Le Burkina Faso

 

 

Avant la colonisation

On sait peu de choses de l'histoire ancienne du Burkina Faso. Une civilisation néolithique y a produit des pierres taillées, des motifs gravés et de la poterie au Ier millénaire av. J.-C. Ensuite apparut l'agriculture avec des défrichements de la forêt primaire. Une vague de cavaliers vint alors greffer une aristocratie militaire sur cette structure. Détenteurs du pouvoir politique, ces cavaliers passèrent des accords avec les autochtones qui restèrent propriétaires du sol. Cette organisation apparaît encore sous forme de chefs de cantons et chefs de la terre.

L'empire du Ghana est le premier à dominer la région. Plusieurs vagues d'immigration amènent les Mossi du XIe au XIVe siècle. Leur intégration aux populations locales donna naissance à quatre royaumes dont le plus septentrional et le plus important, le Yatenga eut des rapports conflictuels avec son puissant voisin du Soudan Occidental, l'empire du Mali, allant jusqu'à conquérir Tombouctou en 1329. Doté d'une administration centralisée et d'une défense efficace, le Yatenga résista à l'islamisation que tentait de lui imposer l'empire des Songhaï.

D'autres invasions brassèrent la population de l'actuel Burkina : Gourmantché, Bwa, Sénoufos, Gan, Bambaras puis, dans le nord, Touareg, Peuls, Songhaïs et Djerma, Malinké.

D'autres vagues d'immigration au XIXe siècle s'accompagnent d'islamisation. C'est le cas des Peuls qui contrôlent l'est de la Volta dès 1810. Le Mogoo Naaba de Ouagadougou est sous une pression constante.1

 

Période coloniale

Le Burkina Faso, appelé Haute-Volta jusqu’en 1983, est l’un des pays les plus pauvres au monde. Contrairement à d’autres États africains, il est peu urbanisé et l’immense majorité de la population y gagne encore sa subsistance grâce à l’agriculture et à l’élevage, sur des terres où les travaux nécessitent un grand nombre de bras pour de maigres résultats. C’est pourquoi la Haute-Volta est depuis longtemps une terre d’émigration vers des régions d’Afrique aux conditions plus favorables, au premier rang desquelles la Côte d’Ivoire.

Pendant la période coloniale, l’administration française imposa ces déplacements de population. L’écrivain Albert Londres écrit dans son livre-témoignage Terre d’ébène publié en 1929 : « Nous arrivons en Haute-Volta dans le pays mossi. Il est connu en Afrique sous le nom de réservoir d’hommes : trois millions de nègres. Tout le monde vient en chercher comme de l’eau au puits. Lors des chemins de fer Thiès-Kayes et Kayes-Niger on tapait dans le Mossi. La Côte d’Ivoire, pour son chemin de fer, tape dans le Mossi. Les coupeurs de bois montent de la lagune et tapent dans le Mossi. » Pour mieux « taper dans le Mossi », selon la formule d’Albert Londres, les exploitants européens des plantations ivoiriennes de café et de cacao obtinrent en 1932 la suppression de la colonie de Haute-Volta, la moitié de son territoire étant désormais incluse dans les limites administratives de la Côte d’Ivoire et le reste étant réparti entre le Soudan (l’actuel Mali) et le Niger. À cette époque, Côte d’Ivoire et Haute-Volta formaient une seule entité, et la reconstitution de la colonie de Haute-Volta, de 1947 à l’indépendance en 1960, n’entrava pas l’afflux de migrants. Au contraire, l’émigration vers la Côte d’Ivoire continua à progresser, favorisée par l’administration française. Il fallait des bras pour creuser le port en eaux profondes d’Abidjan et travailler dans les champs de cultures industrielles. L’organisme de recrutement créé par les planteurs et l’État français pour faire « descendre la main-d’œuvre » fut même rapidement débordé par l’émigration spontanée.

Lorsque l’indépendance fut proclamée, le gouvernement français, souhaitant garder le contrôle de ses anciennes possessions, divisa les grands ensembles coloniaux en petits États. Le Burkina Faso fut l’un d’eux, d’autant moins viable qu’il était enclavé à l’intérieur des terres. Les subdivisions administratives s’étaient transformées en frontières et l’une d’elles séparait maintenant la Haute-Volta de son débouché traditionnel en Côte d’Ivoire. Heureusement la voie resta largement ouverte pendant les décennies suivantes, et les migrants originaires de Haute-Volta en vinrent ainsi à peupler la plus grande partie de la zone forestière de Côte d’ivoire en tant que paysans. Cette installation fut favorisée par le fait que les Ivoiriens de souche n’étaient pas des agriculteurs. En 1963, le président ivoirien Houphouët-Boigny lança la formule « la terre appartient à celui qui la met en valeur ». Des terres aux industries, les Burkinabés formèrent alors une bonne partie de la population ivoirienne, et particulièrement de son prolétariat, dans cette période où les capitaux s’investissaient largement en Côte d’Ivoire et où Houphouët-Boigny multipliait les mesures favorisant l’installation de travailleurs originaires des autres pays d’Afrique de l’Ouest.

Mais au milieu des années 1980 la situation commença à changer, et les divisions introduites par le colonisateur se révélèrent un piège mortel. Avec la dégradation du niveau de vie consécutive à la crise et l’extension du chômage, les politiciens démagogues commencèrent à montrer du doigt les prétendus étrangers. Dans les luttes pour le pouvoir qui suivirent la mort d’Houphouët-Boigny en 1993, la propagande ethniste utilisée à grande échelle fit des ravages dans un pays qui comptait jusqu’à 30 % de Burkinabés, Béninois ou Togolais. La pseudo-théorie de « l’ivoirité », élaborée pour écarter de la course à la présidence Alassane Ouattara, originaire des régions peuplées par les populations voltaïques, retomba sur tous ceux qui furent assimilés, à tort ou à raison, aux Burkinabés. Ils furent pris pour cible, qualifiés d’ennemis intérieurs et rendus responsables de tous les maux. Les droits accordés à l’époque d’Houphouët-Boigny furent remis en cause. Les brimades policières du début furent suivies d’assassinats de masse, qui instaurèrent une fracture durable dans ce pays où les différents peuples avaient jusque-là cohabité en paix.

Aujourd’hui, les nombreux obstacles mis au travail des Burkinabés s’ajoutent au fait que les Ivoiriens ont de plus en plus de mal à trouver un emploi. La migration traditionnelle du Burkina vers la Côte d’Ivoire s’est tarie et ne peut plus offrir une issue à la pauvreté du pays.

 

Thomas Sankara : un nationaliste radical

Quatre brèves années ont particulièrement marqué l’histoire du Burkina Faso, celles où le pays fut dirigé par Thomas Sankara, de 1983 à 1987. Auparavant, l’ancienne colonie française avait vu se succéder des régimes dont le seul objectif avait été de piller les fonds publics sous la protection de la France. Le premier président, Maurice Yaméogo, un civil, fut renversé au bout de six ans par un soulèvement populaire. Dans un scénario qui rappelle étrangement les événements actuels, l’armée déclara que le peuple lui confiait le pouvoir. Son chef, Sangoulé Lamizana, vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie dans l’armée française, prit la tête de l’État « le temps nécessaire pour rendre le pouvoir au peuple », disait-il. Quatorze ans plus tard il y était encore, et avait simplement accepté de partager la mangeoire gouvernementale avec une nuée de politiciens. Il fut alors renversé à son tour par un coup d’État mené par le colonel Saye Zerbo, l’un de ses anciens ministres.

Dans ce contexte politique, c’est au sein de l’armée, parmi les jeunes officiers, que se constitua une opposition soucieuse de moderniser le pays et d’éradiquer la corruption. Dans des pays pauvres comme le Burkina, ces jeunes officiers avaient eu accès à une certaine culture. Ils avaient pu se former une opinion commune sur une arriération qu’ils ressentaient vivement. De plus, ils possédaient des armes pour se faire entendre. Ils ressemblaient à ceux qui renversèrent en 1974 la dictature de Salazar au Portugal, ou avant eux à Nasser et à son mouvement des officiers libres en Égypte. Au Ghana voisin, le capitaine d’aviation Jimmy Rawlings s’emparait du pouvoir en 1981 pour une « révolution morale » contre la corruption et les inégalités.

