Le Suriname

 

 

Période précolombienne

L’histoire du Suriname remonte à 3000 avant J.-C., avec l’arrivée des premiers Amérindiens. Les deux plus grande tribus étaient les Arawaks, des nomades vivant de chasse et de pêche sur la côte, suivi par les Caraïbes qui s’installèrent sur l’embouchure du Maroni. Plusieurs tribus habitaient la forêt tropicale à l’intérieur des terres, dont les Akurio, les Trió, les Wayarekule, les Warrau et les Wayana.

 

Première colonisation néerlandaise

Les premiers Européens débarqués au Suriname, dans la partie aujourd'hui occupée par le Guyana, furent les commerçants néerlandais qui fondèrent, tout au nord, la colonie d'Essequibo, d'abord appelée Pomeroon, détruite par les indiens et les espagnols en 1596. Menés par Joost van der Hooge, membre de la confrérie Bentvueghels, les commerçants zélandais s'installèrent en 1613, sur une île nommée "Kyk-over-al" dans l'estuaire, à 25 kilomètres de l'océan, sur la rivière Mazaruni juste avant le confluent avec la rivière Essequibo. Ce site facilitait le commerce avec la population locale et portait un nom latin, Nova Zeelandia, évoquant la Zélande, partie la plus au sud des Pays-Bas, à la frontière belge, celle qui reçut le plus de réfugiés, après Amsterdam, lors de la scission d'avec les Pays-Bas espagnols.

Van der Hooge a ensuite retrouvé un vieux fort portugais, sur le site duquel il construisit un nouveau fort plus proche de l'océan, sur une île appelée Fort Hoog, de 1616 à 1621, appelé aussi "Fort Kyk-over-al", qui devint en 1621 l'un des sièges de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Le fort devint en 1638 le siège de sa section zélandaise, et fut baptisé "Nouvelle-Zélande", tout comme la colonie, où l'on cultivait cacao, indigo et coton, avec des colons de Middelburg, Veere et Flessingue. En 1658 le cartographe Cornelis Goliath créa une carte de la colonie et dessina les plans d'une ville nommée New Middelburg.

Adrian Groenewegen épousa la fille d'un chef caraïbe pour contrebalancer l'influence des indiens Arawaks. Les rapports de Don Juan Tostado, en février 1614, l'un des riverains espagnols, s'inquiètent de l'arrivée des Hollandais indiquent qu'ils mettent à la disposition des amérindiens de grandes quantités de couteaux, haches et armes.

L'un de ses successeurs, Jan van der Goes, amena plus d'habitants de sa province de Zélande à Kykoveral en 1624, et reçut jusqu'en 1632 le soutien de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Le commerçant Abraham van Pere s'installa lui sur la rivière Berbice en 1627, et bâtit Fort Nassau à 50 miles à l'intérieur des terres.

La colonie, habitée de façon permanente dès 1624, eut pour premiers gouverneurs Adrian Groenewegen (1616–1624) puis Jacob Conijn (1624–1627) et ensuite Jan van der Goes (1627–1638), suivis par Cornelis Pieterszoon Hose (1638–1641) et Andriaen van der Woestijne (1641–1644). La Bataille de la baie de Matanzas, gagnée en 1628 permit ensuite l'installation au Brésil et le début de l'histoire du Pernambouc, en 1630.

La colonie d'Essequibo fut abandonnée en 1657. Les esclaves n'arrivèrent qu'après, à Pomeroon-Supenaam, amenés par David Nassy, mais sans grande succès. Les implantations hollandaises du Guyana furent abandonnées en 1664 et n'avaient qu'un seul moulin à sucre.

Beaucoup plus au sud, des juifs venus de Hollande et d'Italie, avant 1630, rejoignirent en 1639 l'ancienne capitale du Suriname, Torarica, fondée avant 1630, sur la rive gauche de la rivière Surinam, dans la savanne juive, approximativement 40 kilomètres au sud de Paramaribo, située elle dans l'embouchure, sur la côte.

