L'Estonie

 

 

Origines

À l'issue de la dernière ère glaciaire, les premiers occupants à pénétrer sur le territoire estonien sont des populations nomades qui arrivent vers 8 500 av. J.-C. Selon la théorie la plus répandue, le peuple finno-ougrien, dont descend la majorité des estoniens contemporains, arrive dans la région vers le 4e millénaire avant J.-C. en introduisant la céramique à peigne commune à plusieurs peuples rattachés à la même famille linguistique.

 

Âge de fer

Comme dans le reste de l’Europe, les grandes invasions s’accompagnent d’un déclin économique. Cette période, dite de l’âge du fer moyen (450-700), est marquée par la généralisation des oppida et des sépultures d’un style moins élaboré, simples tas de pierre ou tumulus de terre dans lesquels on trouve à nouveau des armes. Les Slaves qui progressent pacifiquement depuis leur région d’origine prennent sans doute contact durant cette période avec les habitants occupant le territoire de l’Estonie, et s’installent dans les régions voisines qui deviendront plus tard les principautés russes de Pskov et Novgorod. La frontière linguistique entre les deux populations se fixe pratiquement à cette époque.

 

À partir de 800, les Scandinaves, appelés Varègues dans l’Est de l’Europe dont la Turquie, qui avaient subi une éclipse, sont de retour sur la rive sud-est de la Baltique : ces marchands guerriers mettent en place une nouvelle route commerciale entre la Scandinavie d’une part et Byzance et le monde arabe d’autre part ; celle-ci emprunte la rivière Daugava, aujourd’hui en territoire letton. La cité-État de Novgorod et la Rus de Kiev, embryon de la future Russie, dont les Varègues sont les fondateurs, leur servent de relais et contribuent à nourrir le trafic. Les échanges portent notamment sur le sel, les objets en métal, les étoffes, les esclaves, les fourrures et le miel. Bien que n’étant pas situé sur la route principale qui passe plus au sud, les occupants du territoire estonien profitent de ce courant commercial comme en témoigne la découverte de nombreuses pièces arabes

 

 

La christianisation des pays baltes (1186-1227)

 

Le contexte des croisades

Le XIIe siècle est en Europe la période des croisades, qui visent à convertir à la foi chrétienne les peuples païens, si besoin par la force des armes. Coincées entre la Scandinavie catholique et la Russie orthodoxe, les régions bordant la côte sud de la mer Baltique, de la Prusse à l'Estonie, sont à l'époque les dernières contrées païennes sur le continent européen. Des missions de conversion étaient parties de Scandinavie aux XIe et XIIe siècles sans rencontrer de succès. À la même époque, les côtes de la Baltique, aujourd'hui allemandes et occupées alors de manière sporadique par le peuple slave des Wendes, sont colonisées par des populations germaniques en expansion démographique. Plusieurs ports sont fondés dont Lübeck en 1143. En 1161, les marchands allemands de cette ville fondent avec les commerçants de Hambourg la Hanse : ce réseau d'entraide vise à protéger leur commerce en mer du Nord et en mer Baltique. Intérêt commercial et esprit de croisade vont converger pour déclencher un mouvement qui aboutira à la colonisation germanique des pays baltes : le mouvement migratoire allemand qui se poursuit se heurte bientôt aux peuplades païennes qui vivent plus à l'est en Prusse et en Lituanie, tandis que les marchands de la Hanse souhaitent sécuriser la rive sud-est de la Baltique occupée par les populations païennes dont l'instabilité politique est peu propice à leur commerce avec les principautés russes ; par ailleurs les chevaliers du Saint-Empire romain germanique, dont le rôle en Terre sainte est marginal, sont à la recherche d'une terre de croisade et vont jeter leur dévolu sur ce dernier territoire païen.1

 

La confédération livonienne (1227-1558)

Les croisades baltes (1200-1227), menées sur le territoire par un ordre de soldats templiers allemand, les chevaliers porte-glaive, réalisent la conquête du pays dont les habitants sont convertis à la foi chrétienne. Un État dominé conjointement par des princes-évêques et l'ordre des moines soldats, recouvrant à la fois le territoire de l'Estonie et de la Lettonie moderne, se met en place avec deux classes de population bien distinctes : d'une part une minorité d'origine allemande qui constitue l'élite politique, militaire, religieuse, intellectuelle et qui monopolise le commerce et la propriété foncière, d'autre part les paysans, finno-ougriens sur le territoire estonien, dont le statut va se dégrader au fil des siècles. Cette division perdure plus ou moins jusqu'en 1917.2

 

La condition paysanne

La condition de la paysannerie va progressivement se dégrader du XIIIe au XVIe siècle. Les modes de culture progressent avec l'adoption de l'assolement triennal mais l'outillage agricole reste inchangé. Le nombre et le pouvoir des grands propriétaires terriens (les mõisnik), majoritairement d'origine germanophone, augmentent progressivement dans les campagnes : ils accaparent les terres tout en multipliant les servitudes féodales. Les commerçants des villes maintiennent un monopole sur le commerce qui prive de sources de revenus la paysannerie des côtes et des îles. L'esclavage disparaît progressivement mais globalement le statut du paysan se dégrade. La paysannerie est subdivisée en plusieurs catégories : les petits vassaux (maavabad), sans doute descendants des anciens chefs locaux, exemptés de taxes féodales, les laboureurs qui forment le corps principal de la classe paysanne et les paysans sans terre et journaliers. Au XVe siècle apparaissent les üsksjalad, propriétaires de lopins modestes. La condition des paysans a été fixée au moment de la conquête par des accords qui préservent certains des droits des indigènes, notamment leur présence dans les instances judiciaires. Le statut accordé est plus favorable dans l'île de Saaremaa, prompte à la révolte, que dans les premiers territoires conquis au sud de l'Estonie actuelle. Mais progressivement les corvées et surtout la dîme, due au pouvoir ecclésiastique, vont s'alourdir jusqu'à provoquer la révolte paysanne dite « de la Saint-Georges » en 1343-1345, qui constitue aujourd'hui un des mythes fondateurs de l'Estonie. Cette révolte éclate, semble-t-il, de manière spontanée dans la région de Tallinn où les grands propriétaires fonciers, moins contrôlés par leur suzerain danois, font peser un fardeau particulièrement lourd sur la paysannerie. Les insurgés brûlent les manoirs et les églises, massacrent les propriétaires puis mettent le siège devant Tallinn en appelant à l'aide les Suédois et les Russes de Pskov. Ces derniers interviennent trop tard, alors que le gros de la révolte a déjà été écrasé. Une dernière flambée de révolte éclate à Saaremaa qui n'est reprise par les chevaliers Porte-Glaive qu'au printemps 1345. L'échec de la révolte est suivi de la poursuite de la dégradation du statut des paysans qui va conduire à l'apparition du servage à la fin du XVIe siècle. Pour échapper à une condition de plus en plus misérable, certains paysans quittent la campagne et s'installent dans les villes, ou fuient vers les pays voisins.

 

Les guerres de Livonie (1558-1710)

Durant cette période qui va de 1558 à 1770 les conflits, qui aboutissent à l'éclatement de la Confédération livonienne, occupent 70 années pour 82 années de paix et ravagent la région. Les élites locales perdent leur pouvoir politique au profit des grands états voisins qui montent en puissance. Ces bouleversements se superposent avec des changements importants au sein de la société : l'implantation du protestantisme, les premiers écrits en estonien et la fondation de la première université.