Au Burkina, c’est autour de Sankara que se fit ce regroupement. À l’école militaire, celui-ci avait assisté aux discussions nocturnes sur le néocolonialisme organisées par l’un de ses professeurs, Adamou Touré, l’un des premiers enseignants burkinabés, par ailleurs militant anti-impérialiste. Lors d’un stage de formation à Madagascar, il rencontra des coopérants gauchistes. De retour au pays, la guerre de décembre 1974 entre le Burkina et le Mali contribua à ancrer ses convictions. Il vit comment, dans ce conflit voulu par deux dictateurs pour une bande de terre désertique, les officiers supérieurs restaient soigneusement à l’arrière à s’occuper de leurs petites affaires. Dans la foulée éclata le scandale dit du « watergrains ». On découvrit que les vivres fournis par l’aide étrangère aux populations victimes de la sécheresse avaient été détournés et vendus. L’argent était arrivé sur des comptes à l’étranger. Nommé à la tête du Centre national d’entraînement des commandos de Pô à cause de sa popularité parmi les jeunes officiers, Sankara allait entreprendre d’y former des « soldats-citoyens », c’est-à-dire de les faire réfléchir sur la situation du pays. Inéluctablement, les jeunes officiers renversèrent Saye Zerbo en novembre 1982 et Sankara, éliminant l’aile modérée du mouvement, prit véritablement le pouvoir le 4 août 1983 avec celui qui allait organiser quatre ans plus tard son assassinat, Blaise Compaoré.

L’un des premiers actes de Sankara fut de débaptiser la Haute-Volta, nom qui était celui de l’ancienne colonie, pour appeler désormais le pays Burkina Faso : « pays des hommes intègres ». Cette intégrité fut la règle qu’il allait imposer du haut en bas de l’État, en donnant lui-même l’exemple. Les ministres de Sankara durent renoncer aux Mercedes et aux limousines pour se contenter de modestes Renault 5. Lorsque les délégations burkinabées se déplaçaient à l’étranger, elles voyageaient en classe économique et il arrivait que deux ministres fassent chambre commune dans un petit hôtel. Finis également les beaux costumes, remplacés par l’habit traditionnel en coton.

C’était certes symbolique, mais le symbole était fort dans une Afrique où le pouvoir servait avant tout à s’enrichir et à transférer à son clan les fonds publics. Le budget du Burkina Faso était dérisoire et ne pouvait suffire à sortir la population de la pauvreté, mais au moins fut-il utilisé à cette époque pour des campagnes de vaccination, la construction d’écoles ou l’accès des femmes à l’éducation et à la culture, et c’est le souvenir que Sankara a laissé encore aujourd’hui parmi la jeunesse et la population africaines.

Malgré ses discours enflammés, Sankara ne remettait pas en cause la domination de l’impérialisme. Il voyait l’avenir du Burkina dans le développement des productions locales et dans des liens commerciaux plus diversifiés, avec Cuba ou la Chine par exemple. Il comptait sur l’armée, et non sur le peuple, pour faire sa révolution, et prit même des mesures autoritaires contre les syndicats et les enseignants grévistes.

Cependant, l’exemple qu’il donnait d’un régime non corrompu, et auquel cette intégrité donnait l’autorité morale d’affirmer son indépendance par rapport à la France et de critiquer haut et fort sa politique africaine, suffit pour que les dirigeants de celle-ci, le président Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac, entreprennent de s’en débarrasser. Le président ivoirien Houphouët-Boigny, l’homme de la France dans la région, sut trouver pour cela l’oreille de Blaise Compaoré, le second de Thomas Sankara et son ancien compagnon d’armes. Le 15 octobre 1987, les hommes de Compaoré assassinaient Sankara tandis que des troupes encerclaient les régiments qui auraient pu lui être fidèles.

 

Un dictateur au service de l’impérialisme français

Après l’assassinat de Thomas Sankara, il ne fallut pas longtemps à Blaise Compaoré pour instaurer un régime semblable à ceux des autres dictateurs africains. Ce processus, qu’il baptisa rectification, se traduisit par l’assassinat des opposants, la remise en selle des chefs coutumiers et religieux et la soumission de la pauvre économie burkinabée aux diktats de l’impérialisme, notamment avec l’application du plan d’ajustement structurel du FMI au cours des années 1990. Ce plan, qui signifiait la privatisation des entreprises nationales, fut une source d’enrichissement pour le clan Compaoré et les multinationales. Ainsi Bolloré mit la main sur la Sitarail, le chemin de fer unique qui relie Ouagadougou à Abidjan, en 1998. D’autres suivirent, comme Total ou Bouygues.

Compaoré, grâce à son mentor le président ivoirien Houphouët-Boigny, devint l’homme des basses œuvres de l’impérialisme français dans la région. C’est ainsi que le Burkina Faso devint la base arrière et le camp d’entraînement des bandes armées du seigneur de guerre Charles Taylor qui, en décembre 1989, envahirent le Liberia pour renverser le dictateur Samuel Doe, protégé des États-Unis. Ce fut le début d’une guerre civile sanglante qui se prolongea en Sierra Leone voisine. Blaise Compaoré fournissait des armes aux bandes armées, entretenant les foyers de guerre civile en favorisant le pillage du sous-sol riche en diamants par les multinationales, organisant au passage le trafic de diamants pour son propre compte.

À la mort d’Houphouët-Boigny, en décembre 1993, Blaise Compaoré endossa tout naturellement ses habits de « vieux sage », pilier de la Françafrique. Ainsi sous son égide, au Niger, furent signés en 1994-1995 les accords qui mirent fin à la rébellion touarègue menaçant les installations d’Areva, principale multinationale française dans la région qui exploite l’uranium du sous-sol. Quelques postes furent accordées aux dirigeants de la rébellion. Les bandes rebelles intégrèrent l’armée officielle… et purent, à ce titre, défendre les mines d’Areva. Ces accords restent le modèle de ceux que François Hollande aurait tant aimé voir signés entre le Mali et ses propres rebelles touaregs.

La dictature Compaoré connut sa première grande crise politique avec l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en décembre 1998. Celui-ci enquêtait sur le meurtre du chauffeur de François Compaoré, le frère du président, qui trempait dans tous les trafics. Norbert Zongo soupçonnait les militaires de la garde présidentielle d’avoir torturé et assassiné le chauffeur. Devenu trop gênant, il fut assassiné à son tour. On retrouva son corps calciné dans sa voiture. L’opposition comme la jeunesse y vit la main du pouvoir. Une flambée de colère gagna le pays. De violentes émeutes éclatèrent dans de nombreuses villes. La répression fut violente. Des centaines d’arrestations eurent lieu.

Mais la disgrâce liée à l’assassinat du journaliste ne dura que bien peu de temps. En l’absence d’Houphouët-Boigny, l’impérialisme français ne pouvait se passer du seul dictateur capable d’assurer le relais de sa politique dans la région. C’est ainsi qu’à partir de 2001 il fut remis en selle et reçu à l’Élysée par Chirac et Jospin. Il y revint régulièrement sous Sarkozy comme sous Hollande, le gouvernement français n’ayant de cesse de vanter ses qualités d’« homme de paix et médiateur exceptionnel ».

Dès août 2006, Compaoré intervint diplomatiquement au Togo, pour le compte de la France, afin d’assurer le passage du pouvoir du dictateur Gnasingbé Eyadéma à son fils Faure Eyadéma, en évitant les troubles sociaux. En Guinée, c’est le remplacement du général Moussa Dadis Camara par un autre militaire, Sékouba Konaté, qu’il chapeauta en 2008 à la demande de la France et des USA.

Ensuite, il joua également un rôle essentiel dans la guerre civile de Côte d’Ivoire. À la fin des années 1990, le Burkina devint la base arrière des « Forces nouvelles » qui s’étaient révoltées contre le pouvoir ivoirien : elles avaient pignon sur rue à Ouagadougou. À partir de 2002, elles occupèrent militairement la partie nord du pays, coupant la Côte d’Ivoire en deux. Compaoré fut le promoteur des accords de Ouagadougou de mars 2007 qui ouvrirent la voie à la réunification du pays. L’armée française aida les « Forces nouvelles » à chasser du pouvoir Laurent Gbagbo, et à installer au pouvoir Alassane Ouattara.