 

Colonisation britannique

Une autre colonie fut fondée en 1630 par des Britanniques sous le commandement du capitaine Marshall. Il tentèrent de cultiver du tabac, sans succès.

 

En 1650, Anthony Rowse fuit l'île de la Barbade avec 100 planteurs et 2000 esclaves pour fonder un fort Willoughby et "Willoughbyland", le long des rivières au Suriname et Para après avoir négocié avec les chefs amérindiens. Cinq cent plantations de sucre où travaillaient 1000 blancs, rapidement rejoints par des juifs venus d’Europe et du Brésil sont assez vite mises en place. Mais le parlement rend cette transaction illégale. Dès mai 1650, la flotte de l'amiral Georges Ayscue menace la Barbade, fief des royalistes catholiques avec 2000 hommes, renforcés par 850 autres de Virginie, face aux 5000 miliciens alignés par Lord Willoughby le gouverneur de l'île. En 1661, à la restauration de la Monarchie, le roi Charles II invalide la loi de 1651 et donne une patente à la colonie britannique, nommée Willoughbyland et son fort (Fort Willoughby).

Des Néerlandais envahirent la colonie le 27 février 1667, sous le commandement d’Abraham Crijnssen, avec l'aide d'esclaves marrons cachés dans la jungle, particulièrement nombreux dans la région. Ils mirent la main sur Fort Willoughby et le renommèrent Fort Zeelandia. Le 31 juillet 1667, Britanniques et Néerlandais signèrent le traité de Breda, qui laissait l’ancienne colonie néerlandaise de la Nouvelle-Amsterdam (qui allait devenir New York) aux premiers, et le Suriname aux seconds. Willoughbyland prit le nom de Guyane néerlandaise. Le Traité de Westminster de 1674 entérina cette situation après la troisième Guerre anglo-néerlandaise qui vit la Grande-Bretagne reprendre puis perdre le Suriname et les Pays-Bas reprendre New Amsterdam en 1673.

En 1675, les Néerlandais votent des lois pour protéger les droits des amérindiens du Suriname, auxquels sont assimilés les marrons, le tout afin de pacifier le territoire. En 1682, une société du Suriname remplace la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, elle est propriété commune de celle-ci mais aussi de Cornelis Aerssen et de la ville d'Amsterdam.

Le Suriname fut occupé à nouveau par la Grande-Bretagne en 1799, après que la France eut envahi les Pays-Bas et fondé la République batave. Il fut par la suite libéré en 1816 après la défaite de Napoléon Ier.

 

Abolition de l'esclavage

L’agriculture se développa tout au long du XVIIIe siècle, essentiellement grâce au travail des esclaves. Nombre d’entre eux fuyaient les mauvais traitements subis sur les plantations et s’évadaient dans la jungle (ils étaient alors appelés noirs marrons, djukas ou bakabusi nengre), d’où ils revenaient fréquemment pour lancer des attaques. Leur territoire formait une sorte de tampon entre les colonies européennes, le long de la côte et des fleuves, et les tribus indigènes de l’intérieur des terres.

Les Pays-Bas abolirent l’esclavage en 1863 mais les esclaves ne furent libérés qu’en 1873. Entre temps, les planteurs avaient fait venir de nombreux travailleurs des Indes orientales néerlandaises, essentiellement des Chinois. Après 1873, on fit venir également des Indiens, jusqu’à ce que Mohandas Gandhi fasse mettre fin à cette vile pratique en 1916.

 

Indépendance

Le Suriname obtint son autonomie en 1954, à l’exception des domaines de la défense et des affaires étrangères dont les Pays-Bas conservèrent le contrôle. En 1973, le gouvernement local entama des négociations avec le gouvernement néerlandais en vue de l’indépendance, qui fut officielle le 25 novembre 1975. Johan Ferrier fut le premier président du Suriname indépendant, avec Henck Arron, du Parti national du Suriname, comme Premier ministre. Les Pays-Bas mirent en place un programme d’entraide doté d’1,5 milliard de dollars qui devait durer jusqu’en 1985. Un tiers de la population quitta le Suriname pour les Pays-Bas.

