Le Mexique

 

 

Époque préhispanique

L'histoire préhispanique de ce qui est actuellement le nord du Mexique est mal connu car les peuples qui occupèrent la région avaient une culture matérielle limitée. Ces peuples nomades qui habitaient les déserts, le littoral et les montagnes au nord de la Mésoamérique ne partageaient pas la même culture. Le site de la grotte de la Perra (Tamaulipas) a connu l'invention de l'agriculture et connu la présence humaine à partir de 12 000 av. J.-C. Il y a des traces de peuples nomades dans les sites comme la grotte de la Candelaria (Coahuila, 8 000 av. J.-C.), ou El Conchalito (Basse-Californie-du-Sud). On trouve également en Basse-Californie les peintures rupestres de la Sierra de San Francisco dont la fonction continue jusqu'au XIXe siècle, lorsque les derniers indigènes disparaissent de la région.

Certains auteurs prennent comme marqueur du début de la civilisation mésoaméricaine la controversée céramique Pox de Puerto Marqués, datée vers le XXIVe siècle av. J.-C. Cette céramique mésoaméricaine pourrait avoir pour origine le contact entre la côte sud-américaine du Pacifique et l'occident de la Mésoamérique. Les nouvelles avancées techniques se diffusent dans toute la région si bien que, des siècles après, on produit une céramique dans d'autres hameaux du préclassique ancien (2 500-1 500 av. J.-C.) comme Chupícuaro et Tlatilco. Durant le préclassique moyen (ss. XIV-IV av. J.-C.), la culture olmèque se diffuse dans toute la Mésoamérique. Après le déclin olmèque, l'essor simultané de plusieurs peuples a lieu. Par exemple la culture des tombes à puits de probable influence sud-américaine, la culture épi-olmèque à Tres Zapotes, l'épanouissement d'Izapa et le développement du compte long.

À la fin de cette étape, Teotihuacan devient la ville la plus importante de la vallée de Mexico. Durant le Classique ancien (ss. II-VI/VIII) l'influence de Teotihuacan se fait sentir dans toute la Mésoamérique, appuyé par son pouvoir politique et commercial. Elle avait d'importants alliés, comme Monte Albán dans les vallées centrales d'Oaxaca. La civilisation mésoaméricaine s'étend plus au nord dans des sites comme La Quemada. Des influences culturelles arrivent du nord visibles dans la culture huastèque. La période classique est également l'époque de consolidation de la civilisation maya dans la péninsule du Yucatán et des hautes terres du Chiapas. D'un autre côté, dans les vallées et les montagnes du nord de la Sierra Madre occidentale se développe la culture Paquimé, résultat de la consolidation de l'agriculture dans le nord-est et l'échange entre la Mésoamérique et l'Oasisamérique.

Entre les Xe et XIIe siècles, le centre du Mexique est dominé par Tula, la capitale des Toltèques. La ville a établi des liens très forts avec plusieurs régions de Mésoamérique, mais particulièrement avec la péninsule du Yucatán, où se trouve la ville maya de Chichén Itzá. Au Oaxaca, au même moment, les Mixtèques commencent un processus expansionniste qui les mène à occuper les vallées centrales où vivaient les Zapotèques. En 1325, les Mexicas fondent Mexico-Tenochtitlan, la capitale de l'État le plus vaste qu'a connu la Mésoamérique, qui rivalisait seul avec les Tarasques de Tzintzuntzan.

 

Conquête espagnole

En 1519, les conquistadors, alliés à de nombreuses tribus ennemies des aztèques dont les Tlaxcaltèques et conduits par Hernán Cortés, se lancent à la conquête de l'Empire aztèque, aidés en cela par la supériorité et la qualité de leurs armes et de leurs tactiques de combat, mais aussi la supériorité numérique de leurs alliés indigènes.1

À cette époque, les Aztèques étaient le groupe dominant dans la population locale. Ils prirent d'abord les conquistadors espagnols, conformément aux anciennes légendes toltèques, pour des envoyés des dieux. Pour cette raison, les Aztèques n'opposèrent initialement que peu de résistance à l'avance des conquistadors, mais plus tard, ils marquèrent leur opposition lorsqu'ils se rendirent compte qu'ils n'étaient pas les messagers divins d'abord admirés.