Enfin, au Mali, Compaoré contribua à écarter l’obstacle représenté par la présence à la tête de l’État du capitaine putschiste Sanogo et pilota son remplacement en avril 2012 par l’ex-président de l’Assemblée nationale Diacounda Traoré, plus présentable. Et c’est encore sous l’égide de Compaoré que furent signés les accords de Ouagadougou de juin 2013 qui instaurèrent un cessez-le-feu entre les groupes touaregs et le gouvernement malien afin de permettre l’élection présidentielle voulue par la France.

Au regard des services rendus à l’impérialisme français, les crimes commis par Compaoré et son clan dans la sous-région et contre le peuple burkinabé n’ont jamais pesé bien lourd dans la balance. Aussi, en dépit des crimes de la dictature, des accords militaires ont toujours lié la France au Burkina. Des conseillers techniques militaires sont installés en permanence à Ouagadougou. La France livre du matériel militaire, forme et encadre les troupes d’élite. Un général de corps d’armée, Emmanuel Beth, a même été nommé comme ambassadeur au Burkina, entre 2010 et 2013, pour superviser la présence militaire française dans le pays et la région. Le Burkina sert encore aujourd’hui de base arrière au dispositif militaire Barkhane, dans le cadre de la lutte antiterroriste au Sahel.

 

La mafia du clan Compaoré

En 27 ans de pouvoir sans partage, le clan Compaoré a fait main basse sur l’économie du pays. L’arrogance de ces nouveaux riches qui étalent leur fortune insolente, vivent comme des pachas intouchables, dans des villas luxueuses à quelques pas des bidonvilles des quartiers populaires, soulève l’indignation de la population. Sous l’ère Compaoré, des fortunes immenses se sont édifiées en quelques années, le nombre de riches a explosé, tandis que de l’autre côté des dizaines de milliers de paysans ont été expropriés des meilleures terres du pays, au profit de grandes compagnies minières étrangères qui exploitent les gisements aurifères (un secteur en plein boom). On constate le même phénomène dans l’agriculture. Selon un leader syndical : « ceux qui se sont lancés dans l’agrobusiness en s’appropriant de vastes étendues de terres dans les zones les plus fertiles et humides sont, pour la grande majorité, les membres du gouvernement (chef d’État, Premier ministre, ministres), les élus (députés, etc.), (…) les hauts gradés de l’armée ».

Le clan Compaoré, c’est-à-dire le premier cercle familial, et plus largement les dirigeants de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), se comportait en véritable mafia prédatrice. Pas un contrat ne pouvait être signé dans le secteur minier sans l’aval de François Compaoré, le frère du président. Pas un trafic d’armes, de diamants ne pouvait se faire sans l’accord des deux frères Compaoré. Le clan avait des intérêts dans tous les secteurs de l’économie où il pouvait y avoir des profits.

Alizéta Ouédraogo, surnommée « la belle-mère-nationale », car sa fille avait épousé le frère du président, illustre bien cet enrichissement rapide. Elle avait bâti un empire financier en quelques années, en faisant l’acquisition d’entreprises immobilières bradées par l’État, lors de la privatisation des années 1990. Elle passait pour l’une des femmes les plus riches du Burkina. Au « pays des hommes intègres », la corruption était devenue la règle sous le règne de Compaoré. Au point que la population parlait du « Tuuk guili » pour désigner son régime, expression en moré qui signifie « tout rafler », « tout emporter ».

 

Les émeutes de 2011 font vaciller le pouvoir

En février 2011, l’assassinat d’un jeune lycéen de la ville de Koudougou (centre-ouest) par la police mettait le feu aux poudres, faisant de nouveau vaciller la dictature. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes manifestèrent pour protester contre l’impunité de la police. Partie de Koudougou, la contestation fit tache d’huile et gagna les autres villes du pays. Bâtiments publics et symboles du pouvoir furent incendiés. Un mois plus tard, les soldats se mutinèrent. La contestation avait touché presque toutes les casernes du pays, y compris la garde présidentielle, qui avait tiré à l’arme lourde sur le palais de Compaoré. La répression fut brutale : une trentaine de morts et plusieurs dizaines de blessés parmi la population.

Aux abois, Compaoré mata les mutins de l’armée, avec l’aide de son carré de fidèles du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), multiplia les arrestations, se débarrassa des officiers jugés peu fiables, procéda à la dissolution du gouvernement, se nomma lui-même ministre de la Défense, et plaça des membres de sa famille à la tête de différents ministères. Et pour finir, il mit au rancart tous les principaux caciques du parti présidentiel, le CDP. Ce qui eut pour effet d’accroître le mécontentement dans ses propres rangs. Toutes ces mesures ne permirent pas de juguler la crise politique et sociale qui secouait le pays. Elle ne fit qu’empirer car les causes du mécontentement n’avaient pas disparu. Les années suivantes furent des années d’importantes contestations. La colère gagna toutes les couches de la société. Même le parti au pouvoir ne fut pas épargné : une grande majorité des caciques déchus forma un nouveau parti d’opposition, en janvier 2014. François Hollande suggéra au dictateur de céder la place. Mais rien n’y fit. Plus la dictature se lézardait, plus le clan Compaoré s’accrochait au pouvoir.

Le pays était au bord de l’explosion sociale. La jeunesse déshéritée des quartiers pauvres qui n’avait aucune perspective, mais aussi la petite bourgeoisie étudiante qui, bien que diplômée, n’avait aucun avenir dans le système, formaient le fer de lance de la contestation. Des mouvements de rappeurs, d’artistes comme le « Balai citoyen » se firent leurs porte-parole. La volonté du dictateur de s’accrocher au pouvoir en modifiant l’article 37 de la Constitution mit le feu aux poudres. La modification de l’article qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels aurait permis à Compaoré de rester en place après 2015, et de devenir ainsi dictateur-président à vie.

 

L’insurrection populaire d’octobre 2014

La mobilisation s’accentua et tout se joua dans les derniers jours d’octobre car la modification devait être votée le 30. Mais dès le 28 octobre, des centaines de milliers de personnes descendirent dans la rue, exigeant le départ de Compaoré. Deux jours plus tard, alors que les députés étaient appelés à se prononcer sur la Constitution, un million de manifestants venu des faubourgs de la capitale, la jeunesse des quartiers pauvres en tête, déferla dans les rues de Ouagadougou aux cris de « Blaise dégage », bravant la police et l’armée, dressant des barricades, occupant la radio-télévision nationale, incendiant le Parlement. Compaoré tenta de tergiverser mais fut contraint de démissionner. La garde présidentielle organisa sa fuite en Côte d’Ivoire avec l’aide de l’armée française, comme le reconnut par la suite François Hollande. Son frère se réfugia au Bénin, et d’autres dignitaires en France.

Pendant ce temps, dans la capitale Ouagadougou et dans les autres grandes villes du pays, Bobo Dioulasso, Koudougou, Ouahigouya, la population détruisit tous les symboles du pouvoir, incendia les mairies, les centres des impôts, les sièges du parti présidentiel, le CDP, qui fut rebaptisé par les manifestants le parti des Corrupteurs, Détrousseurs, Prédateurs. Les villas de dignitaires du régime furent incendiées et pillées, notamment celle de François Compaoré, le frère, dit « le petit président », particulièrement vomi par la population. Il y eut de nombreuses scènes de pillage. Mais c’est là un juste retour des choses de la part d’une population victime de vingt-sept ans de pillage du clan Compaoré. L’insurrection qui avait chassé le dictateur avait fait vingt-quatre morts et près de 600 blessés.

 

L’armée prend en main la transition

Mais très vite, l’armée entra en scène. Le lieutenant-colonel Isaac Zida, numéro deux du Régiment de sécurité présidentielle, la garde prétorienne de Compaoré, prit les choses en main, affirmant qu’il remettrait le pouvoir à un civil en vue d’assurer la transition et organiser les élections présidentielles en 2015 !

Après avoir rencontré les représentants des grandes puissances impérialistes, les autres chefs d’État africains de la sous-région, et les avoir rassurés sur ses intentions, le lieutenant-colonel Zida prit le pouls des chefs religieux et coutumiers, puis convoqua les chefs des partis politiques de l’opposition, qui se précipitèrent pour l’adouber, ainsi que des mouvements comme le « Balai citoyen ». S’ensuivit alors une foire d’empoigne entre les partis, les représentants de la société civile et l’armée pour accoucher d’une « charte de transition », et surtout se partager les places de députés, à prendre dans le nouveau « Conseil national de la transition » (CNT), et de ministres, dans le nouveau gouvernement de transition, deux institutions autoproclamées, en vue d’organiser les prochaines élections.