 

La montée en puissance de la Suède

Les combats reprennent peu après (1563) entre d'une part la Suède et d'autre part le Danemark allié à la Pologne-Lituanie. La paix de Stettin en 1570 permet à la Suède de récupérer l'évêché de Saare-Lääne. Jusqu'en 1917 le territoire ainsi agrandi détenu par la Suède portera le nom d'Estonie. Les combats reprennent la même année entre la Suède et la Russie. Les Russes parviennent à plusieurs reprises à envahir le territoire occupé par les Suédois mais échouent devant Tallinn malgré deux sièges en 1570-1571 et 1577. La République des Deux Nations, gouvernée à partir de 1576 par Stefan Bathory, s'attaque aux armées russes tandis que le général Pontus de La Gardie, mercenaire au service de la Suède, parvient à chasser définitivement les Russes. Par la paix de Iam Zapolsk (1582) Ivan le Terrible reconnaît la défaite de ses troupes et les droits de la République des Deux Nations sur la Livonie. La guerre reprend entre Russes et Suédois en 1590. La Russie, qui est en proie au chaos depuis la mort d'Ivan le Terrible, doit reconnaître par le traité de Täyssinä (1595) les droits de la Suède sur l'Estonie. Cet accord sera confirmé par le traité de Stolbovo signé en 1617 par le nouveau souverain russe Michel Ier de Russie. La Suède et la République des Deux Nations, après une trêve qui dure jusqu'en 1600, reprennent les armes. La noblesse germanophone de la Livonie, qui a été en partie dépouillée de ses biens par le nouvel occupant, prend le parti de la Suède. Après des combats indécis entrecoupés d'armistices les armées suédoises prennent le dessus. Au terme du traité d'Altmark (1629) signé entre les deux belligérants, pratiquement toute la Livonie passe sous le contrôle de la Suède. La Courlande reste polono-lituanienne. En 1643 un nouveau conflit permet à la Suède victorieuse de récupérer l'île de Saaremaa par le traité de Brömsebro (1645). La première guerre du Nord éclate entre la Suède et la République des Deux Nations en 1656 et se déroule en grande partie sur le territoire de l'actuelle Estonie. La Suède, qui l'emporte, voit confirmer par des traités signés en 1660 (traité de paix d'Oliwara avec la Pologne Lituanie) et 1661 (traité de paix de Kärde avec la Russie) son hégémonie sur les territoires qu'elle détient sur la rive sud de la Baltique, y compris l'Ingrie et l'emplacement de la future capitale russe Saint-Pétersbourg.

 

L'ère suédoise (1595-1710)

Le territoire de l'Estonie est désormais pratiquement entièrement contrôlé par le royaume scandinave et pour la première fois placé sous le contrôle d'un pouvoir politique unique. Sur le plan administratif, la région est découpée en trois entités aux statuts très différents : au nord le duché d'Estonie a pour capitale Tallinn et comprend 4 maakonnad (districts) : le Harjumaa, le Järvamaa, le Läänemaa et le Virumaa. Narva est détaché de cet ensemble et devient la capitale de l'Ingrie. La province de Livonie au sud a pour capitale Tartu puis Riga et comprend 4 districts dont deux Tartu et Pärnu rassemblant les locuteurs estoniens (désignés par le terme d'Esthen), les deux districts du sud qui rassemblent les locuteurs lettons se situant sur ce qui constitue aujourd'hui le territoire de la Lettonie. Enfin l'île de Saaremaa constitue une troisième entité tantôt gouvernorat tantôt possession personnelle du roi de Suède.

 

Vers 1640, la population, victime des conflits quasi permanents ainsi que de la famine et des épidémies qui les accompagnent, compte de nouveau moins de 150 000 habitants. La reprise démographique est rapide et vers 1690 on dénombre entre 350 000 et 400 000 habitants sur le territoire correspondant à l'Estonie moderne soit 10 % de la population du royaume de Suède. Cet accroissement de la population est en partie lié à l'arrivée d'immigrants qui viennent repeupler les territoires vidés par les différents conflits et répondent ainsi parfois à l'appel des autorités. Ils viennent de Finlande, Russie, Courlande et de Lituanie. En général les nouveaux venus finissent par se fondre dans la paysannerie estonienne. Toutefois une communauté de russes vieux-croyants, pourchassés pour leur croyance dans leur pays, vient coloniser les rives du lac Peipous et conservera jusqu'à aujourd'hui sa langue et sa culture. Des commerçants et artisans russes s'installent dans les villes. La croissance démographique est interrompue par le petit âge glaciaire qui débute à cette époque et provoque une dégradation climatique catastrophique en 1695-1697 : des pluies diluviennes et un froid persistant entraînent une famine accompagnée d'épidémies de typhus et de dysenterie qui fait périr 20 % de la population.

 

Le pouvoir de la classe dominante germanophone, descendante de l'ordre de Livonie, sort fortement renforcé de cette série de conflits. Ceux qu'on appelle désormais les barons baltes (en allemand ils se désignent par le terme de Balten « Baltes » ou Deutschbalten « Baltes allemands » ou Balstischer Adel « noblesse balte » pour se distinguer des Allemands roturiers), reçoivent la récompense de leur soutien à la Suède avec des variantes selon les régions administratives : très favorable en Estonie qui s'est ralliée très tôt à la couronne suédoise, un peu moins à Saaremaa ou les terres confisquées sont en partie conservées par la couronne suédoise et en Livonie intégrée plus tardivement. Dans ces trois régions les barons baltes bénéficient d'un statut juridique privilégié (Ritterschaft chevalerie) ; les affaires courantes sont désormais gérées par des conseillers territoriaux (Landräte) choisis parmi les barons baltes. Les représentants forment une diète régionale qui se réunit tous les trois ans, à Tallinn pour l'Estonie et Riga pour la Livonie. Les pouvoirs du gouverneur suédois sont essentiellement fiscaux et militaires. Les lois suédoises n'ont pas cours. Les institutions mises en place, qui donnent les pleins pouvoirs aux barons baltes, se maintiendront jusqu'à la fin du XIXe siècle.

 

La grande guerre du Nord

Pierre le Grand, tsar depuis 1682, a de grandes ambitions pour son pays qu'il veut moderniser en l'ouvrant vers l'Europe occidentale. La réalisation de son dessein nécessite de disposer d'une « fenêtre » sur les côtes de la Baltique, qui sont à l'époque entièrement aux mains de la couronne suédoise. Il va profiter de la position affaiblie de la Suède dans les pays baltes. La Russie se joint à une alliance passée entre la République des Deux Nations, le Danemark et la Saxe contre la Suède en 1699. Ce pacte est en grande partie le résultat des intrigues du maréchal de camp balte Johann Reinhold von Paktul ; cet ancien porte-parole de la diète de Livonie est devenu celui des opposants aux réformes en 1692 avant de passer dans le camp de la Pologne-Lituanie. La grande guerre du Nord éclate en février 1700. Les troupes saxonnes et polono-lituaniennes pénètrent sur le territoire des pays baltes par le sud mais échouent devant Riga, tandis que le roi de Suède inflige une défaite cinglante aux troupes russes à Narva. Le corps d'armée principal suédois dirigé par Charles XII, négligeant de poursuivre son avantage contre l'armée russe, s'enfonce en Pologne, ce qui permet aux troupes russes d'occuper l'Ingrie puis, en 1701 et 1702, de ravager la Livonie et l'Estonie gardées par un mince rideau de troupes. Les Russes parviennent à s'emparer de Tartu et de Narva. Le souverain suédois, après avoir vaincu ses ennemis à l'ouest et leur avoir imposé des traités de paix, se retourne en 1706 contre les Russes avec lesquels un armistice avait été signé entretemps. Mais il est complètement défait à la bataille de Poltava en Ukraine (1709), ce qui permet aux troupes russes de parachever leur conquête des bords de la Baltique en 1710, puis d'occuper une partie de la Finlande qui est à l'époque une possession suédoise. Le conflit s'achève en 1721 avec le Traité de Nystad qui entérine l'annexion de la Livonie et de l'Estonie par la Russie. Celle-ci est désormais installée dans le rôle de puissance dominante de la région au détriment de la Suède. Dès 1703, Pierre le Grand lance les travaux de la nouvelle capitale de l'Empire, Saint-Pétersbourg, qui reflète le rôle majeur que joue désormais la région pour les dirigeants russes.