Après plusieurs batailles, au cours desquelles les armées espagnoles furent plusieurs fois proches de la défaite (notamment lors de la Noche Triste du 30 juin 1520), la capitale aztèque de Tenochtitlan fut attaquée par une alliance entre les Espagnols et les Tlaxcaltèques (les principaux ennemis des Aztèques), qui entamèrent le siège. Les Aztèques furent défaits en 1521 et leur capitale rasée.2

Cortés se lance alors dans la conquête d'un vaste empire colonial appelé la Nouvelle-Espagne. Le territoire s'étendra jusqu'à une importante partie du sud des actuels États-Unis (notamment la Californie, l'Arizona, le Nouveau-Mexique et le Texas). Les principales villes mexicaines sont alors créées (Mexico sur les ruines de Tenochtitlán), Guadalajara, Puebla et Monterrey.

En même temps que la colonisation espagnole, des missionnaires arrivent dans le pays pour évangéliser la population qui avait survécu à la conquête. Parmi ces évangélisateurs, Bartolomé de las Casas se distingue par son désir de protéger la population indigène.

Dès 1535, l’administration de la Nouvelle-Espagne est confiée à un vice-roi. Le premier sera Antonio de Mendoza, nommé par Charles Quint.

 

La période coloniale

Pendant cette période, l’Espagne s'est enrichie grâce à l'exploitation des mines d'argent mexicaines, alors les plus riches du monde, dont le produit transite via Anvers, première place financière mondiale, pour permettre d'importer des biens de l'Inde, où les marchands sont friands d'argent-métal. Les espagnols implantent aussi la culture de la canne à sucre et du café, alors que sur le plan humain, la population amérindienne chuta de 80 %, à cause principalement des épidémies et des travaux forcés. On estime qu'avant l'arrivée des Espagnols, le Mexique central comptait 25 millions d'habitants. Il en restait un million vers 1650.

Les trois siècles de domination espagnole (1521 - 1821) coïncident avec la création du Mexique en tant que nation latine, hispanique, catholique et métisse telle que nous le connaissons aujourd’hui. L'architecture, la gastronomie, les fêtes mexicaines, et la structure familiale sont encore aujourd'hui largement influencées par ces trois siècles de domination espagnole.

Après les très nombreuses destructions résultant de la colonisation du Mexique, une forme d'art colonial s'est développé à partir du XVIe siècle ; et ce pour plusieurs raisons : contexte humaniste européen et développement des cabinets de curiosités, propagande religieuse, développement d'une élite métisse, explosion d'un commerce intercontinental, etc. Ce phénomène a en outre permis la conservation et la diffusion de nombreuses techniques précolombiennes uniques au monde, comme l'art de la laque mexicaine (technique de collage très différent de la laque asiatique), du papier d'amate ou celui de la mosaïque de plumes, d'une extraordinaire virtuosité au vu des moyens à la disposition des artisans précolombiens.

Les populations indigènes ne furent pas entièrement soumises du fait de la chute de l'empire aztèque, d'autres ne firent que changer de maîtres, les tlaxcaltèques alliés des espagnols furent mieux traités et jouirent tout au long de la colonie de privilèges tels que pouvoir monter à cheval. Des nobles indigènes partirent pour l'Espagne où leurs descendants vivent toujours. De très nombreuses révoltes locales eurent lieu durant les trois siècles de la période coloniale.

 

Indépendance

L'un des précurseurs de l'indépendance du Mexique est Melchor de Talamantes (es) mort emprisonné dans la forteresse de San Juan de Ulúa en 1809. Auteur de textes où il exposait les raisons qui devaient amener le pays à son émancipation de la couronne espagnole.