L’armée dénicha alors un haut fonctionnaire international du temps de Compaoré, Michel Kafando, pour jouer le rôle du président civil du gouvernement de transition, dans le but de satisfaire les exigences de l’impérialisme français et donner le change à la population. Il n’était en réalité qu’une marionnette aux mains des militaires. À peine installé, il nomma aussitôt le lieutenant-colonel Zida au poste de Premier ministre qui, lui, détenait la réalité du pouvoir.

 

Une nouvelle dictature civile et militaire

L’armée occupe alors les postes clés dans le nouveau gouvernement de transition. Outre son poste de Premier ministre, le lieutenant-colonel Zida s’est arrogé le ministère de la Défense, accordant celui de l’Intérieur à son bras droit, le colonel Auguste Denise Barry, qui avait déjà occupé ce poste en 2011 sous Compaoré. Elle s’est taillé une place de choix dans le nouveau CNT, censé faire office de Parlement. En quelques jours, l’armée a donc réussi à combler le vide laissé par la chute du dictateur, confisquer le pouvoir à la population insurgée, et le conserver pour son propre compte.

Au début, le nouveau pouvoir a multiplié les effets d’annonce et les déclarations contradictoires sur l’extradition de Compaoré, la nationalisation d’entreprises appartenant au clan du dictateur, etc. Pis, il a fait tomber quelques têtes, ici et là, pour donner l’illusion que l’on tournait la page de l’ère Compaoré. Mais quelques mois plus tard, cela n’est plus vraiment à l’ordre du jour. La suspension de l’ancien parti présidentiel a été levée. Force est de constater que l’essentiel de l’ancien appareil d’État, de la justice à la police, de la gendarmerie à l’armée, est toujours en place. L’armée et son unité d’élite, le RSP, sont toujours à pied d’œuvre. Enfin, l’armée française demeure en réserve.

Le lieutenant-colonel Zida ne cache nullement son intention de collaborer avec les anciens cadres du régime comme il l’a fait, en toute connaissance de cause, en nommant son ami, Adama Sagnon, au ministère de la Culture, celui-là même qui avait enterré le dossier Norbert Zongo et qui a dû aussitôt démissionner suite à une mobilisation populaire. Il entretient de bonnes relations avec les anciens caciques du CDP, dont la plupart sont regroupés dans des partis d’opposition. D’ailleurs, ces derniers ne cessent de multiplier les offres de service.

 

 

« Dégager » un dictateur ne suffit pas pour en finir avec la dictature et l’oppression

Les pauvres et les jeunes des quartiers populaires, qui ont fait preuve de courage et de détermination pour affronter les forces de répression les mains nues et renverser la dictature, avaient bien d’autres aspirations que le seul respect de l’article 37 dont se seraient bien contentés les principaux partis d’opposition. Ils se sont mis en branle parce qu’ils ne supportaient plus l’injustice et la corruption permanente de la dictature Compaoré et ne voulaient plus vivre dans la misère. Aujourd’hui on veut les obliger à se contenter d’un simple ravalement de façade.

En forçant Compaoré à s’enfuir, ils ont montré, après bien d’autres, qu’un peuple mobilisé a la force de renverser un régime honni. Quand la haine accumulée dans toutes les couches explose, elle est à même de balayer un dictateur qui avait résisté pendant des décennies

Mais la suite de ces événements rappelle aussi qu’un soulèvement ne suffit pas aux couches pauvres pour imposer leurs aspirations. La bourgeoisie, et l’impérialisme qui se tient derrière les régimes corrompus des pays pauvres, ont de nombreuses possibilités pour remplacer les chefs d’État déchus. Tout un personnel aspire à les servir : des chefs de l’armée qui au dernier moment ont fait mine de se ranger du côté du peuple, des hommes politiques dont l’opposition se résume à leur envie d’occuper la place, parfois même de simples bavards.

On a parlé à propos du Burkina de « printemps africain ». Mais ce qu’ont amplement démontré les « printemps arabes », et que montre encore l’évolution de la situation au Burkina, c’est que le simple mot d’ordre « dégage » suffit peut-être à se débarrasser du dictateur en place, mais n’empêche pas un autre de prendre sa place.

Même pour empêcher qu’une nouvelle dictature s’installe, pour se débarrasser de la corruption, il est nécessaire d’aller bien au-delà, et il faut que les classes pauvres se donnent le moyen de contrôler le pouvoir qui se met en place.2

 

Un nouveau coup d’État manqué

Les militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) se sont emparés du pouvoir dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015 pour le remettre à leur ancien chef, Gilbert Diendéré, qui fut le bras droit du dictateur déchu Blaise Compaoré. La réaction de la population contre le putsch a été immédiate. De son côté François Hollande, représentant de l’impérialisme français qui tient le Burkina sous sa coupe, a proclamé son désaveu. Enfin, après plusieurs jours, les chefs de l’armée burkinabée ont marché contre les putschistes.

Le Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) constituait la garde rapprochée de Blaise Compaoré, renversé par le soulèvement populaire d’octobre 2014, mais a continué d’imposer sa présence menaçante après la fuite du dictateur. Les nouveaux dirigeants prétendant assurer la transition vers un régime démocratique ont reculé à trois reprises devant sa dissolution, réclamée avec force par les organisations à l’origine du soulèvement contre Compaoré.

 

Un coup d'État prévisible

Les 1 300 hommes surarmés du RSP faisaient planer depuis des mois la menace d’un coup d’État. Gilbert Diendéré qui fut l’exécuteur des basses œuvres de Compaoré, menait déjà les hommes qui assassinèrent le dirigeant nationaliste radical Thomas Sankara en 1987, permettant à Compaoré d’instaurer sa dictature. Depuis lors, il a trempé dans tous les crimes du régime. Derrière Diendéré se profilait le retour au pouvoir du clan Compaoré. Son premier geste a d’ailleurs été d’annuler l’interdiction faite aux membres de l’ancien parti de Compaoré, le CDP, de participer aux prochaines élections présidentielle et législatives.

La sinistre réputation du RSP ne suffit cependant pas à intimider la population. Dès le lendemain du coup d’État, des manifestations ont eu lieu et ont été durement réprimées. Le RSP a ouvert le feu, tuant plusieurs manifestants. Dans le reste du pays, où le RSP n’a pas pu étendre son emprise, les mouvements de protestation ont pris de l’ampleur, en particulier à Bobo Dioulasso, la deuxième ville du pays. Les villas des personnalités de l’ancien régime ont été brûlées. La grève générale appelée par les syndicats a été massivement suivie. Les travailleurs burkinabés et la jeunesse du pays ne veulent à aucun prix que soit mis fin aux espoirs suscités par le renversement de Compaoré, et ils sont prêts à risquer leur vie pour cela.

 

La situation des classes pauvres ne s'améliore pas

Le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres d’Afrique, et c’est aussi cette misère qui nourrit le sentiment de révolte. La majeure partie de la population est composée de paysans qui doivent cultiver une terre ingrate, à tel point que l’émigration vers la Côte d’Ivoire voisine ou l’Europe est bien souvent la seule solution pour survivre. Les rares ressources du pays, comme ses mines d’or, sont pillées par les trusts impérialistes. La population est étranglée par le prix des produits alimentaires et de l’essence.

Le Collectif contre la vie chère, composé de syndicats et d’associations, a été l’un des principaux artisans du renversement de Compaoré, et il a continué son action après la chute du dictateur. « Les produits de première nécessité (huile, maïs, riz, sucre…) demeurent inaccessibles à la grande masse de la population. La faillite de l’école et de la santé, ainsi que la crise du logement et de l’énergie restent sans solution », constataient ses représentants le 15 septembre 2015. La haine envers les proches du dictateur renversé, leur corruption et leur luxe ostentatoire, en est d’autant plus forte.

 

Les travailleurs burkinabés ne peuvent compter que sur eux-mêmes

Depuis la chute de Compaoré le gouvernement français pilote une « transition », selon la formule déjà utilisée au Mali et en Centrafrique. Celle-ci devait permettre, à l’issue d’élections prévues initialement le 11 octobre 2015, l’élection d’un président et la mise en place d’un gouvernement estampillé démocratique, avec ou sans anciens amis de Compaoré, mais avant tout complice de l’impérialisme français. Le coup d’État intempestif de Diendéré a troublé ce beau plan, et c’est pourquoi Hollande l’a condamné, même s’il pourrait s’accommoder le cas échéant d’un nouveau dictateur comme il l’a fait de Compaoré pendant vingt-sept ans.