 

L'Estonie dans l'Empire russe (1710-1917)

Les nouveaux dirigeants russes n'introduisent aucun bouleversement dans la région. La noblesse germanophone, qui a accueilli favorablement le changement de suzerain, retrouve la position qu'elle détenait avant les interventions des deux derniers souverains suédois : dès 1710 les privilèges des diètes de Livonie et d'Estonie sont ainsi restaurés et les biens confisqués par la couronne suédoise sont restitués aux germanophones. Par la suite, tous les tsars jusqu'à Alexandre II confirment ces droits et la gestion des provinces est entièrement confiée aux barons baltes qui en échange font preuve d'un loyalisme sans faille envers le pouvoir russe. La noblesse lettone fournit aux souverains russes de nombreux serviteurs de rang élevé ; à compter de Pierre le Grand, l'élite intellectuelle et militaire est d'ailleurs souvent d'origine germanique. Sur les plans religieux et linguistique, les autorités russes n'interfèrent pas avec les pratiques locales, contrairement à ce qui se passe dans le reste de l'Empire. Le cadre administratif est légèrement modifié : les provinces de Livonie et d'Estonie sont chacune divisées en quatre districts. Saaremaa est désormais un des districts de la Livonie. Le pouvoir russe désigne les deux gouverneurs des régions, généralement des Russes, qui traitent essentiellement des affaires militaires, ainsi que les responsables des douanes et les percepteurs d'impôt. Le reste de l'administration est entre les mains des barons baltes. La langue de l'administration et de la justice est l'allemand, tandis que celle de l'armée et des douanes est le russe. Les pays baltes sont protégés par une barrière douanière du reste de l'Empire et disposent de leur propre monnaie, le Thaler.

 

L'éveil estonien au XIXe siècle

L'éveil du sentiment national estonien est un processus très graduel qui se déroule tout au long du XIXe siècle. Durant la première moitié de ce siècle, la question de l'identité nationale est absente des préoccupations de la plupart des estoniens. Il n'y a alors ni classe moyenne ni vie intellectuelle proprement estonienne ; la culture germanique constitue la référence tandis que les questions du servage et de l'accès à la propriété foncière monopolisent les combats des indigènes : les paysans estoniens sont d'ailleurs prêts à émigrer ou à se convertir à une foi étrangère pour améliorer leur sort. L'impulsion initiale vient paradoxalement des Germano-Baltes. La réouverture en 1802 de l'université de Tartu (Dorpat à l'époque), fermée depuis 1711, va contribuer au développement du courant estophile.

 

Les cours sont exclusivement en allemand jusqu'en 1889, quoiqu'une chaire d'estonien, destinée essentiellement aux futurs pasteurs luthériens, est créée en 1803. L'université, qui accueille entre 600 et 700 étudiants et 37 professeurs au milieu du XIXe siècle, comprend des facultés de sciences, d'histoire et de lettres, de droit, de médecine et de théologie. Les enseignants sont initialement d'origine allemande, mais à partir de 1841, le corps professoral est exclusivement d'origine locale c'est-à-dire germano-balte. Ce foyer intellectuel va accentuer l'influence culturelle allemande, ce qui, de manière paradoxale, va favoriser l'émergence du mouvement national estonien. Le début du XIXe siècle est en Allemagne la grande époque du romantisme qui se traduit notamment par un intérêt croissant pour les traditions et les langues locales. C'est ainsi qu'un petit cercle d'intellectuels, essentiellement germanophones, va se consacrer à l'étude du milieu estonien. Le pasteur Johann Heinrich Rosenplänter publie entre 1813 et 1832 une revue savante à diffusion restreinte, rassemblant des articles sur la linguistique, l'histoire, la mythologie et le folklore estoniens. En 1836 paraît le journal Das Inland (« Le pays d'ici » en allemand) qui consacre une partie de ses pages au même sujet. En 1838 est fondée à Tartu la Société savante estonienne (Gelehrte Esthnische Gesellschaft). Enfin la Société littéraire estonienne (Esthnische Literarische Gesellschat) est créée en 1842 à Tallinn. Cet intérêt pour la culture estonienne se conjugue avec la volonté d'améliorer la condition du paysan estonien : des ouvrages d'éducation populaire touchant l'hygiène, l'agronomie, la lutte contre l'alcoolisme sont publiés. Mais beaucoup d'estophiles sont persuadés que les Estoniens, une fois mis sur la voie du progrès, vont à terme se germaniser comme les peuples de la Prusse : leur propre rôle est d'être les vecteurs de la civilisation, de faciliter la transition et de recueillir un patrimoine culturel appelé à disparaître.

 

Les estophiles cherchent à reconstituer le passé historique des Estoniens. Soucieux de valoriser leur sujet d'étude et en proie à une exagération caractéristique de cette époque romantique, certains d'entre eux tracent le portrait d'une société estonienne antérieure aux croisades baltes idyllique et raffinée. Ces études les mènent à s'intéresser à la Finlande qui utilise une langue apparentée, ce qui, dans l'optique herdérienne dominante, font des Finlandais et des Estoniens des peuples frères.

 

À compter de 1830, les Estoniens, qui n'ont plus honte de leurs racines, prennent le relais des estophiles et se revendiquent comme estoniens (eeslane) un terme qui n'apparaît qu'à cette époque. Jusque-là les Estoniens se désignaient sous le nom de maarahvas (« les gens du pays ») et appelaient leur langue maakeel (« la langue du pays »). Mais l'allemand reste toujours la langue de la culture, dont la maîtrise est nécessaire à toute élévation sociale. L'estonien est encore à cette époque une langue rustique à laquelle il manque une grammaire et un vocabulaire permettant de manier des concepts abstraits. Les membres de la petite communauté intellectuelle estonienne vont forger au cours de la deuxième moitié du XIXe l'estonien moderne à l'aide de différentes méthodes : plusieurs milliers de termes sont créés à cette époque par néologisme, emprunts à d'autres langues ou au patois, etc. Des dictionnaires rédigés au début du XXe siècle contribueront à figer et à donner leur cohérence à ces travaux. La graphie de l'estonien, très influencée jusque-là par l'allemand, est remaniée pour reproduire de manière plus fidèle la prononciation ; elle est rapprochée de celle du finlandais ; ainsi le ö inspiré de l'allemand est désormais retranscrit en õ à la manière finlandaise. Une presse en estonien commence à apparaître grâce à l'activité des estophiles. Dans la première moitié du siècle, ce ne sont que des journaux éphémères aux tirages très faibles. Le premier véritable journal est le Perno Postimees (le postillon de Përnu) édité par Johann Voldemar Jannsen de 1857 à 1864 qui compte 2 000 abonnés.

