec les États-Unis ou avec l’Alliance du Pacifique (Chili, Colombie, Pérou, Mexique), comme contrepoids au MERCOSUR et à l’UNASUR.

Outre l’Ambassade yankee, des transnationales comme Cargill, Monsanto et Río Tinto seraient également impliquées dans le Coup dont elles sont, de fait, les principales bénéficiaires. Quelques jours après le Coup, Franco a annoncé que le soja était libre de tout impôt, il a autorisé l’usage de semences transgéniques de Monsanto sans respect des procédures légales et a signé un décret afin d’ouvrir les négociations avec la transnationale de l’aluminium Río Tinto, qui entend extraire l’énergie hydroélectrique paraguayenne à un prix bradé. Par la suite, le même Franco interrompait, dans une église en pleine messe, les critiques de l’évêque progressiste Mario Melanio Medina à l’égard des transgéniques pour prendre la défense de Monsanto. Ce qu’on peut dire des putschistes, c’est qu’ils prennent ouvertement fait et cause pour leurs alliés qui spolient et continueront de spolier le peuple paraguayen, maintenant sans les entraves gênantes du gouvernement progressiste de Fernando Lugo. Assurément, plusieurs millions de dollars ont rempli les poches des putschistes afin de perpétuer la présence du « porte-avions » que les États-Unis ont installé au cœur de l’Amérique, contre l’intégration et l’autonomie des peuples latinoaméricains.

Le Coup a également compté sur la participation des grands propriétaires terriens (les latifundistes) paraguayens, brésiliens et même uruguayens. Ce n’est pas un hasard si des dirigeants des partis blanco et colorado d’Uruguay sont venus à plusieurs reprises défendre leurs frères paraguayens latifundistes et putschistes, tout comme eux le furent il y a quelques décennies avec Bordaberry père. Au Paraguay, la terre vaut cinq fois moins cher qu’en Uruguay ou qu’au Brésil : les latifundistes uruguayens et brésiliens veulent s’assurer que cette situation perdure. Le brésilien Tranquilo Favero, « roi du soja », possède un million d’hectares de soja à lui seul, ce qui lui permet d’engranger 1500 millions de dollars par an, sur lesquels il ne paie pas un centime d’impôt. En outre, le précédent gouvernement paraguayen colorado (2003-2008) lui avait offert des centaines de millions de dollars via un gazole subsidié, qui sont venus enfler la dette de l’entreprise nationale PETROPAR.8

 

 

Première grève générale en vingt ans au Paraguay

Du jamais vu depuis 20 ans. Le 26 mars 2014, le président paraguayen Horacio Cartes a réussi à unir contre lui la population d’un pays marqué par les divisions. Une grève générale massive soutenue par des organisations de paysans, d’ouvriers, d’étudiants, d’artistes, de jeunes mais aussi des intellectuels, des religieux et le Partido Liberal Radical Auténtico (PLRA) (en dépit de la signature d’un pacte de gouvernabilité avec Cartes), a paralysé 80 % de l’activité économique du pays (transports, commerces, écoles, etc.). De toute évidence le « nouveau cap » annoncé par le pouvoir ne convainc pas…

Élu le 21 avril 2013, Cartes a succédé à Federico Franco, lequel avait procédé au « coup d’État institutionnel » contre Lugo. L’opération a conduit le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Union des nations sud-américaines (Unasur) à exclure le Paraguay (respectivement jusqu’en juillet et août 2013). Les quatorze mois de gouvernement de M. Franco (juin 2012 à août 2013) balayèrent les réformes naissantes lancées pendant le gouvernement de Lugo en matière de santé, de lutte contre la pauvreté, de réglementation de l’utilisation des pesticides et des organismes génétiquement modifiés (OGM). Dès son arrivée au pouvoir, Cartes annonça qu’il héritait de caisses vides : le gouvernement de Franco restera probablement dans les mémoires comme l’un des plus corrompus de l’histoire récente du pays, pourtant expert en la matière.

M. Cartes a pris ses fonctions le 15 août, par une froide matinée, devant une place à moitié vide : les dirigeants de son propre mouvement, le parti Colorado, avaient décidé de manifester leur mécontentement, se considérant insuffisamment récompensés par l’attribution de postes de ministères (réservés à la garde rapprochée de M. Cartes dans le secteur privé). Moins d’une dizaine de chefs d’État étaient présents. Par contre, cent cinquante patrons étrangers avaient fait le déplacement : ils savaient pouvoir compter sur un accueil chaleureux.