 

Dictature et conflit armé

En 1980, le gouvernement Arron fut renversé par un coup d’État militaire mené par le sergent-major Desi Bouterse. Ferrier refusa de reconnaître le nouveau gouvernement et nomma Henk Chin A Sen, du Parti national républicain, à la place. Un second coup d’État suivit cinq mois plus tard, à l’occasion duquel l’armée remplaça Ferrier par Chin A Sen. La population civile accueillit favorablement ces changements-là. Elle espérait ainsi voir un terme à la corruption et une amélioration du niveau de vie en dépit de l’interdiction des partis d’opposition par le nouveau régime. Il devint en effet de plus en plus dictatorial. Les Pays-Bas reconnurent le nouveau gouvernement mais les relations diplomatiques entre les deux pays prirent fin lorsque 15 membres de l’opposition furent exécutés par l’armée le 8 décembre 1982 à Fort Zeelandia. Les États-Unis et les Pays-Bas cessèrent leur aide au Suriname.

L’interdiction des partis politiques fut levée en 1985. De là, les citoyens du Suriname s’attelèrent à la rédaction d’une nouvelle Constitution. L’année suivante vit l’éclosion d’un mouvement rebelle des descendants des noirs marrons. Menés par Ronnie Brunswijk, ils se faisaient appeler le commando de la jungle ou Jungle Commando. Le gouvernement Bouterse réprima brutalement cette insurrection en saccageant et en brûlant des villages. C'est la guerre civile du Suriname. De nombreux marrons fuirent alors vers la Guyane.

Des élections eurent lieu en novembre 1987, qui virent le Front pour la démocratie et le développement, coalition anti-Bouterse, remporter 40 puis 51 sièges. Les Pays-Bas reprirent leur aide financière l’année suivante. Le 21 juillet 1989 est signé l'accord de paix de Kourou entre le nouveau gouvernement et Brunswijk. Des tensions apparurent cependant rapidement entre Bouterse et le président de l’Assemblée, Ramsewak Shankar. Ce dernier fut renversé par un coup d'État mené par Bouterse le 24 décembre 1990. Un nouveau gouvernement soutenu par l’armée prit alors le pouvoir, avec Johan Kraag comme président.

De nouvelles élections eurent lieu le 25 mai 1991. La coalition de Ronald Venetiaan remporta trente sièges, le parti de Bouterse, douze sièges et l’Alternative démocratique, neuf. Venetiaan fut désigné président et l’année suivante, un traité de paix conclu avec le commando de la jungle mit fin à la rébellion marron.

 

Difficultés économiques

Pendant ce temps, l’économie rencontrait de sérieuses difficultés accentuées par la chute des prix de l’aluminium. Un programme structurel d’ajustement fut mis en place en 1992, suivi par un programme en 1994. Mais la situation ne s’améliora pas malgré l’introduction des taux d’intérêts variables et une limitation des importations. De nombreuses grèves éclatèrent en 1999 et aboutirent à la destitution de Wijdenbosch, élu président par l’Assemblée en 1996. Les élections anticipées du 25 mai 2000 permirent à Venetiaan de revenir à la présidence et les relations avec les Pays-Bas s’améliorèrent. En août 2001, la Banque de développement des Pays-Bas accorda un prêt de 125 millions de dollars sur dix ans, destiné à consolider les finances gouvernementales. Trente deux millions servirent à rembourser les emprunts contractés par le gouvernement Wijdenbosch et les 93 millions restants à payer les dettes à la Banque centrale du Suriname.1

 

La présidence de Desi Bouterse (2010-)

Lors des élections législatives du 25 mai 2010, la coalition Mega Combinatie (Mega combinaison) qu'il dirige arrive en tête avec un peu plus de 40 % des voix et obtient 23 sièges, nombre insuffisant pour pouvoir gouverner sans partenaire et pour élire le président de la République. Des tractations entre partis ont lieu et le 19 juillet 2010, Bouterse est élu président de la République par l'Assemblée nationale en obtenant 36 suffrages sur 50 votants. Il prend ses fonctions le 12 août.