L’Union africaine, elle, a délégué les présidents sénégalais Macky Sall et béninois Boni Yayi. Ils ont accouché d’un protocole d’accord qui demandait certes aux putschistes de se retirer, mais donnait satisfaction à leurs deux principales revendications : l’éligibilité des anciens amis de Compaoré et le maintien du RSP. Ce protocole a été aussitôt hué par la population. Quant aux chefs de l’armée burkinabée, ils ont fini par mettre leurs troupes en marche vers Ouagadougou, afin d’obtenir la reddition des troupes du RSP.

Face au coup de force, la population burkinabée a une nouvelle fois prouvé sa capacité à se mobiliser. Mais la bataille de clans qui fait rage depuis la chute de Compaoré et qui a finalement débouché sur le coup d’État de Diendéré, montre aussi que cette mobilisation est la seule garante contre l’instauration d’une nouvelle dictature. Les chefs militaires qui ont fini par prendre parti contre Diendéré ne valent en effet pas mieux que lui.3

 

 

Un président pas si nouveau

Les élections présidentielles qui ont eu lieu le 29 novembre 2015 ont donné dès le premier tour la victoire à Roch Marc Christian Kaboré. Il fut longtemps le dauphin pressenti de Blaise Compaoré, avant de prendre ses distances avec lui. Tous ceux qui s’étaient mobilisés pour renverser Compaoré n’ont donc rien à attendre de cette élection.

Kaboré comptait déjà parmi les hommes de confiance de Compaoré lorsque celui-ci s’empara du pouvoir en 1987, assassinant le leader nationaliste radical Thomas Sankara. Il aida le dictateur à liquider l’héritage de Sankara et occupa de nombreux postes ministériels jusqu’en 1994, où il devint premier ministre. Il dirigea alors le gouvernement qui força la population à subir la hausse vertigineuse des prix résultant de la dévaluation du franc CFA imposée par la France à ses anciennes colonies. Kaboré fut complice de tous les crimes du régime, comme l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. Il ne rompit avec Compaoré que dix mois avant sa chute, lorsque celui-ci l’écarta et annonça son intention de briguer un troisième mandat. Il put dès lors faire figure d’opposant, semblable en cela à son principal concurrent, Zéphirin Diabré, qui avait été ministre des Finances en 1994 avant de devenir fonctionnaire de l’ONU puis directeur de la division Afrique-Moyen-Orient du trust français Areva.

En novembre 2014 la jeunesse burkinabée, les travailleurs, la population pauvre étaient descendus dans la rue pour chasser Compaoré et en finir avec un régime d’oppression. Kaboré et Diabré se seraient bien contentés d’un départ discret de Compaoré si celui-ci avait accepté de renoncer à un nouveau mandat, comme le lui demandaient ses parrains français et américains. Un an plus tard, ce sont ces chevaux de retour qui tiennent à nouveau le devant de la scène.

Les puissances impérialiste qui pillent l’Afrique, en premier lieu la France, ne sont jamais à court de politiciens ou de militaires pour diriger des pays comme le Burkina au mieux de leurs intérêts. Quand l’un d’entre eux, trop usé, finit par tomber, elles organisent le passage de relais à un autre, si possible auréolé de la légitimité que donne une élection. C’est ce que des dirigeants comme Hollande appellent une transition, qui est en fait le temps nécessaire pour que les espoirs de la population s’estompent et que se développent de nouvelles illusions. Mais le peuple burkinabé a largement montré qu’il n’était pas prêts à se laisser piétiner sans rien dire et, comme en novembre 2014, il peut le faire savoir à ces nouveaux dirigeants.4

 

 

Une dette illégitime qui doit être répudiée

La dette du Burkina Faso est très largement illégitime car elle a été contractée en violation du droit international et qu’elle n’a pas bénéficié à la population.

La dette publique du Burkina Faso s’élevait en 2013 à 2,56 milliards de dollars. La dette extérieure représente 80% de cette somme et est composée à 83% de dettes multilatérales (dues aux Institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale) et à 17% de dettes bilatérales (dues à d’autres pays). La dette intérieure correspond donc aux 20% restants de la dette globale et est constituée à 70% de titres (bons et obligations du Trésor). La dette du Burkina a augmenté de 78% entre 2000 et 2013.

 

Une dette de régime, pas du peuple

Selon la doctrine de la dette odieuse, « si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’État entier […]. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».

Si d’aucuns doutent encore que le règne de Blaise Compaoré puisse être qualifié de despotique, citons la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression » (préambule). « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet » (article 28). À la lumière de la DUDH, on peut considérer que les dettes de régimes déchus (démocratiques ou non) sont présumées illégitimes. En effet, le renversement d’un gouvernement par le peuple indique a priori que ce dernier ne le représente plus et que l’état de droit n’est pas garanti. Ses dettes n’engagent donc a priori pas la population qui s’est libérée de son joug.

Ces deux arguments montrent clairement qu’une grande partie de la dette du Burkina est une dette de régime. Rappelons que Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir le 15 octobre 1987 suite à un coup d’État et à l’assassinat de Thomas Sankara. 27 ans de créances peuvent dès lors être répudiés. En accordant des prêts à ce régime, les créanciers « ont commis un acte hostile à l’égard du peuple » et ne peuvent pas attendre du peuple affranchi qu’il assume les dettes « odieuses ».

 

Une dette qui viole la souveraineté et le droit du peuple burkinabè

La Charte des Nations Unies, les Pactes de 1966 sur les droits humains, le « jus cogens », la Déclaration sur le droit au développement de 1986 ou encore la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU du 18 juillet 2012, affirment qu’un accord est nul à partir du moment où son application entraîne une violation des droits humains et de la souveraineté d’un État. Dans le cas du Burkina Faso comme de nombreux pays du Sud, les plans d’ajustement structurel (PAS) liés aux contrats de prêts des Institutions financières internationales violent de manière flagrante le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et nombre d’autres droits fondamentaux. « Les conditionnalités imposées par ces créanciers appauvrissent la population, accroissent les inégalités, livrent le pays aux transnationales et modifient les législations des États (réforme en profondeur du Code du travail, des Codes minier, forestier, abrogation des conventions collectives, etc.) dans un sens favorable aux créanciers et “investisseurs” étrangers. »

Le Burkina Faso est devenu le quatrième producteur d’or du continent. Les créanciers ont poussé le Burkina Faso à mener une politique extractiviste, d’abord sur le coton et aujourd’hui dans le secteur aurifère. Cette politique permet d’obtenir des devises étrangères, qui sont utilisées pour rembourser la dette. En 2012, le stock de la dette extérieure publique atteignait l’équivalent de 72% des recettes d’exportations et la production d’or représentait quant à elle 76% des recettes d’exportations. Les mines ont rapporté 125 milliards de francs CFA à l’État en taxes et impôts en 2011, pour un chiffre d’affaires - officiel - de 750 milliards de F CFA... Il n’est pas étonnant que la part du Burkina soit minime puisque le code minier offre d’importants avantages douaniers et fiscaux aux multinationales tant dans la phase de recherche que dans la phase d’exploitation (admission temporaire des matériels professionnels, exonération totale des droits de douanes sur les pièces de rechange, les carburants, les lubrifiants, les matières premières et les équipements divers, exonération de la patente et des licences, de la TVA, de l’impôt sur les bénéfices, de la Taxe d’apprentissage, de l’impôt minimum forfaitaire et des frais d’enregistrement). D’autre part, une investigation d’Africa Mining Intelligence parue en avril 2013 sur le secteur minier burkinabè révèle que celui-ci est entre les mains de Blaise Compaoré, de son frère François, des amis de la famille, des anciens premiers ministres et ministres en charge des Mines, et de quelques autres privilégiés. Notons que Lamoussa Salif Kaboré, ministre des Mines, des Carrières et de l’Énergie sous Blaise Compaoré, a été élevé au rang de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur française en décembre 2011, à la Résidence de l’ambassadeur de France à Ouagadougou.