 

La tentative de russification (1885-1904)

En 1871 la renaissance d'un empire allemand au nationalisme agressif contribue à modifier le regard que portent les dirigeants russes sur les États baltes. Les Germano-baltes ne sont pas insensibles à la naissance d'une nation allemande moderne et forte. Par ailleurs la révolte polono-lituanienne de 1863 entraîne un regain de méfiance du tsar vis-à-vis des peuples de l'Empire situés sur les marges occidentales de la Russie. Le courant de pensée panslaviste, réponse au pangermanisme allemand, se développe en Russie : au sein de l'empire certains souhaitent renforcer l'identité russe des régions peuplées de non russes. Mais cette idéologie, qui prône la naissance d'un État-nation russe est difficilement applicable à un empire qui compte 57 % de non-russes (en 1897). Elle a, de ce fait, peu d'influence sur la politique des tsars. Mais après l'assassinat d'Alexandre II en 1881, qui marque un coup d'arrêt brutal à une période de réformes, Alexandre III adopte en partie les thèses des panslavistes. Il refuse notamment de reconduire les privilèges des Germano-baltes et donne comme instruction aux nouveaux gouverneurs des provinces baltes de renforcer la présence de l'État russe. Le russe devient la langue de l'administration et de la justice. Les fonctionnaires russophones remplacent les germanophones. Le pouvoir tente d'encourager sans succès les conversions à la religion orthodoxe et fait construire des églises orthodoxes comme la cathédrale Alexandre Nevski, située à deux pas du siège de la diète d'Estonie et inaugurée en 1900. Les écoles primaires passent en 1885 sous l'autorité du ministère de l'Éducation. Le russe devient progressivement la langue obligatoire sur l'ensemble du cursus scolaire. Des enseignants russophones remplacent les maîtres d'école ne maîtrisant pas suffisamment le russe pour enseigner dans cette langue. À l'université de Tartu (la ville est rebaptisée Iouriev, son nom russe d'origine), la plupart des enseignants, qui étaient jusque-là des germanophones, sont remplacés par des russophones. Les Germano-baltes sont ainsi pratiquement exclus de tous les domaines dans lesquels ils occupaient une position dominante depuis des siècles. Pour les Estoniens la politique de russification va, de manière paradoxale, renforcer à la fois le sentiment national et la position de la langue estonienne. Le russe est appris comme une langue utilitaire car il n'a pas le prestige de l'allemand. Ce dernier, qui était la langue de la culture chez les Estoniens les plus instruits, perd sa position dominante. Entre 1890 et 1900 l'estonien devient la langue des Estoniens cultivés.

 

C'est sans doute également à cette époque que le sentiment national se répand chez une majorité d'Estoniens. Signe de cette vitalité du nationalisme estonien, le nombre d'associations qui se déclarent estoniennes s'accroît. Parmi celles-ci la Société des étudiants estoniens, fondée en 1870 mais reconnue par le recteur de l'université de Tartu en 1883 seulement, milite pour que l'estonien devienne la langue en usage dans les milieux intellectuels. Elle adopte, sur la suggestion de Hurt, un drapeau comportant trois bandes de couleurs bleu, noir et blanc disposées horizontalement, qui va devenir rapidement celui du mouvement national avant d'être adopté par l'Estonie indépendante. Après le décès d'Alexandre III en 1894, l'autoritarisme du pouvoir russe s'atténue et le mouvement national estonien peut se politiser. Les leaders du mouvement ne demandent pas l'indépendance, qu'ils n'envisagent pas, mais la reconnaissance de leur existence en tant que peuple et l'égalité des droits avec les Germano-baltes. L'une des figures les plus en vue est Jaan Tõnisson. Ce juriste, ancien président de l'association des étudiants estoniens, prend la direction du principal journal estonien, le Postimees, en 1896 : il milite pour la reconnaissance du peuple estonien dans le respect de la loi avec pragmatisme, c'est-à-dire au besoin en s'alliant aux Germano-baltes. Conservateur, il considère, comme de nombreux politiciens estoniens du XXe siècle, que l'identité de la nation estonienne se trouve dans ses racines rurales. L'avocat Konstantin Päts, future figure politique majeure de l'Estonie indépendante, fonde à Tallinn le deuxième quotidien estonien Teataja (Le Héraut). Plus radical, il souhaite écarter les Germano-baltes du pouvoir et, sans adhérer aux thèses socialistes, s'intéresse au sort des couches les plus défavorisées de la population urbaine. Aux élections municipales de 1904, les nationalistes estoniens présentent pour la première fois des candidats. Päts, allié à un parti russophone, emporte les élections à Tallinn et devient maire-adjoint de cette ville. Il existe quelques défenseurs estoniens de la russification qui mettent en avant notamment la faiblesse démographique des Estoniens. Un mouvement socialiste clandestin apparaît à l'université de Tartu dans les années 1890 tandis qu'une cellule du Parti social-démocrate russe (S.D.), dont les membres sont majoritairement estoniens, est créée dès 1902 à Tallinn.

 

La Révolution de 1905

La Révolution russe de 1905 éclate à la suite de la défaite de l'Empire face au Japon dans un contexte de crise économique et sociale. Son déclenchement (dimanche rouge de Saint-Pétersbourg) est suivi de mouvements de grèves et de manifestations sur le territoire de l'Estonie analogues à ce qui se passe au même moment dans le reste de l'empire. Les représentants des courants nationalistes estoniens, sur le devant de la scène en l'absence de partis ou de syndicats, demandent des représentants élus au suffrage universel, une réforme agraire et une reconnaissance de la langue estonienne, mais à l'époque, l'idée d'indépendance, qui paraît irréaliste aux acteurs, n'est pas évoquée. Le 16 octobre, alors que l'anarchie s'est installée à Tallinn, l'armée ouvre le feu dans cette ville sur un rassemblement autorisé et fait entre 28 et 95 morts. Quelques jours plus tard, Nicolas II tente de calmer les esprits en promettant d'organiser sur le territoire de l'Empire russe des élections au suffrage universel et d'autoriser les partis politiques ainsi que les syndicats. Durant les 2 mois suivants, le gouvernement russe abandonne la politique de répression et de censure. Jaan Tõnisson fonde le Parti progressiste populaire (Eesti Rahvameelne Eduerakond ou ERE), premier parti politique estonien : celui-ci réclame l'établissement d'une monarchie russe parlementaire, l'autonomie politique de la région, et des droits accrus pour les paysans. Au même moment apparaît un parti socialiste marxiste, l'Union des travailleurs sociaux-démocrates d'Estonie, bien implanté dans les villes, tandis que les Germano-baltes fondent à Riga le Parti constitutionnel balte, d'idéologie progressiste mais reposant sur la prééminence de la culture allemande et de l'élite germanophone. Fin novembre, 800 délégués de l'ERE réunis à Tartu se divisent entre deux mouvements prônant des programmes opposés : les modérés demandent l'union des provinces baltes, la limitation du pouvoir des Germano-baltes et une réforme agraire progressive, tandis que les radicaux exigent l'expropriation des propriétaires fonciers, la collectivisation des terres et appellent à boycotter l'impôt et la conscription militaire.

La Révolution de 1905 contribue à radicaliser les positions politiques. Chez les sociaux-démocrates apparaît une scission entre d'une part les mencheviks et d'autre part les bolcheviks de Lénine hostiles au courant nationaliste ; ces derniers recrutent en Estonie parmi les ouvriers russophones et des ouvriers estoniens radicalisés tel que Jaan Anvelt. Les Germano-baltes, en réaction à cette montée du nationalisme, font venir depuis la Russie 20 000 colons germanophones qui s'installent essentiellement autour de Riga (moins de 500 en Estonie). Les relations entre les communautés germanophone et estonienne se tendent fortement. Malgré la crise politique de 1905, l'économie continue de prospérer et la population continue de s'accroître. Elle atteint 1,086 million en 1911 soit une augmentation de 17 % par rapport à 1897.