Bouterse avait auparavant dirigé un trafic de drogue entre l'Amérique du Sud et l'Europe, il a été accusé à plusieurs occasions, et en juillet 1999 il a été condamné par contumace pour trafic de cocaïne par un tribunal des Pays-Bas. Depuis, un mandat d'arrêt international l'empêche de quitter le territoire du Suriname. Au Suriname, puissant et craint, il est resté libre.

Les élections législatives du 25 mai 2015 sont de nouveau remportées par la Megacombinatie qui, avec 27 sièges sur 51, obtient une majorité absolue mais pas celle des deux tiers nécessaire à la réélection de Bouterse. Le 14 juillet suivant, Bouterse, seul candidat, est néanmoins réélu par l'Assemblée nationale pour un deuxième mandat de président de la République.2

 

 

Ressources naturelles et pauvreté : le paradoxe de l’abondance. L’exemple de Nieuw Koffiekamp au Suriname

Par Romain Cruse.

Le village de Nieuw Koffiekamp, dans l'intérieur du Suriname, symbolise de manière caricaturale les rapports de force contemporains entre trois groupes d'acteurs, autour de l'enjeu des ressources naturelles caribéennes : les populations locales, les milieux politiques locaux (coloniaux puis autonomes, puis indépendants – le plus souvent sans grande rupture) et les entreprises multinationales étrangères. À ce titre, le cas particulier de ce village de quelques centaines d'habitants situé au Sud de Paramaribo est particulièrement significatif.

 

Koffiekam

Les Noirs marrons du Suriname représentent aujourd'hui le troisième groupe ethnique du pays par leur importance démographique (plus de 70 000 personnes, et probablement autant à l'étranger), bien que toujours marginalisés dans l'espace national, dans les quartiers dégradés de la capitale et plus encore dans la sphère politique. Ils sont les descendants des esclaves qui s'enfuyaient des plantations situées sur le littoral et le long des fleuves, pour recréer en forêt l'équivalent de petits états centralisés, prenant rapidement la forme de villages de 100 à 200 habitants.

C'est ainsi qu'émergea le peuple Saramaka (ou Sa'amaka), peuple afro-américain recomposé dans l'intérieur forestier du Suriname, au coté d'autres peuples afro-américains relativement similaires (les Nduyka, les Matawaï, etc.). En 1762, face à la montée des actes de terreur menés sur les plantations, le gouvernement colonial hollandais accorda officiellement au peuple Saramaka le territoire qu'il occupait de fait, à plusieurs jours de marche et de pirogue en amont du fleuve Suriname. En échange, les Saramakas signaient un traité de paix et promettaient de rendre aux colons tout nouvel esclave en fuite (chose qui apparemment ne se fit que rarement) et de ne plus approcher des zones de plantations.

C'est ainsi que naquit le réseau de villages saramakas, au sein duquel se trouvait Koffiekamp, un petit village aujourd'hui situé sous plusieurs mètres d'eau, au beau milieu du lac artificiel de Brokopondo.

 

Le Barrage d'Alcoa

Ce lac artificiel de 1 500 km2 et contenant 20 000 millions de mètres cubes d'eau est le résultat d'une entreprise menée à la fin des années 1950 sous la direction d'un ingénieur hollandais, né à Sumatra, et du nom de W. J. van Blommestein Meer. Depuis les années 1940, le gouvernement colonial cherchait une solution au problème de l'approvisionnement en électricité de la capitale, dans un contexte économique de grave crise du secteur agricole. À la même période, l'entreprise multinationale nord-américaine ALCOA se mit à convoiter les réserves de bauxite du pays. L'industrialisation battait son plein en Europe et la Seconde guerre mondiale avait lancé le cycle de l'aluminium. En raison des coûts de transport de l'époque, il fut décidé que la bauxite devait être transformée sur place en Alumine, procédé qui divise par deux le volume et le poids du matériau à transformer par la suite en aluminium. Ce procédé est extrêmement gourmand en énergie, car la transformation nécessite de chauffer la bauxite brute à plus de 1 000°C.