Dans la nuit du 15 au 16 septembre 1810, depuis ce qui est aujourd'hui la ville de Dolores Hidalgo, dans l'État de Guanajuato, un Espagnol né au Mexique, le curé Miguel Hidalgo, aujourd’hui héros national, lève, au cri de « Vive la Vierge de Guadalupe, vive Ferdinand VII, à bas le mauvais gouvernement ! » (c'est-à-dire celui de Joseph Bonaparte, au pouvoir depuis l'invasion de l'Espagne par les Français), une armée hétéroclite et indisciplinée de villageois et d'indigènes pour le rétablissement de Ferdinand VII et contre les juntes espagnoles au service des Français. Il commence avec succès, mais échoue au Monte de las Cruces, dans sa tentative de prendre Mexico, et sera exécuté en 1811.

Les créoles (criollos (es), descendants d'Européens, le plus souvent d'Espagnols, mais nés hors de la métropole espagnole au nombre de un million en Nouvelle-Espagne devenue l'actuel Mexique, sont à la tête des métis et des mulâtres (qui ensemble sont 1,3 million) et des indigènes (3,6 millions) qui forment la majeure partie des 6 millions de la population d'alors, mais sont tenus à l'écart du pouvoir politique et économique, les fonctions les plus prestigieuses et lucratives étant réservées aux Espagnols dont le nombre n'était que de 75 000 (péninsulaires, nés dans la métropole, que les créoles nomment aussi gachupines (es)).

Le Grito de Dolores est à l'origine du processus d'indépendance du pays, il n'est pas un appel à son indépendance, mais une réaction à la destitution de Ferdinand VII par les Français.

Le premier acte d'indépendance est proclamé par le Congrès de Chilpancingo inspiré principalement par les écrits de José María Morelos y Pavón a été signé le 6 novembre 1813 rédigé par Carlos María de Bustamante et Andrés Quintana Roo. Il a été intitulé Acte solennel de la déclaration d'indépendance de l'Amérique septentrionale. (Acta Solemne de la Declaración de Independencia de la América Septentrional (es))

L’Acte de l’Indépendance de l'Empire mexicain sera finalement signé le 28 septembre 1821. (Acta de Independencia del Imperio Mexicano (es)) L'Espagne ne reconnaîtra l'indépendance du Mexique que le 28 décembre 1836.

Parmi les éléments déclencheurs du mouvement indépendantiste, la conquête et l’occupation française de l’Espagne, au début du XIXe siècle, par les troupes de Napoléon et le rejet par les créoles de la Nouvelle Espagne de la Constitution de Cadix jugée par eux anticléricale et trop libérale.

Avec l'indépendance, les Espagnols nés au Mexique purent devenir les maîtres du pays en accédant à toutes les fonctions auparavant réservées aux Espagnols nés en métropole qui furent expulsés en 1829, exception faite de ceux dont les capitaux étaient investis dans les mines et l'agriculture.

En 1821 l'empire est proclamé avec Agustín de Iturbide. Le 4 octobre 1824, le Mexique se dote d’une Constitution républicaine ; la République est née.

 

 

De l'indépendance à la consolidation républicaine

 

 

Intervention espagnole de 1829

Les troupes espagnoles débarquent près de Tampico en mars 1829, dans une ultime tentative de reconquête du pays, elles sont repoussées par les troupes du général Antonio López de Santa Anna. Celui-ci acquiert un immense prestige par sa victoire, il devient le "Héros de Tampico".

 

Guerre des Pâtisseries

En raison des dégâts causés lors des troubles publics liés au chaos de la situation politique dans les années qui suivirent l'indépendance, des commerçants français déposèrent des réclamations au baron Deffaudis, ambassadeur français à Mexico ; parmi eux, un pâtissier du nom de Remontel réclama la somme exorbitante de 60 000 pesos en dédommagement du préjudice causé par des officiers à son établissement de Tacubaya (selon les sources, ayant profité d'émeutes pour partir sans payer leurs pâtisseries en 1832, d'où le surnom ironique donné ensuite au conflit par les Mexicains, ou ayant occasionné des dégâts à sa boutique en 1828). En 1837, le ministre mexicain des affaires extérieures, Luis G. Cuevas, répondit que le gouvernement n’était pas dans l'obligation d'indemniser ces pertes, étant donné qu'elles étaient la conséquence d'un mouvement révolutionnaire. Le 6 février 1838 (ou le 21 mars, selon d'autres sources), une flotte de 26 navires de guerre français arriva au large de Veracruz et le gouvernement de Louis-Philippe Ier réclama une somme totale de 600 000 pesos, équivalant à l'époque à 3 millions de francs or 50 en réparation des pertes subies par ses sujets. Le 27 novembre, les Français bombardèrent la forteresse de San Juan de Ulua.