Comme le souligne le FMI dans son rapport de février 2014, « le Burkina Faso a un solide bilan en matière d’appropriation et d’exécution de son programme ». Le pays a signé son premier plan d’ajustement structurel en 1991 (bien après la plupart des pays subsahariens qui ont appliqué des PAS dès les années 80) et a souscrit en 1996 à l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) lancée par le FMI et la Banque mondiale. Cette initiative visait à « ramener à un niveau soutenable la charge de l’endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés » à travers la mise en place de réformes structurelles. Après avoir atteint le point d’achèvement en novembre 2003, le Burkina Faso a enchaîné en 2005 avec l’IADM (l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale menée par le FMI, la Banque mondiale et le Fonds africain de développement) pour « accélérer les progrès vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies ». Depuis 2010, le Burkina Faso suit un programme économique appuyé par l’accord triennal de la Facilité Élargie de Crédit (FEC) du FMI. Dans ce cadre, le 27 décembre 2013, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un nouvel accord triennal d’un montant de 41,6 millions de dollars US. Chaque plan ou programme conclu avec le FMI a été conditionné à la mise en place de réformes politiques et économiques contraires aux intérêts de la population. Les dettes contractées dans le cadre de ces accords sont illégitimes et ne doivent pas être remboursées.

Le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres de la planète. En 2015, plus de 44% de la population « vit » en dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour) dont la moitié survit au quotidien avec moins de 50 cents. Cette situation d’extrême pauvreté engendre une violation permanente des droits humains fondamentaux. En 2012, le service de la dette (remboursement du capital et des intérêts) a représenté 141,08 millions d’euros et a mobilisé 7,6% des recettes budgétaires alors que 6,2% du PIB était attribué aux dépenses de santé. Les États sont tenus de respecter les textes internationaux protégeant les droits humains et cette obligation de respecter, protéger et de promouvoir les droits humains prime sur tout autre accord. Ainsi, le Burkina Faso pourrait refuser de rembourser ses créanciers en invoquant la suprématie des droits fondamentaux et en allouant les sommes prévues au remboursement de la dette à des dépenses sociales.

 

C’est au peuple de décider

Il appartient au peuple burkinabè, désormais débarrassé de Blaise Compaoré, de décider si la dette du Burkina Faso, ou une partie de celle-ci, est illégitime et si elle doit être répudiée.

La réalisation d’un audit citoyen de la dette peut également permettre de démontrer que celle-ci est très largement (voire totalement) illégitime et d’appuyer, par une large mobilisation, une décision souveraine de non-paiement.5

 

 

Un terrorisme alimenté par la présence française

Au moins 30 personnes sont mortes dans l’attentat perpétré par un commando djihadiste dans la nuit du 15 janvier 2016 à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. C’est la première fois qu’une telle tuerie a lieu dans ce pays voisin du Mali.

Cette attaque ressemble en tout point à celle menée en novembre 2015 contre l’hôtel Radisson Blue de Bamako, au Mali. Là-aussi ce sont des lieux fréquentés par des Occidentaux, l’hôtel de luxe Splendid et le restaurant Capuccino, qui ont été visés. Mais la population africaine a comme à chaque fois payé un lourd tribut. Les terroristes tuent aveuglément, et peu leur importe la couleur de peau de ceux qu’ils trouvent sur leur chemin.

Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), et plus précisément le groupe al Mourabitoune, que dirige l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, a revendiqué le massacre. Ce groupe armé est issu de la fusion en 2013 de deux groupes qui avaient occupé le Nord du Mali en y faisant régner la terreur, le Mujao et les Signataires par le sang. Il était déjà l’auteur de la prise d’otages dans le complexe pétrolier d’In Amenas en Algérie, qui s’était soldée par 38 morts, et de la tuerie du Radisson Blue à Bamako.

Le Burkina Faso n’est donc plus épargné par la sanglante expansion des attentats djihadistes. Ce pays est l’un des cinq où sont présentes les forces françaises de l’opération Barkhane, avec la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad. Lorsque cette opération a succédé à celle qui avait chassé les groupes djihadistes qui occupaient le Nord du Mali et y faisaient régner la terreur, le gouvernement français prétendait pouvoir ainsi empêcher ces groupes d’agir dans toute la région en leur fermant la frontière avec la Libye où se situent leurs bases arrière. Il est évident aujourd’hui qu’il n’en est rien. Ces bandes armées ont simplement élargi leur champ d’action si bien qu’aucun pays n’est à l’abri. L’intervention des troupes françaises au Sahel défend les intérêts de l’impérialisme français, et c’est bien là son seul but réel. Non seulement elle ne protège en rien la population, mais la présence française en Afrique est un des aliments du terrorisme barbare.6

 

 

Nouvel attentat terroriste

Un attentat terroriste a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 août 2017 dans un café-restaurant du centre-ville d’Ouagadougou. Le bilan est d’au moins 18 morts et 22 blessés. Les deux assaillants ont été tués par les forces spéciales de l’armée burkinabé. L’attentat n’a pas été revendiqué, mais il ressemble à celui perpétré en janvier 2016 également à Ouagadougou par al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Cet attentat a été médiatisé en France parce qu’il a eu lieu dans la capitale, dans un lieu fréquenté par des Occidentaux et qu’une des victimes est française. Il est révélateur de la situation au Burkina Faso.

Depuis deux ans, les attaques terroristes se multiplient, principalement dans le nord du pays près de la frontière du Mali. Ces opérations terroristes sont menées entre autres par Ansaroual Islam, un groupe terroriste burkinabé, qui s’est fait connaître lors de l’attaque d’un poste de sécurité en décembre 2016, où douze militaires avaient été tués.

Toute la population est visée. Par exemple, les djihadistes menacent les enseignants pour imposer l’étude du Coran et l’interdiction d’enseigner le français. Le 3 mars 2016, le meurtre d’un directeur d’école a provoqué la fuite des 1 677 enseignants de la province de Soum et donc la fermeture de toutes les écoles.

La situation au Burkina Faso est bien évidemment liée au développement de groupes djihadistes favorisé par l’intervention française en Libye et la chute de Kadhafi. Le déclenchement par la France de l’opération Serval en 2013, devenue l’opération Barkhane en août 2014 en s’élargissant au Niger, au Burkina Faso, au Tchad et à la Mauritanie, était censée « apporter la paix et protéger la population du terrorisme ». L’opération a eu, comme on pouvait s’y attendre, l’effet inverse.

En fait, les gouvernements français n’ont jamais cessé d’intervenir dans la région. Le Burkina Faso a été une colonie française de 1895 à 1960. Devenu indépendant, il a eu successivement à sa tête des régimes militaires ou civils le plus souvent très proches de la France. Thomas Sankara, qui tenta de desserrer l’étau de l’impérialisme en 1983, fut assassiné en 1987 par son second Blaise Compaoré. Ce dernier eut le soutien de la France, jusqu’à ce que la population se révolte contre son régime en 2014, mais son clan resta au pouvoir avec l’aval de la France, qui se chargea d’ailleurs d’exfiltrer Blaise Compaoré et une partie de ses ministres vers la Côte d’Ivoire.

Le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres d’Afrique, mais il possède des mines d’or et exporte du coton. Cela, outre sa position géographique, fait que l’impérialisme français tient à conserver la haute main sur ses affaires.

Le pays aurait été protégé jusqu’en 2015 des attaques djihadistes par un accord tacite entre Blaise Compaoré et ceux-ci. Le dictateur, par ailleurs allié de la France, permettait aux chefs de bande d’avoir des bases au Burkina, moyennant quoi le pays était épargné par les attentats. Ces accords devenus caducs, les attentats terroristes frappent donc désormais le Burkina comme les pays voisins.

L’existence de ces mafias djihadistes ou simplement criminelles est l’un des fruits pourris laissés par l’impérialisme.

La France est la plus mal placée pour parler de protéger la population burkinabé contre le terrorisme. C’est, au contraire, l’armée française qui peut revendiquer le titre de plus ancienne, plus puissante et plus meurtrière bande terroriste sévissant dans cette région d’Afrique.7

 

 

Élections entre compères

Les élections présidentielles et législatives du Burkina Faso se sont déroulées le 22 novembre 2020 sous la menace des groupes djihadistes qui contrôlent une grande partie du pays.