 

Dans le reste de la Caraïbe, cette période est caractérisée par le lancement de l'Opération Bootstrap à Porto Rico et les écrits admiratifs du futur prix Nobel d'économie saint-lucien Arthur Lewis. La croyance répandue à l'époque est que le salut caribéen passe par l' "industrialisation par invitation", le développement local étant lié à l'expertise de firmes étrangères. Ceci convenait parfaitement au gouvernement hollandais pour qui la colonie du Suriname était rapidement devenue un fardeau économique à la suite du déclin de l’agriculture de plantation. En 1957 la reine Juliana exprima le souhait que la colonie soit "modernisée". En 1958, la firme ALCOA fut autorisée à construire une série de barrages en travers du fleuve Suriname pour créer un immense lac artificiel générant l'hydroélectricité nécessaire à la fois à l'alimentation de la bourgeoisie locale concentrée dans la capitale et au processus d'extraction et de transformation de la bauxite. Selon les termes du contrat, ALCOA supporterait les coûts de construction du principal barrage d'Afobaka et revendrait à un prix fixe 10 % de l'électricité produite au gouvernement local. En échange, ALCOA pourrait conserver 90 % de la production électrique et recevrait des exemptions de taxes sur son activité minière sur une très longue durée. Autrement dit, une fois remboursées les dépenses liées à la construction du barrage, la firme allait pouvoir exploiter la ressource surinamaise en échange de quasiment rien. Par ailleurs, le gouvernement local, officiellement "autonome" depuis 1954, offrit à la firme une concession de 2 millions d'hectares pour exploiter la bauxite. Sans compter la surface du lac artificiel, qui représente environ 1 % de la surface du pays.

 

Nieuw Koffiekamp

Une grande partie de ce territoire appartenait en fait aux Saramakas, en vertu des accords signés avec la couronne hollandaise en 1760. Le lac artificiel englouti à lui seul 43 villages de ce groupe. Les habitants furent simplement prévenus par un émissaire que la zone serait inondée et qu'ils devaient donc déménager rapidement. Pour prévenir les réactions violentes, les salaires des capitaines saramakas furent augmentés, des cadeaux furent distribués et on promit du travail aux hommes sur les chantiers du barrage. L'émissaire présenta aussi le futur lac comme un gigantesque bassin dans lequel il suffirait de se baisser pour ramasser les poissons. Bon nombre des Saramakas ne crurent pas la parole des "bakras" (nom donné par les marrons aux colons hollandais et par extension aux élites créoles après l'indépendance), et ce d'autant plus que le niveau des eaux mit environ 6 ans avant d'atteindre son niveau actuel. Lorsque l'eau pénétra dans les villages, plus de 6 000 personnes durent finalement déguerpir, laissant derrière eux leurs villages, leurs ancêtres, leurs Dieux et leur Histoire, inscrits dans les lieux et leur toponymie de ces lieux.

 

C'est ainsi que quelques centaines de ces Marrons furent "relogés" dans le village de Nieuw Koffiekamp. Le capitaine Ludwich Wijnerman nous raconta les conditions, lorsque nous l'avons interviewé en Juillet 2012 : un espace de forêt inconnu des habitants (et appartenant à priori à un autre groupe de Marrons) défriché au bout d'une piste, un tas de planches et de tôles ondulées posées à terre avec des boîtes de clous. Ces nouveaux villages créèrent de nombreux problèmes pour ces populations qui vivaient jusque là de manière autonome, et se nourrissaient du produit de la pêche, de la chasse et de l'agriculture sur leurs terrains ancestraux, mentalement cartographiés. Reliés à la dépendance à l'argent, et donc rapidement au salariat, ces relogements marquèrent le début de l'effondrement sociétal. Cependant le site de Nieuw Koffiekamp s'avéra rapidement fonctionnel, dans cette nouvelle optique, car les habitants y découvrirent de grandes quantités d'or dans les années 1980.