 

La Première Guerre mondiale

L'entrée en guerre de l'Empire russe contre l'Empire allemand en août 1914 reçoit un accueil plutôt favorable dans les milieux nationalistes estoniens qui y voient le moyen de prendre une revanche sur les « oppresseurs germaniques ». Pour la minorité germano-balte c'est au contraire une catastrophe : les entreprises à capitaux allemands sont nationalisées, les établissements scolaires, les périodiques et les associations germano-baltes sont fermés. Pendant les trois ans que dure le conflit, l'Estonie, comme tous les autres pays belligérants, est profondément touchée par le conflit : 100 000 Estoniens sont mobilisés soit 20 % de la population mâle dont plus de 10 000 sont tués et environ 20 000 blessés. L'économie, privée d'une grande partie de sa main-d'œuvre, est désorganisée alors que l'inflation n'est plus contrôlée. Le commerce sur la mer Baltique est interrompu par le blocus de la marine allemande. En 1916 la tension monte dans la société : les villes, encombrées de réfugiés et de déserteurs, connaissent des problèmes d'approvisionnement, tandis que les grèves, qui se multiplient, atteignent le même niveau qu'en 1906.

 

La première indépendance (1920-1939)

L'effondrement du régime tsariste en quelques jours, en février 1917, surprend tous les acteurs. La révolution qui s'ensuit est, au début, en Estonie comme dans le reste de l'Empire russe, peu violente car les forces de l'ordre refusent de défendre le régime.

 

« Le 12 avril 1917, le pays se soulève et se constitue en État autonome avec un gouvernement provisoire dirigé par Konstantine Päts (1874-1956). Au traité de Brest-Litovsk (mars 1918), Lénine cède l'Estonie aux Allemands, qui l'avaient envahie en février. L'effondrement du Reich, le 11 novembre, fait de l'indépendance estonienne une réalité que les Soviets se refusent à entériner. Le 28 novembre 1918, l'Armée rouge pénètre en envahisseur. Épaulés par la Finlande, les corps francs estoniens arrivent à rejeter les Russes et les troupes allemandes de Rüdiger von der Goltz, restées sur place (juin 1919). Au traité de Tartu (2 février 1920), les Soviétiques renoncent à toute souveraineté sur l'Estonie, reconnue par les puissances (26 janvier 1921). »3

 

L'Estonie indépendante (1920-1939)

« Une assemblée, élue dès avril 1919, avec August Rei comme président, vote le 15 juin 1920, une Constitution de type parlementaire ; le chef de l'État est aussi chef du gouvernement. »4

Les terres agricoles encore détenues par la noblesse germanophone sont redistribuées aux paysans.

En 1924, le parti communiste est dissous.

 

La vie politique d'entre-deux-guerres

Au début de l'existence de l'Estonie, les partis de gauche non communiste emportent 30 % des voix tandis que la droite agrarienne séduit environ 25 % des électeurs. Les gouvernements qui se succèdent durant les années 1920 rassemblent généralement une coalition de centristes et d'agrariens. La nature du régime parlementaire mis en place ainsi que la coexistence d'un grand nombre de partis (jusqu'à 14 en 1923) ne favorisent pas la stabilité gouvernementale ; comme en France et en Allemagne à la même époque, la durée de vie des gouvernements est généralement brève (un peu plus de dix mois entre 1920 et 1934). Le défilé au pouvoir d'un personnel politique, déchiré par des querelles de personnes plus que sur des programmes, et des campagnes de signatures incessantes pour l'organisation de référendums, écornent fortement l'image du régime auprès des électeurs ; un courant d'antiparlementarisme gagne rapidement en audience à la fin des années 1920 comme un petit peu partout en Europe.

 

Le régime parlementaire est menacé durant la Grande Dépression par la montée d'un mouvement populiste, qui se transforme en 1934 en régime semi-autoritaire dirigé par Konstantin Päts. Ce dernier instaure l’état d’urgence et l’établissement de l'autoritarisme. C’est une véritable dictature qui se met en place progressivement en Estonie. À partir de 1937, il s’autoproclame Riigihoida, c’est-à-dire « protecteur de l'État ». En 1938, enfin, Päts se fait élire président de la République, fonction jusqu’alors inconnue en Estonie.

Cette période qui ce prolonge jusqu'à l'invasion soviétique de 1939 est appelée l'« Ère du silence » (Vaikiv ajastu).5

 

 

L'ère soviétique (1939-1991)

 

 

Première occupation soviétique

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les clauses secrètes du Pacte germano-soviétique, signé en 1939 par l'Allemagne nazie et l'Union soviétique, permettent à cette dernière d'occuper l'Estonie. Le pays est ravagé par son occupant. Les élites germanophones quittent en masse le pays pour répondre à l'appel des autorités nazies. Lorsque l'Allemagne déclare la guerre à l'Union soviétique, l'Estonie est envahie rapidement par les Allemands, puis reconquise par l'Armée rouge en 1944.6

Avant même que les combats en Estonie ne s'achèvent, les dirigeant soviétiques décident d'amputer le pays de plusieurs territoires représentant 5 % de sa superficie (la rive droite de la Narva et la région de Petchory). Il s'agit de lieux susceptibles de jouer un rôle stratégique et que l'URSS souhaite conserver dans l'éventualité de traités de paix qui l'obligeraient à restituer son indépendance à l'Estonie. Des campagnes d'arrestation reprennent et touchent entre 1944 et 1949 environ 75 000 personnes, dont un tiers est fusillé ou meurt dans des camps, le reste étant déporté.

 

Les Estoniens qui ont lutté contre l'Armée Rouge et n'ont pu fuir le pays, ainsi qu'une partie de ceux qui ont refusé de se laisser enrôler par les Soviétiques, prennent le maquis comme dans les autres pays baltes : les frères de la forêt, qui sont dans les années 1945-1947 30 000 soit 4 % de la population, luttent avec l'espoir que les forces alliées viendront délivrer le pays de l'occupation soviétique. Le mouvement, bien que mal organisé, mal armé et pratiquement dépourvu de soutien extérieur, parvient à survivre et à mener des actions jusqu'en 1949. Pour à la fois briser le mouvement et la résistance à la collectivisation agraire en cours, les autorités soviétiques réalisent entre le 25 et 29 mars 1949 une déportation massive des paysans les plus entreprenants et des personnes ayant des activités politiques ou culturelles : 21 000 Estoniens sont envoyés en Russie d'Europe et en Sibérie, généralement dans des exploitations agricoles. Ils reviendront progressivement, à partir de la mort de Staline. Le mouvement des frères de la forêt, désormais pratiquement coupé de son soutien logistique, et impitoyablement pourchassé, s'affaiblit progressivement par la suite. Après 1960, la répression diminue et les déportations cessent.

 

La République socialiste soviétique d'Estonie

Le pays, devenu République socialiste soviétique d'Estonie, est doté d'un conseil des ministres et d'une assemblée législative élue au suffrage universel sur liste unique qui n'est pratiquement jamais convoquée. Le pouvoir réel est exercé par le Parti communiste d'Estonie qui est une section locale du Parti communiste d'URSS. Du vivant de Staline (1945-1953), le parti ne fait que mettre en œuvre les instructions venues de Moscou. Il accède à une certaine autonomie par la suite en particulier lorsque Khrouchtchev accède au pouvoir (1956-1964). Le parti, qui compte 2 400 membres en 1946, en rassemble 113 000 en 1988. Mais les Estoniens restent durant toute la période d'occupation minoritaires au sein du parti et de sa direction.