Le dernier président élu, Roch Marc Christian Kaboré, est arrivé au pouvoir en décembre 2015. Pendant ses cinq années de présidence, les mœurs en matière de corruption à la tête de l’État burkinabé sont restées les mêmes que sous Compaoré. Les affaires de détournement de fonds ont défrayé régulièrement la chronique. L’attribution de marchés pour la construction d’infrastructures, ponts, routes, gares, ont donné lieu à des pots-de-vin et les ouvrages ainsi bâtis ont souvent été détruits par les éléments. Ainsi le stade régional de Tenkodogo construit en décembre 2019, a été emporté par la pluie dès mai 2020. Les burkinabés surnomment ironiquement la pluie « contrôleur général des bâtiments publics ».

La persistance sous Kaboré des vieilles pratiques est d’autant moins étonnante qu’il s’est entouré de transfuges de l’ère Compaoré, comme lui écartés par le dictateur vers 2012. C’est aussi le cas de son principal opposant dans ces élections présidentielles, Zéphirin Diabré, ministre de l’Économie de Compaoré en 1994. Quant à un autre candidat, Eddie Komboïgo, il est tout simplement le représentant du parti de Compaoré. Ces deux opposants réclament le retour de Compaoré au pays, et Kaboré lui-même n’y ferme pas la porte.

C’est dans cet État failli que les djihadistes ont fait irruption à partir de janvier 2016, date où des attentats revendiqués par al-Qaida ont fait 30 morts à Ouagadougou. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Dans le nord et l’est du pays, où les élections n’ont pas pu vraiment se tenir, les attaques de villages par les groupes djihadistes n’ont cessé de se multiplier. Un million de personnes ont dû fuir leur foyer, soit un burkinabé sur vingt. Aux tueries djihadistes s’ajoutent celles des « volontaires pour la défense de la patrie », des milices villageoises qui servent de supplétifs à la faible armée burkinabée, mais qui échappent en fait à tout contrôle et s’abattent sans pitié sur les villages peuls, souçonnés d’abriter les djihadistes.

L’armée française de la force Barkhane, présente au Burkina Faso, est tout aussi impuissante à protéger la population qu’au Mali. En vertu de quoi les principaux opposants, Eddie Komboïgo et Zéphirin Diabré, ont prôné pendant la campagne le dialogue avec les chefs djihadistes. C’était la politique de Blaise Compaoré qui avait ainsi écarté pendant son règne leur menace de raids sur le Burkina en échange de bons services. Ainsi, il servait au besoin d’intermédiaire à la France dans des tractations délicates.

Depuis, le terrorisme djihadiste s’est étendu à tout le Sahel. La population burkinabée vit dans l’insécurité et la pauvreté, et ce ne sont pas des élections comme celles du 22 novembre 2020 qui vont les conjurer. La seule issue pour les travailleurs et la jeunesse serait de retrouver la force qu’ils ont montrée à maintes reprises, et en particulier en 2014, avec la volonté de ne pas se laisser voler leur mouvement par des hommes politiques au service de l’impérialisme français.8

 

 

L’armée française n’est pas là pour éviter les massacres

Dans la nuit du 4 au 5 juin 2021 a eu lieu la pire tuerie jamais perpétrée par un groupe djihadiste au Burkina Faso. 160 personnes, hommes, femmes, enfants, ont été froidement assassinées dans le village de Solhan, dans cette région des trois frontières où la force française Barkhane prétendait avoir concentré ses interventions pour anéantir les djihadistes.

Ceux-ci ont d’abord visé le campement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), ces supplétifs recrutés parmi les habitants et censés défendre leur village. Ils ont ensuite massacré tous ceux qui leur tombaient sous la main, villageois et travailleurs du site d’orpaillage voisin. Terrorisés, les survivants se sont enfuis dans la ville voisine de Sebba, à une quinzaine de kilomètres, venant ainsi grossir le flot des 1,2 million de personnes qui ont dû fuir leur maison depuis six ans.

Les groupes djihadistes sèment la terreur dans la région. Six villages, sur les dix-huit que compte étaient désormais sous leur contrôle. Ils en ont chassé les instituteurs, les conseillers municipaux, et imposé la loi islamique, n’hésitant pas à couper les mains de ceux qu’ils accusaient d’avoir volé. Dans les autres villages, ils se pavanaient en plein jour et à visage découvert, comme s’ils étaient en terrain conquis.

L’armée burkinabé est bien incapable de protéger la population. Le détachement cantonné à Sebba n’est intervenu que sept heures après que l’alerte a été donnée. À la mi-mai, le ministre de la défense, Chériff Sy, avait fait dans la région une tournée qui s’était conclue par un triomphal « La situation est revenue à la normale ». Plus soucieux de régler ses comptes avec d’autres chefs de l’armée ou de la Sécurité que de protéger la population, il s’en était pris en plastronnant à « ceux qui se moussent devant leur bière à Ouaga ». Dans ce panier de crabes que sont les institutions militaires burkinabé, la grande affaire est plus de profiter de sa situation pour s’enrichir que de mener la guerre aux djihadistes.

Quant à l’armée française, son inutilité à éviter de tels massacres a une nouvelle fois été mise en lumière. Elle n’a jamais été présente au Burkina -Faso que pour défendre des dictateurs et protéger des régimes pourris.9

 

 

D’un coup d’État à l’autre

Le 24 janvier 2022, un coup d’État militaire a renversé le président Roch Marc Kaboré. C’est un coup d’État de plus, pourrait-on dire, après celui de mai 2022 au Mali voisin.

Les régimes sur lesquels s’appuie la France en Afrique s’effondrent successivement, preuve de la faillite totale de sa politique menée à coups d’opérations militaires.

Ce coup d’État n’est pas vraiment une surprise. Comme au Mali, les putschistes ont pu surfer sur la colère de la population contre ses propres dirigeants et contre la présence française. Plus d’un million et demi d’habitants, sur les vingt et un millions que compte le pays, ont dû fuir loin de chez eux par peur des attaques djihadistes. L’exaspération a été portée à son comble par deux attaques meurtrières. En juin, une attaque djihadiste sur la petite ville de Solhan a fait 160 morts dont au moins 20 enfants. Puis, en novembre, une soixantaine de gendarmes ont été massacrés dans leur base d’Inata. Les jours suivants, d’importantes manifestations organisées dans tout le pays ont demandé la démission de Kaboré et mis en cause la France. Le 20 novembre, un convoi militaire français était bloqué dans la ville de Kaya par une foule qui voulait l’empêcher de traverser le territoire Burkinabé vers le Niger.

Kaboré s’avéra totalement impuissant lorsque les groupes djihadistes, jusque-là cantonnés au Mali, prirent pour cible le Burkina. Il mit en œuvre les mêmes expédients que ses homologues maliens, laissant le champ libre à l’armée pour rançonner la population, au lieu de la protéger et créant des milices d’autodéfense, villageoises, dont le seul rôle fut d’ajouter à l’insécurité créée par les djihadistes celle provoquée par les conflits entre communautés et les règlements de comptes.

La veille du coup d’État militaire au Burkina Faso, un cinquante-troisième soldat français était tué au Mali sur la base française de Gao, la dernière encore occupée dans le pays. Qui oserait encore dire aujourd’hui qu’il était là pour protéger la population de la région ? Les coups d’État qui se succèdent traduisent, au même titre que la persistance de l’insécurité, l’échec d’une politique qui ne vise qu’à défendre les intérêts de l’impérialisme français en Afrique.10

 

 

L’or qui tue

Le 22 février 2022, une soixantaine de personnes sont mortes dans l’explosion d’un entrepôt de dynamite sur le site minier de Gomgombiro, un village du Burkina Faso.

Un incendie s’est déclaré dans le marché du site et s’est propagé à un entrepôt où étaient stockés des bâtons de dynamite destinés à la mine. Cette mine est en fait un énorme trou dans lequel descendent des centaines d’hommes, venus de tout le Burkina et de pays voisins. Ils utilisent la dynamite pour faire exploser les roches des couches qu’on ne peut exploiter avec des outils artisanaux.

Ceux qui ont été tués dans l’explosion se trouvaient surtout en surface, et parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants travaillaient à sortir les minéraux et à les nettoyer à l’eau additionnée de mercure. Les accidents qui sont légion dans ces mines sont le plus souvent dus à des éboulements dans des galeries non boisées, et personne ne se soucie même de les dénombrer.