Le nouveau président — dont les déclarations publiques ne se caractérisent pas par un excès de diplomatie (n’a-t-il pas déclaré pendant la campagne présidentielle qu’il se tirerait une balle dans les parties génitales s’il venait à découvrir que son fils était homosexuel) — a martelé qu’il souhaitait rendre le Paraguay « attractif » pour les investisseurs. Devant un parterre de chefs d’entreprise uruguayens, il a ainsi expliqué que son pays devrait devenir « facile » comme le sont « les femmes belles et attrayantes »

Ne se laissant pas impressionner par le tollé qu’il avait suscité, le président a récidivé lors d’une rencontre avec des entrepreneurs brésiliens. À la tête d’un pays dont les langues officielles sont l’espagnol et le guarani (langue indigène parlée par 80 % de la population), M. Cartes s’est exprimé en portugais pour inviter les patrons brésiliens — qui lorgnent sur la main d’œuvre bon marché du pays — à « user et abuser » du Paraguay.

Mais M. Cartes ne s’est pas contenté de déclarations. Quelques jours après son arrivée au pouvoir, sa première mesure fut de présenter au Congrès un amendement de la loi 337/99 de défense nationale et de sécurité interne, afin d’autoriser le recours aux forces militaires dans la lutte contre les groupes armés, sans passer par la déclaration de l’État d’exception (comme l’exige la Constitution nationale). Le chef d’État peut ainsi décider de l’intervention des forces armées dans le pays par décret et pour la durée qu’il juge nécessaire. En 2014, trois départements du pays font l’objet de telles mesures : ceux où l’on enregistre le plus grand nombre de conflits autour des cultures de soja transgénique et les grandes propriétés terriennes.

Sa deuxième mesure fut l’approbation d’une loi dite d’alliance public-privé, à l’image des partenariats publics-privés (PPP), bien connus en Europe. Grâce à ce cadre juridique, l’État paraguayen ouvre des pans entiers de l’économie au capital privé…

La troisième mesure, moins connue et décidée dans l’opacité, porte sur l’augmentation de la présence de troupes nord-américaines sur le territoire national. Les sénateurs de la coalition de partis de gauche Frente Guasu, à laquelle appartient l’ancien président Fernando Lugo, aujourd’hui sénateur, a demandé à M. Cartes d’apporter des informations sur cette présence militaire américaine au Paraguay. Une demande restée pour l'instant sans réponse.

Mais outre la mobilisation du 26 mars, les temps sont durs pour M. Cartes. Une équipe de journalistes de plusieurs quotidiens latino-américains a révélé les liens entre ses entreprises de production de tabac et différents réseaux de blanchiment d’argent et de contrebande de cigarettes qui inondent les marchés de Colombie, du Brésil ou d’Argentine. L’ampleur de ce trafic serait telle que la contrebande de cigarettes serait plus lucrative que le trafic de cocaïne dans la région de la triple frontière (Argentine, Paraguay, Brésil). En dépit du mécontentement de la population, les affaires demeurent donc plutôt bonnes pour M. Cartes.9

 

 

Une forte croissance en trompe-l'œil

 

Entretien - Petit État enclavé d’Amérique du Sud, le Paraguay est devenu en quelques années le quatrième producteur mondial de soja transgénique. Depuis plusieurs années, la culture du maïs et du soja transgénique n’a cessé de progresser, en même temps que la taille des exploitations agricoles n’a cessé de croître. Le Paraguay a clairement misé sur un modèle de production agricole intensive tournée vers l’exportation. Première ressource du pays, l’agriculture s’industrialise et fait progresser le PIB.

Mais au Paraguay, la forêt a quasiment disparu, et ce choix n’a pas que des conséquences sur l’environnement. Il a aussi une incidence sur la société dans son ensemble. Les petits paysans ne peuvent pas suivre le rythme et vendent leurs terres quand ceux qui servaient de main d’œuvre se retrouvent au chômage.

Dominique Demelenne, sociologue à l’université catholique d’Asuncion, revient sur les évolutions sociales induites par le développement de la culture du maïs et du soja transgéniques. Il répond à Xavier Sartre.