Au sortir de la guerre, l'Estonie est ravagée : les villes sont en grande partie détruites (Tallinn à 50 %, Narva à 97 %), ainsi que les établissements industriels (45 %). L'industrie est nationalisée et Moscou donne la priorité aux investissements dans l'industrie lourde, en particulier les industries énergétiques : l'extraction des schistes bitumineux de Virumaa est développée.

 

L'économie collectivisée

La croissance de l'industrie lourde très forte (+36 % entre 1946 et 1950 puis +14 % entre 1951 et 1955, +11,4 % de 1956 à 1960, +4,4 % de 1976 à 1980), qui fait de l'Estonie le meilleur élève de toutes les Républiques socialistes, nécessite le recours à une main d'œuvre importante qui afflue depuis les régions russes avoisinantes. Le prix écologique est particulièrement lourd : la Virumaa est ravagée par les carrières d'extraction à ciel ouvert, les centrales thermiques, compte tenu du combustible utilisé, sont particulièrement polluantes. La mer Baltique et les côtes sont fortement dégradées par les effluents industriels en l'absence de stations d'épuration.

L'agriculture n'est pas immédiatement collectivisée car l'organisation du nouveau pouvoir n'est pas encore suffisamment étoffée. Les premiers kolkhozes apparaissent en 1947 ; ils se généralisent immédiatement après la déportation de 1949 destinée à briser toute résistance et les dernières fermes disparaissent en 1952. L'Estonie compte, en 1953, 934 kolkhozes agricoles (152 en 1985), 84 kolkhozes de pêche (8 en 1985), 115 sovkhozes (152 en 1985), tandis que les lopins individuels représentent 8 % de la superficie cultivée (4 % en 1985). Comme dans le reste de l'URSS la nouvelle organisation se traduit d'abord par une baisse de 10 % de la production agricole entre 1950 et 1955. Malgré l'inefficacité du système, la production agricole de l'Estonie est, en 1980, de 75 % supérieure à celle de 1939. Les paysans estoniens travaillent particulièrement dur sur leurs lopins privés au point de devenir le premier producteur de concombre de l'URSS.

Dans les années 1950, les femmes sont nettement plus nombreuses que les hommes à travailler (54 % des emplois en 1954). Ce déséquilibre, qui se retrouve dans la composition de la population (65 % de femmes en 1959), découle à la fois de l'émigration, des déportations et des conflits passés.

 

La société estonienne durant l'ère soviétique

Le niveau de vie, après avoir baissé immédiatement après guerre, augmente de nouveau et il est bientôt plus élevé en Estonie que dans toutes les autres républiques socialistes. Mais la qualité de vie en résultant est, comme dans le reste de l'URSS, très basse comparée aux standards occidentaux à la même époque : des pénuries surviennent régulièrement sur des aliments de base donnant lieu à un important marché noir, les produits manufacturés sont de mauvaise qualité et les produits importés inexistants, sauf pour une minorité de privilégiés. À compter des années 1960, la croissance se ralentit, puis la stagnation s'installe dans les années 1980. Lorsque les premiers contacts sont renoués avec la Finlande dans les années 1980, les Estoniens constatent qu'un fossé s'est creusé entre le niveau de vie des deux pays. Sous le nouveau régime la liberté de mouvement est restreinte. De nombreuses zones militaires sur la côte abritent des bases militaires russes ou des villes fermées comme Sillamaë, interdites d'accès. Pour empêcher les fuites vers la Suède, la circulation dans les îles et sur la côte est limitée, seules quelques plages sont ouvertes à la baignade et seulement de jour. À l'intérieur du pays, la circulation des personnes est contrôlée par un système de passeport intérieur et l'accès au logement est lié à l'emploi rendant tout déménagement difficile.

 

La révolution chantante (1958-1991)

Mikhaïl Gorbatchev prend la tête de l'URSS en 1985. Dans ce contexte apparemment moins répressif et alors que le monde est sous le choc de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (avril 1986), un mouvement écologique prend naissance en Estonie contre l'ouverture d'une nouvelle mine de phosphates et pour la première fois depuis le début de l'occupation soviétique les autorités reculent devant la pression populaire. À la même époque un Groupe estonien pour la publication des clauses secrètes du pacte germano-soviétique, dont les dirigeants soviétiques continuent de nier l'existence, organise le 23 août 1987 une manifestation à proximité du siège du gouvernement qui rassemble plusieurs milliers de personnes et qui n'est pas réprimée. Les commémorations sur des thèmes interdits – guerre d'indépendance, déportations de 1949 – se multiplient dans les mois qui suivent. Le drapeau tricolore estonien, banni depuis l'invasion soviétique, est brandi régulièrement dans les cortèges. Les Estoniens prennent l'habitude de se réunir pour chanter ouvertement des chansons nationalistes donnant son nom à la révolution pacifique en cours : la révolution chantante. Les dirigeants du Parti communiste estonien réagissent avec modération et tentent d'accompagner le mouvement. Edgar Savisaar, membre du parti et directeur du Comité du Plan, crée le Front populaire destiné à soutenir la perestroïka et à élargir l'espace de liberté qui vient de se créer pour l'Estonie. En juin 1988, sous la pression de Moscou qui souhaite obtenir l'adhésion des populations à son programme de réforme, le secrétaire du PCE, le russophile Vaino, est écarté au profit de l'estophile Vaino Väljas. Mais cela n'arrête pas la radicalisation du mouvement. Le Parti de l'indépendance nationale apparaît en août 1988 et réclame l'indépendance nationale. La revendication est reprise par un orateur au cours d'un festival de chant qui rassemble 300 000 Estoniens. Contre-feu encouragé par les services secrets russes, le Front Internationaliste ou Interfront est créé en juin : il rassemble des russophones et estoniens hostiles à la montée du « nationalisme bourgeois » et à la « contre-révolution rampante ».

 

Le 23 août, date anniversaire du pacte germano-soviétique, sur une idée lancée par Savisaar, un à deux millions de personnes se donnent la main formant une chaîne humaine quasi continue de Tallinn à Vilnius, la voie balte, pour demander l'indépendance des pays baltes. L'événement, qui par son caractère spectaculaire a un grand retentissement dans les médias internationaux, interpelle les dirigeants des pays occidentaux, jusque-là réticents à soutenir le mouvement d'indépendance qui pourrait enrayer la politique d'ouverture pratiquée par Moscou. Son succès raffermit par ailleurs la résolution des Baltes. Finalement le 23 août 1988 le contenu des clauses du Pacte germano-soviétique est dévoilé par le Soviet suprême de l'URSS. Conséquence de cette annonce, le Soviet suprême de l'Estonie déclare le résultat du scrutin de juillet 1940 illégal et la « libération » par l'Armée Rouge qui l'a précédé est redéfinie comme une annexion. Moscou tente, en vain, de raisonner les gouvernements des États baltes en marche vers l'indépendance en soutenant que celle-ci n'est pas viable compte tenu de la taille des États et de l'imbrication de leur économie dans l'ensemble soviétique.