L’or est le premier produit d’exportation du Burkina, avec le coton. On en trouve partout. Là où l’or est assez dense, il est extrait avec des machines modernes dans des mines industrielles. Mais partout ailleurs ce sont des orpailleurs artisanaux qui le tirent du sol, dans des exploitations allant du simple trou de village à des mines artisanales, comme celle où a eu lieu l’explosion. Un million et demi de personnes dans le pays s’échinent dans ces fosses, au péril de leur vie. Ils tentent leur chance en connaissant les risques, parce qu’il est de plus en plus difficile de vivre de l’agriculture ou de l’élevage. Ces orpailleurs doivent payer leur dîme au propriétaire du trou, et céder leur or à des comptoirs d’achat, de vente et d’exportation de l’or agréés par le gouvernement. Parfois d’autres prédateurs s’interposent et leur volent une partie de leur travail, ici des bandes djihadistes, ailleurs des fonctionnaires ou de simples bandits.

Mais, quels que soient les circuits empruntés par le métal précieux, celui-ci finit toujours par arriver dans les coffres de capitalistes qui, eux, ne risquent pas leur vie dans les mines.11

 

 

L’hostilité envers l’impérialisme français explose

Le 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a renversé par les armes le lieutenant-colonel Damiba, qui s’était emparé du pouvoir de la même manière en janvier dernier. Ce coup d’État a été accompagné de manifestations populaires qui s’en sont prises aux symboles de la présence française.

L’incapacité de Damiba à débarrasser le pays des groupes armés djihadistes est la principale raison invoquée par les putschistes. Au Burkina, un habitant sur dix a dû fuir le lieu où il habitait. 40 % du territoire est aujourd’hui contrôlé par ces groupes armés qui y imposent leur loi moyenâgeuse. Le 26 septembre, un convoi escorté par des militaires qui devait ravitailler la ville de Djibo, a été anéanti par les djihadistes. Ceux-ci ont tué 11 militaires et 50 civils, et brûlé les centaines de tonnes de nourriture qui étaient destinées à cette ville assiégée depuis sept mois et qui n’arrivait plus à se nourrir.

Lorsqu’il avait renversé en janvier le président Roch Marc Christian Kaboré, Damiba avait promis de débarrasser le pays de l’insécurité, mais comme l’ont d’emblée déclaré les putschistes, « loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste ». Le contingent militaire français présent dans le pays partageait avec le président déchu l’hostilité de la population car rien ne pouvait justifier aux yeux des Burkinabè la présence d’une force armée étrangère incapable de mettre fin à l’état de guerre.

Une autre raison du discrédit si rapide de Damiba dans la population, et même dans l’armée, fut sa volonté de ramener dans les allées du pouvoir l’ancien dictateur Blaise Compaoré et ses partisans. Pendant 27 ans, celui-ci a été l’âme damnée de l’impérialisme français dans la région, l’allié de Paris dans tous ses mauvais coups sur le continent, en même temps qu’il pillait les maigres richesses du pays au profit de son clan et faisait régner la terreur grâce à une armée de tortionnaires. En 2014, un puissant mouvement populaire avait renversé Compaoré et l’armée française s’était chargée de l’exfiltrer vers la Côte d’Ivoire.

Le coup d’État ne s’est cependant pas borné à une opération militaire. Des manifestations populaires l’ont accompagné, pour soutenir les putschistes mais aussi pour dénoncer l’impérialisme français. Les manifestants ont tenté d’incendier l’ambassade de France, ainsi que les centres culturels français dans la capitale et à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays. Des jeunes ont saccagé des enseignes du trust Bolloré et plusieurs stations-service Total. Cette haine de l’impérialisme français est la même que celle qui s’est exprimée au Mali, et sur laquelle des militaires putschistes se sont appuyés pour s’emparer du pouvoir et obliger les soldats français à plier bagage.

Au Niger aussi, des manifestations ont eu lieu pour exiger le départ du contingent français. Dans tous ces pays, des drapeaux russes sont brandis pour faire pièce à ceux de la France, et cela mesure l’exaspération de la population, même si remplacer une bande armée par une autre ne la protègera en rien, et si les miliciens russes de Wagner au Mali s’avèrent déjà tout aussi impuissants face aux djihadistes que les hommes de Barkhane.12

 

 

L’impérialisme français en échec

Après le Mali, les troupes françaises allaient devoir quitter le Burkina Faso. Les autorités burkinabées ont demandé aux 400 militaires stationnés à Ouagadougou, la capitale, de partir dans un délai d’un mois et dénoncé, par la même occasion, les accords militaires qui liaient la France au Burkina.

Cette décision était attendue depuis la prise du pouvoir le 30 septembre 2022 par le capitaine Ibrahim Traoré. Son coup d’État s’était accompagné de manifestations contre l’impérialisme français. La junte désormais au pouvoir n’avait eu qu’à surfer sur cette hostilité de la population envers l’ancien colonisateur, dans un scénario en tout point semblable à ce qui s’était déroulé au Mali un an et demi auparavant.

Les Burkinabés ont mille raisons d’en vouloir à l’impérialisme français et de souhaiter se débarrasser de sa présence. Pendant vingt-sept ans, Paris a maintenu à la tête du Burkina l’un des pires dictateurs qu’ait connu l’Afrique, Blaise Compaoré. Cet homme de main des gouvernants français a pillé la population et fait régner la terreur, ne reculant pas devant la torture et l’assassinat, à commencer en 1987 par celui de son prédécesseur, Thomas Sankara, dont la volonté d’indépendance déplaisait aux dirigeants français. Lorsque Compaoré fut renversé en 2014 par un puissant mouvement populaire contre la corruption et la vie chère, c’est l’armée française qui le sauva en l’évacuant vers la Côte d’Ivoire, où cet autre ami de la France qu’est Alassane Ouattara lui organisa un refuge doré et lui accorda la nationalité ivoirienne, le mettant à l’abri d’une éventuelle extradition. Dans le même temps, la diplomatie française organisait une transition sur mesure, pour mettre en place au Burkina un nouveau régime allié de la France, tout aussi corrompu et prédateur que celui de Compaoré.

Lorsque les premiers attentats djihadistes frappèrent le pays en 2016, les hommes des forces spéciales françaises y installèrent leur camp. Ils n’ont depuis offert aucune protection à la population, qui doit aujourd’hui affronter une situation dramatique. La moitié du territoire est tombée de fait aux mains des bandes djihadistes. La population se retrouve prise en étau entre ces groupes armés et les supplétifs de l’armée burkinabée, les « volontaires de la patrie », qui poursuivent leurs propres objectifs contre la population peule. Deux millions de personnes, dont une bonne proportion d’enfants, ont dû fuir leurs villages. Chacun a pu constater que la présence des troupes françaises avait pour seul objectif de défendre les intérêts de l’impérialisme, et les signes d’hostilité se sont succédé, du blocage de convois chargés d’évacuer les militaires français du Mali aux manifestations antifrançaises de ces derniers jours.

La junte et son chef, Ibrahim Traoré, se sont appuyés sur cette contestation ô combien justifiée de la présence française. Il s’agit certes d’un dictateur, d’un ennemi mortel des travailleurs, mais ni plus ni moins que ceux qu’a soutenus la France. Quant à celle-ci, elle récolte le fruit de dizaines d’années de prédation et voit son ancien pré carré colonial se réduire comme peau de chagrin.13

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Burkina_Faso
(2) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/burkina-faso-l-insurrection
(3) Daniel Mescla http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2015/09/23/burkina-faso-un-nouveau-coup-detat-manque_37946.html
(4) Daniel Mescla http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2015/12/02/burkina-faso-un-president-pas-si-nouveau_63756.html
(5) Pauline Imbach https://www.investigaction.net/fr/Burkina-Faso-une-dette-illegitime/
(6) Daniel Mescla http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2016/01/20/burkina-faso-un-terrorisme-alimente-par-la-presence-francaise_65038.html
(7) Élisa Carron https://journal.lutte-ouvriere.org/2017/08/16/burkina-faso-les-interventions-francaises-alimentent-le-terrorisme_95820.html
(8) https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/11/25/burkina-faso-elections-entre-comperes_153102.html
(9) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/06/09/burkina-faso-larmee-francaise-nest-pas-la-pour-eviter-les-massacres_160895.html
(10) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/01/26/burkina-faso-dun-coup-detat-lautre_197762.html
(11) Danel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/02/23/burkina-faso-lor-qui-tue_216420.html
(12) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/10/05/burkina-faso-lhostilite-envers-limperialisme-francais-explose_417726.html
(13) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/01/25/burkina-faso-limperialisme-francais-en-echec_475592.html