Ce n’est pas tellement le soja ou le maïs transgénique qui est le problème en soi, bien que ce soit un problème écologique et dépendant des grandes entreprises. Mais c’est plutôt la façon de produire, la transformation de la production agricole au Paraguay qui est en train de poser un gros problème. Ces 10 ou 15 dernières années, on est en train de passer d’un système de production de petits paysans qui avaient chacun 10, 15 hectares et qui produisaient quelques produits pour vendre à un système de monoculture et surtout un système de culture industriel mécanisé. Donc, ce qui fait que les petits paysans sont en train de vendre de façon massive leurs terres à de gros producteurs qui possèdent plusieurs milliers d’hectares. On calcule aujourd’hui que 5 millions d’hectares des terres paraguayennes sont aux mains de colons brésiliens. Parmi ces colons, un seul propriétaire possède 1,5 million d'hectares. Donc, c’est une concentration assez forte et qui ne génère pas de main d’œuvre. Cette concentration fait que les petits paysans doivent vendre leurs terres et sont expulsés vers la ville. Le Paraguay n’est pas un pays industriel et donc n’engage pas de main d’œuvre au niveau de l’industrie. Ces petits paysans viennent et ils ne trouvent pas d’emploi en ville. Ce qui fait que de façon paradoxale, le Paraguay a un bon niveau économique. Les indicateurs économiques au niveau macro sont assez bons puisque le Paraguay a une croissance économique plus importante que les autres pays de la région. Mais cette richesse au niveau du produit national brut n’a pas d’impact social ou au contraire, a un impact social négatif puisque la différence entre les riches et les pauvres ne cessent de s’agrandir. La pauvreté ne diminue pas au Paraguay. Au contraire, la pauvreté grandit et grandit dans les secteurs urbains. Donc, c’est aussi une transformation au niveau de la culture sociale du Paraguay. Comme le Paraguay est encore un pays assez peu peuplé avec une petite concentration urbaine, il y avait encore une vie sociale et communautaire assez importante et cette vie sociale et communautaire est en train de disparaître pour une vie urbaine mais qui n’est pas encore très structurée et pas très institutionnalisée. Cela pose des problèmes assez forts. Comme les institutions ne fonctionnent pas, l’école est de très mauvaise qualité, la santé est de mauvaise qualité. Donc, il y a un peu une détérioration du système de la société paraguayenne.

Si je vous comprends bien, le maïs ou le soja transgénique ne sont pas vraiment la cause des problèmes de la société paraguayenne, c’est plutôt un épiphénomène ?

C’est un indicateur d’un style de gestion que l’État paraguayen est en train d’installer. On a un nouveau président qui est du secteur des entreprises. On a un système néolibéral qui laisse place à de grandes entreprises et à des entreprises multinationales. De cette façon, ils reconnaissent le maïs transgénique et le soja transgénique. Mais pour moi, le plus gros problème du Paraguay, c’est le système de production en soi. Le fait que l’État n’organise pas un système de production qui permet de développer de la main d’œuvre pour tous, qui n’a pas un plan de développement social. Donc, c’est la libre concurrence et la concurrence des entreprises, les programmes de lutte contre la pauvreté se réduisent à des affirmations comme « si les gens veulent travailler, ils vont sortir de la pauvreté ». Il faut qu’on essaye d’offrir des emplois mais il n’y a pas d’emplois. Et les emplois qu’on crée sont des emplois de sous-traitance pour de grandes entreprises qui sont très mal payés, très peu sécurisés. Donc, je pense que c’est plutôt un style de gestion économique et l’introduction du maïs transgénique et du soja transgénique est un des indicateurs que l’État laisse faire les grandes entreprises.

Est-ce qu’on peut parler d’une lutte entre les grands propriétaires et petits paysans ou ça va bien au-delà ?

Il y a une lutte qui n’est pas aussi organisée que dans d’autres pays comme le mouvement des sans terre au Brésil. Un des problèmes au Paraguay, c’est l’absence de syndicats ou de mouvements sociaux forts et c’est un point d’interrogation au Paraguay de dire « s’il y a tant de pauvreté et tant d’exclusion sociale, pourquoi est-ce qu’on n’a pas plus d’organisation sociale ? ».
Je crois qu’il y a plusieurs raisons à cela. Il y a la dispersion de la population, une population qui est très fortement rurale et qui a un peu du mal à s’organiser. Les conséquences de 40 ans de dictature d’un parti qui est au pouvoir depuis plus de 60 ans. La reproduction du système de la dictature est restée presque en place. Il y a une difficulté d’organisation sociale face à ces gros propriétaires. Le problème du Paraguay, c’est que l’État est un État autoritaire. Lorsqu’il y a eu le processus de démocratisation, il n’a pas pu créer les institutions pour mettre en place une société démocratique. Il y a des institutions comme l’éducation et la santé qui sont des institutions qui sont restées aux mains des partis très politisés et clientélistes. Il y a beaucoup de fonctionnaires mais ils ne remplissent pas leurs missions. Il y a aussi tout un problème d’institutionnalisation du pays.10

 

 

Benitez, un enfant de la dictature, au pouvoir

Mario Abdo Benitez, qui a pris ses fonctions le 15 août 2018 comme président du Paraguay, est un parent du dictateur Alfredo Stroessner, à la tête du pays de 1954 à 1989, qui promettait de négocier avec l’opposition, faute de majorité au parlement.

Il a prêté serment devant une demi-douzaine de chefs d’Etat de la région, dont l’Argentin Mauricio Macri, le Brésilien Michel Temer, l’Uruguayen Tabaré Vázquez, le Bolivien Evo Morales et le Colombien Ivan Duque.