 

L'Estonie est alors en pleine ébullition. Des centaines de rues et de places sont rebaptisées comme, à Tallinn, la place de la Victoire (de l'Armée Rouge) qui devient la place de la Liberté. Les programmes scolaires sont expurgés des ajouts ou déformations soviétiques, les témoignages écrits des survivants de la déportation dans les camps soviétiques sont publiés. Les journaux changent de ligne et parfois de titre comme Edasi (« En avant ») qui reprend le nom du principal journal d'avant-guerre Postimees. À côté du Front national de Savisaar, de nouveaux partis apparaissent. Deux voies vers l'indépendance se dessinent : les partisans d'une démarche négociée sans rupture avec le régime précédent sont généralement issus de l'aile réformatrice du parti communiste comme Savisaar ; les membres notamment du parti de l'indépendance nationale, une partie des milieux dissidents, les Estoniens émigrés rejettent complètement le régime et veulent le retour à la situation d'avant 1940. En particulier, ils considèrent que les russophones installés sur le territoire depuis 1944, complices d'une tentative de génocide culturel, n'ont pas le droit de prendre part au débat politique. Ce courant initialement minoritaire, à qui l'on reproche d'envenimer les relations entre les deux communautés, est très actif auprès des gouvernements occidentaux et soviétique. Dans ce courant, des comités des citoyens décident d'organiser en mars 1989 des élections sur la base d'un corps électoral expurgé de sa composante considérée comme étrangère : les russophones émigrés depuis 1944 sont exclus tandis que les émigrés sont invités à participer au vote. Le scrutin, qui a lieu le 24 février, date anniversaire de l'accord de Tartu, est une réussite : 600 000 votants élisent un Congrès sans pouvoir réel mais qui réaffirme le cadre illégal du régime mis en place par l'Union soviétique. Une semaine plus tard, les élections de l'assemblée officielle, le Soviet Suprême d'Estonie, rassemblent 1 130 000 votants et consacrent l'effondrement du PCE qui ne recueille que 3,6 % des suffrages. Le Front populaire arrive en tête avec 24 % des voix.

 

La position des partis modérés se radicalise pour plusieurs raisons : l'URSS est en train de s'effondrer et la politique de Gorbatchev est manifestement en train d'échouer, les négociations avec Moscou sur le nouveau statut de l'Estonie ont du mal à aboutir, l'indépendance semble une solution de plus en plus viable. Sous la pression de l'opinion publique, la position des modérés se rapproche de celle issue du Congrès. Fin mars, le Soviet suprême annonce que l'Estonie va entamer une phase transitoire destinée à préparer l'indépendance. Cette démarche progressive permet, contrairement aux autres pays baltes qui déclarent de manière abrupte et unilatérale leur indépendance, de ne pas prendre de front le « grand frère » soviétique et d'éviter les mesures de rétorsion. Savisaar, qui a rendu sa carte du parti communiste, devient Premier ministre de l'Estonie début avril. Il tente avec les autres dirigeants baltes de négocier avec Gorbatchev l'indépendance, mais celui-ci refuse de peur de provoquer un éclatement complet de l'Union soviétique. La situation est tendue : des manifestants liés à l'Interfront pro-soviétique tentent en vain de prendre d'assaut le siège du gouvernement, multiplient les grèves et les mouvements dans la rue. Les 120 000 militaires soviétiques stationnés sur le territoire estonien sont ressentis comme une menace.

L'effondrement économique provoqué par la sortie de l'économie dirigée accentue la tension au cours du premier trimestre 1989. Dans les trois États baltes, un référendum est organisé début mars pour décider de l'indépendance. Les partisans l'emportent avec 78 % des voix. Un tiers des russophones y sont favorables. Le coup d'État avorté du 19 août 1991 mené à Moscou par les durs du régime soviétique contre Gorbatchev permet à l'Estonie de franchir le dernier pas. Le Congrès estonien et le Soviet Suprême réunis en séance le 20 déclarent le rétablissement de l'indépendance de l'Estonie, c'est-à-dire que l'occupation soviétique est traitée comme une parenthèse illégale, ce qui constituera par la suite une des sources de contentieux avec les dirigeants russes. L'indépendance est reconnue dès le 21 août par le dirigeant russe Boris Eltsine. Le 25 août, la Russie reprend son indépendance et l'Union soviétique est dissoute.

 

La nouvelle constitution de 1991

L'assemblée constituante formée par la réunion du Soviet suprême et du Congrès estonien choisit de ne pas rétablir la constitution de 1920 qui avait abouti à l'époque à une paralysie de l'action gouvernementale et ne reconduit pas non plus la constitution autoritaire mise en place par Päts en 1937 et qui était encore en vigueur au moment de l'invasion soviétique. La nouvelle constitution estonienne opte pour un régime parlementaire doté d'une seule chambre comportant 101 députés élus pour quatre ans au suffrage universel direct et proportionnel. Le président de la République, qui détient des pouvoirs de représentation et de proposition, est élu pour cinq ans par les députés et son mandat est reconductible une seule fois. Le pouvoir exécutif est dirigé par le Premier ministre nommé par le président et est responsable devant l'assemblée. Une Cour suprême contrôle le caractère constitutionnel des lois et un chancelier, nommé par l'assemblée pour sept ans, sert de médiateur entre l'État et les particuliers. L'Estonie adopte une structure centralisée avec seulement deux niveaux de subdivision : le district (maakond) et le municip rural (vald) ou urbain (linnad). L'Église et l'État sont séparés et le droit des minorités est garanti par la loi.

 

La vie politique

La première élection législative a lieu en septembre 1992 et porte au poste de président Lennart Meri, fils d'un diplomate de l'entre deux guerres, ancien déporté, cinéaste, ethnologue et romancier qui a dirigé en 1990-1991 les services diplomatiques du pays. Très populaire dans son pays comme à l'étranger, il effectue deux mandats. Arnold Rüütel lui succède en 2001. Celui-ci s'est illustré au moment du rétablissement de l'indépendance mais il est rattrapé par son passé d'ancien membre de la nomenklatura au moment de sa réélection en 2006. Il est battu par Toomas Hendrik Ilves, fils d'émigré estonien, ancien diplomate et député européen. Depuis le rétablissement de l'indépendance, les partis forment des coalitions fragiles entraînant une succession relativement rapide de gouvernements (11 entre 1991 et 2007). Les programmes des partis sont très proches et aucun, par réaction envers la période soviétique, n'affiche une étiquette véritablement de gauche. Il y a consensus sur l'adhésion à l'OTAN, l'orientation libérale en matière économique et sociale ainsi que la méfiance vis-à-vis de la Russie. Le Parti centriste d'Edgar Savisaar, par ailleurs maire de Tallinn, est régulièrement en tête des élections, mais son leader, à la réputation sulfureuse et idéologiquement marquée par son affrontement avec le Congrès estonien au début de l'indépendance, n'a jamais pu avoir la responsabilité d'un gouvernement.

 

Une économie libérale

Les gouvernements estoniens ont donné une orientation particulièrement libérale à l'économie, en faisant les choix les plus radicaux de tous les anciens pays socialistes. Le système fiscal défini en 1993 comporte une taxe sur le foncier de 2 %, une TVA de 18 % et un impôt sur les revenus des particuliers et des entreprises à taux unique (21 % en 2008) avec une assiette très large. Les droits de douane, initialement nuls, ont été alignés sur la législation de l'Union européenne. Les investissements des sociétés sont exonérés d'impôt et il n'y a pas d'impôt sur les successions en ligne directe. La politique budgétaire est d'une stricte orthodoxie notamment via un refus des déficits. La couronne a remplacé le rouble. Depuis 2004 son cours est lié à l'euro. L'Estonie a longtemps souffert d'une inflation assez forte (8,2 % en 1998) qui l'a empêché d'adhérer au système européen de la monnaie unique. Celle-ci ayant faibli, l'Estonie a adopté l'euro le 1er janvier.