 

Le Suriname connut au cours des années 1990 un second bouleversement profond. Les réserves de bauxite s'épuisaient et les revenus que le gouvernement en tirait se réduisaient chaque année un peu plus. Le pays connut alors une ruée vers l'or. En 1994, les habitants de Nieuw Koffiekamp découvrirent qu'une firme canadienne installait des équipements lourds à un kilomètre de leur village. Les ingénieurs de la dite firme, Rosebel Inc., découvrirent au même moment qu'un village se trouvait au beau milieu de la concession qui leur avait été vendue deux ans plus tôt par le gouvernement Surinamais, officiellement "indépendant" depuis 1975. Cette concession était illégale à tous points de vue : le territoire cédé se trouve au milieu des territoires du groupe de Noirs marrons Aukans, sa taille excède de deux fois la superficie maximale autorisée par le code minier, et les habitants du village n'en avaient même pas été informés. Mais le contexte des années 1990, au Suriname comme dans le reste de la Caraïbe, est celui de la néolibéralisation effrénée : le Fonds Monétaire International (FMI) est aux manettes et il faut rembourser la dette et ses intérêts démesurés. Par ailleurs le Suriname se débat depuis les années 1980 dans un système politique tribal caractérisé par la superposition d'un pouvoir élitiste et ethnique (avec des partis politiques à base ethnique, comme au Guyana et à Trinidad) et celui, concurrent et dominant, du régime militaire dirigé par un métis (donc à priori exclu du système ethnique) ancien sergent de l'Armée nationale du nom de Dési Bouterse (qui fut putchiste, puis dictateur, puis homme fort de l'ombre et désormais président élu du pays).

 

Face au refus des habitants de quitter une nouvelle fois leur village (qui eut accepté de renoncer à une mine d’or ?), le capitaine fut menacé de mort par Bouterse et le Ministre de la justice annonça que le village serait bombardé en cas de refus. La police nationale assista ensuite la milice privée de Rosebel pour tenter de limiter les mouvements des habitants et les forcer à fuir (lorsque nécessaire en ouvrant le feu sur eux), ce qui eut pour conséquence principale la destruction de la station de police du village, dont les restes calcinés sont encore visibles à l'entrée. Par la suite, voyant l'échec du recours à la force et l'écho international de l'affaire, la firme décida d'embaucher quelques habitants et de jouer le jeu de la cohabitation. Les autres continuent de saccager les lieux à la recherche d'or en utilisant les méthodes de la petite extraction, polluant le point d'eau du village au mercure et détruisant toujours plus la forêt aux alentour. De son coté, Rosebel pratique une exploitation à une échelle sans commune mesure. Pour les habitants de Nieuw Koffiekamp que nous avons pu interviewer en 2012, le problème principal est aujourd'hui l'exploitation anarchique de l'or qui cause la destruction de l'environnement local et des inondations dans le village. Pour les petits exploitants du village cependant - quasiment tous les jeunes hommes -, le problème est que "les meilleures terres sont pour les blancs d'Alcoa". La spirale auto-destructrice est telle que le village ne compte plus qu'un seul agriculteur et que les jeunes flambent dans la capitale dès qu'ils trouvent quelques paillettes d'or, avant de revenir au milieu du village désolé une fois l'argent dépensé. Les maisons sont entourées de toutes parts de trous béants remplis d'une eau rougeâtre, entre lesquels s'activent une foule de quads et d'engins de chantiers.

 

Le Suriname est l'un des pays les mieux pourvus au monde en terme de ressources naturelles. Pourtant 2/3 de ses habitants vivent avec moins de 260 $ par mois selon les statistiques nationales. La déchéance du village de Nieuw Koffiekamp résume bien ce phénomène connu comme le "paradoxe de l'abondance".3

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Suriname
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Desi_Bouterse
(3) Romain Cruse. "Ressources naturelles et pauvreté : le paradoxe de l’abondance. L’exemple de Nieuw Koffiekamp, Suriname" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/geographie-physique-et-ressources-naturelles/les-ressources-naturelles-caribeennes-et-leur-gestion/ressources-naturelles-et-pauvrete-le-paradoxe-de-l-abondance-l-exemple-de-nieuw-koffiekamp-suriname.html