Lors de son discours, le nouveau président de droite a exprimé sa « solidarité avec les peuples du Venezuela et du Nicaragua confrontés aux abus du pouvoir. Nous ne nous tairons pas. Le Paraguay ne sera pas indifférent devant la souffrance de ces peuples frères ».

Formé aux Etats-Unis, ce chef d’entreprise de 46 ans est issu du Parti Colorado, au pouvoir depuis 1947 dans le pays sud-américain, à l’exception de la période 2008-2013.

« Son parti est profondément divisé et l’opposition pourra l’accompagner si ses projets sont authentiques, démocratiques et si son gouvernement fait preuve d’ouverture », a déclaré à l’AFP le leader de l’opposition, Miguel Abdon Saguier (Parti libéral).

Elu pour cinq ans, il succède à Horacio Cartés, un homme d’affaires issu du même parti. Sénateur pendant le mandat de Cartés, le nouveau chef de l’Etat s’était opposé à son initiative de modification de la Constitution pour autoriser la réélection du président.

Signe des tensions au sein de la formation politique au pouvoir, le président sortant n’était pas présent à la cérémonie. Le Parti Colorado compte 17 sénateurs sur 45 et 41 députés sur 80. Il est divisé entre partisans d’Horacio Cartés et l’aile conservatrice, dont le nouveau chef de l’Etat est le porte-drapeau.

Les 100 premiers jours « seront une période clé, qui est importante pour n’importe quel gouvernement. Abdo va devoir se construire une légitimité », explique à l’AFP l’analyste Daniel Montoya.

« Je vais respecter les institutions (…) Je veux démontrer que mon engagement est au service de la République et son avenir », a déclaré à des journalistes Mario Abdo Benitez, en marge de la cérémonie de prestation de serment.

 

– « Cicatriser les blessures » –

« Je veux cicatriser les blessures, pour la réconciliation des Paraguayens. Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise », avait-il déclaré le veille.

Né le 10 novembre 1971, Mario Abdo Benitez faisait partie de la jeunesse dorée d’Asuncion. Scolarité au prestigieux collège San Andrès, puis études de marketing à la Post University, une université privée du Connecticut (Etats-Unis).

Son père Mario Abdo était le secrétaire privé du général-président Stroessner, dont il était également un cousin éloigné. Il avait été poursuivi pour enrichissement illicite pendant la dictature, avant d’être mis hors de cause.

Le fils assume et revendique l’encombrant héritage paternel : il avait fait le déplacement pour assister à l’enterrement du dictateur en 2006 à Brasilia, où ce dernier était exilé.

Il fut investi une semaine après une mobilisation citoyenne à Asuncion, qui a dénoncé la corruption politique.

Opposé à l’avortement, officier de réserve de l’armée paraguayenne, avec qui il a appris à sauter en parachute, le nouveau chef de l’Etat a participé en juillet 2018 à un entraînement des forces spéciales paraguayennes, en tirant au fusil automatique, devant les yeux amusés d’instructeurs américains.

Le Paraguay affiche une croissance de plus de 4% depuis plusieurs années, sans impact sur la réduction de la pauvreté car son modèle économique agro-exportateur ne crée pas d’emplois dans le pays, parmi les plus pauvres du continent.

« Nous nous efforçons de transformer le Paraguay en pays réellement attractif » pour les investisseurs étrangers, souligne le ministre paraguayen sortant de l’Industrie, Gustavo Leite, mettant en avant que 70 usines d’assemblage ont été construites depuis 2013.

Copropriétaire de deux barrages hydroélectriques, un avec le Brésil, l’autre avec l’Argentine, le Paraguay, pays de 7 millions d’habitants enclavé entre les deux géants sud-américains, sans débouché sur la mer, est un exportateur d’énergie électrique.

Parmi les dirigeants qui assistaient à la cérémonie, figurait Tsia Ing Wen, le président taïwanais, le Paraguay faisant partie des pays reconnaissant Taïwan, malgré les pressions de la Chine.11

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Paraguay
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Paraguay
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfredo_Stroessner
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Paraguay
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Paraguay
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernando_Lugo
(7) http://www.npa2009.org/content/coup-d%E2%80%99%C3%A9tat-%C2%AB%E2%80%89parlementaire%E2%80%89%C2%BB-au-paraguay
(8) Ricardo Canese http://cadtm.org/Paraguay-Coup-d-Etat-militarisme
(9) Gustavo Zaracho http://cadtm.org/Premiere-greve-generale-en-vingt
(10) Interview de Dominique Demelenne par Xavier Sartre. http://fr.radiovaticana.va/storico/2014/03/21/au_paraguay,_une_forte_croissance_en_trompe-loeil/fr1-783539
(11) AFP https://www.anti-k.org/2018/08/16/benitez-un-enfant-de-la-dictature-au-pouvoir-au-paraguay/