La dénationalisation de l'activité industrielle a été menée très rapidement dans les années 1990 sous la houlette d'une Agence de privatisation qui a liquidé l'ensemble du patrimoine industriel d'État. Beaucoup d'entreprises ont été fermées tandis que plus de 10 000 nouvelles apparaissent au cours de la même période. L'État a toutefois conservé la propriété de certaines revues culturelles, des principaux théâtres et salles de concert.

Le secteur secondaire a subi une reconversion totale. L'industrie lourde héritée de l'époque soviétique a pratiquement disparu au profit d'industries légères comme la construction de téléphones portables pour le compte de la firme du voisin finlandais Nokia. Le secteur du bois et le BTP sont les deux secteurs qui assurent la plus forte croissance industrielle. Le pays continue à s'appuyer sur ses importantes réserves de schistes bitumineux pour générer la quasi-totalité de son électricité malgré l'impact écologique négatif. L'emploi dans le secteur secondaire, qui était passé de 35 % en 1985 à 18 % en 1998, s'est redressé à 29 % en 2003. Le domaine des services emploie en 2010 les deux tiers des estoniens.

Le taux de croissance, négatif jusqu'en 1996, s'est maintenu par la suite à une valeur particulièrement élevée, atteignant 11,6 % en 1997 sauf durant la Crise financière russe de 1998. Le taux de chômage, important au début de la reconversion de l'économie, est tombé à 6,3 % en 2006. La dernière crise financière de 2008 a durement touché l'économie du pays avec un PNB en baisse de 14,1 % en 2009 et un taux de chômage remonté à 10 %. Les russophones généralement moins qualifiés et touchés plus fortement par le chômage, les retraités dont les revenus sont particulièrement faibles et qui pâtissent d'un système embryonnaire de retraite et de prise en charge des frais de santé, et enfin les agriculteurs.

 

La question de la minorité russophone

Au moment du retour à l'indépendance, les Russes représentent 40 % de la population, une proportion énorme qui se réduit quelque peu dans les premières années, du fait du retour de certains exilés et du départ d'environ 100 000 russophones : en 1992 il y a sur le territoire estonien 448 000 Russes auxquels il faut ajouter 40 000 Ukrainiens et 42 000 Biélorusses, soit en tout 33,1 % de la population. Après un débat houleux, l'assemblée législative estonienne met au point fin 1992 une loi sur la nationalité, qui accorde celle-ci uniquement aux personnes (ou leurs descendants) présents sur le sol estonien avant juin 1940, ce qui exclut la plus grande partie des russophones. Plusieurs lois sont passées à la même époque pour remplacer le russe par l'estonien dans l'espace public et dans les documents officiels à l'échelon national et local. Malgré les freins imposés par la loi sur la citoyenneté, en 1995, environ 85 000 personnes ont acquis la citoyenneté estonienne. La même année, l'assemblée législative vote une loi qui rend encore plus difficile l'obtention de la nationalité estonienne : les candidats doivent résider depuis huit ans, avoir une bonne connaissance de la langue et passer un examen civique en estonien. L'Estonie est régulièrement stigmatisée par des dirigeants moscovites, à la recherche de moyens de pression, pour « ses atteintes aux droits de l'homme ». Elle a assoupli sa législation en partie à la demande du Conseil de l'Europe. En 2010 il reste toutefois 8 % d'apatrides dans la population estonienne : ce sont des russophones ayant perdu la nationalité soviétique au moment de la disparition de l'URSS et qui ne remplissent pas les conditions leur permettant d'accéder à la nationalité estonienne. Ces russophones sont généralement désireux de s'intégrer dans la société estonienne, malgré un mode de vie plutôt communautaire. Mais ils sont moins bien armés que les Estoniens de souche pour s'adapter à la transformation rapide du pays ; l'ancienne génération arrivée officiellement pour « remettre sur pied un pays ruiné et assister une population ayant eu un comportement « douteux » durant la Grande guerre patriotique », ne comprend pas qu'on remette en cause son statut.

 

L'intégration de l'Estonie dans l'Europe et l'Otan

Les relations avec la Russie, naturellement tendues dès la reprise de l'indépendance, se sont encore rafraîchies après l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en Russie. Celui-ci fait pression sur les pays baltes en exploitant le malaise des russophones. Les dirigeants russes accusent l'Estonie d'opprimer la minorité russophone et d'encourager la résurgence du fascisme. Ils n'ont pas hésité à menacer le pays de blocus en 2002. L'ambassade d'Estonie à Moscou a été attaquée en 2007 par des membres des jeunesses présidentielles (Nachi) tandis que des cyberattaques sont régulièrement lancées depuis le territoire russe contre les sites estoniens. Bien que l'Estonie ait renoncé aux territoires perdus lors de la rectification de frontière qui a suivi l'invasion soviétique en 1939, la Russie refuse de ratifier le traité sur son tracé. Consciente de ce que pourrait lui coûter un isolement militaire et diplomatique face à un voisin puissant et hostile, l'Estonie a intégré l'OTAN en 2004, renforçant le courroux des dirigeants russes. L'intégration de l'Estonie à l'Union européenne répond en partie à la gestion de la menace russe ainsi qu'au souhait de s'ancrer à l'Europe occidentale. Effective depuis 2004, elle a suscité moins d'enthousiasme dans la population (67 % de oui au référendum) qui craignait pour son indépendance retrouvée depuis peu, bien que tous les partis politiques estoniens aient soutenu le processus d'adhésion.7

 

 

Élections législatives de 2015

Le parti de la Réforme et les sociaux-démocrates, au pouvoir avant les élections, se maintiennent avec le soutien des conservateurs d'IRL.

La coalition au pouvoir voit néanmoins s'effriter ses résultats et perd des sièges, tandis que le parti du Centre, soutenu par la minorité russophone, progresse, dans un contexte d'inquiétude du reste de la population face à la crise régionale en Ukraine.8

 

 

Vers l’interdiction des symboles communistes

En mai 2015, Urmas Reinsalu, Ministre de la justice d'Estonie (droite) a déclaré que son ministère rédigeait un projet de loi qui interdirait l'affichage public des symboles communistes.

"Je pense qu'il serait approprié d'interdire l'utilisation des symboles des régimes inhumaines qui ont occupé l'Estonie" a déclaré le Ministre de la Justice Urmas Reinsalu à la télévision estonienne, ETV.

Les organisateurs de rassemblements publics seraient tenus de veiller à ce que l'interdiction soit observée lors de leurs événements, déclare ce Ministre. Les manifestations publiques des symboles interdits seraient traités comme une infraction administrative, sans préciser quelle peine cela pourrait entraîner.

Le Parti Communiste d'Estonie est aujourd'hui clandestin depuis son interdiction en août 1991. Le gouvernement estonien à entrepris la réhabilitation des anciens combattants de la Waffen SS (40.000 volontaires) ces "soldats de la liberté". Ainsi la population russophone d'Estonie (20-25% des la population) se retrouve privé de son passé en plus de ses droits (les russophones ne sont pas représentés au parlement et ne disposent pas du droit de vote).9

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Estonie
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Estonie
(3) http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Estonie/118528
(4) Ibid.
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Estonie
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Estonie
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Estonie
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_estoniennes_de_2015
(9) http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=12938