Les Français obtinrent des garanties quant au paiement de cette somme et se retirèrent après onze mois de blocus du port de Veracruz. Cela occasionna pour le trésor mexicain une perte, calculée par le Journal des Débats, de 2 200 000 pesos soit 11 millions de francs or.

 

Guerre américano-mexicaine

En 1836, le Texas proclame son indépendance du Mexique. Il sera annexé plus tard par les États-Unis. En 1846, le Mexique revendique le territoire compris entre le rio Bravo et le rio Nueces. En effet, la limite de la province texane était le rio Nueces situé à 300 km au nord du rio Bravo. Dès lors la guerre éclate entre le Mexique et les États-Unis et durera de 1846 à 1848.

Les troupes américaines envahissent le pays et l’occupent de 1847 à 1848. Après la bataille de Chapultepec, le 14 septembre 1847, les troupes américaines hissent le drapeau américain sur le Palais National : la ville de Mexico est occupée. Sous le contrôle de Winfield Scott, ses troupes exécutent de nombreux soldats d'origine irlandaise du bataillon Saint Patrick, déserteurs de l’US Army, qui collaboraient avec la résistance mexicaine face à l’occupant.

La guerre se termine par la signature en 1848 du traité de Guadeloupe Hidalgo par lequel le Mexique reconnaît le rio Bravo comme sa frontière avec le Texas. De plus, le Mexique cède plus de 40 % de son territoire aux États-Unis, soit près de 2 000 000 de km2. Les États de Californie, Nouveau-Mexique, Arizona, Nevada, Utah, la majeure partie du Colorado et le sud-ouest du Wyoming représentent les territoires que les États-Unis ont annexés à la suite de la guerre américano-mexicaine. En 1857, est promulguée la constitution qui règle les institutions politiques mexicaines jusqu'en 1917.

 

Intervention française

En 1861, le gouvernement de Juárez décide la suspension du paiement de sa dette extérieure. La France, l’un des créanciers du Mexique, invoque le motif des dettes pour y intervenir militairement avec l’appui de l'ancienne puissance coloniale l’Espagne et de l’Angleterre. Profitant de la guerre civile qui déchire et absorbe les ressources du voisin du Nord, Napoléon III, avec la bénédiction du pape, pensait établir au Mexique un empire « latin » et catholique qui contrebalancerait le pouvoir grandissant des Américains. Des forces maritimes de ces trois pays débarquent à Veracruz, les Espagnols en décembre 1861, les Anglais et les Français en janvier 1862. Après des négociations, le gouvernement mexicain arrive à obtenir des Anglais et des Espagnols leur retrait (Convention de la Soledad). La France continue donc seule cette expédition visant à établir un empire catholique et ami au Mexique.

Hormis la première bataille de Puebla, gagnée par les forces libérales sous le commandement d’Ignacio Zaragoza, la campagne militaire française est un succès. La Légion étrangère s'y illustra lors du combat du 30 avril 1863 non loin du Cerro del Chiquihuite, à Camarón, rebaptisée plus tard Villa Tejeda (dite Camerone en français). Devant l’avancée des forces ennemies appuyées par les conservateurs, le gouvernement de Juárez est contraint de s'éloigner à San Luis Potosí le 31 mai 1863 puis finalement à Paso del Norte (devenue depuis Ciudad Juárez) près de la frontière avec les États-Unis.

En juin 1863, Mexico tombe sous le contrôle des forces de Napoléon III et de celles des conservateurs mexicains. Le 10 juillet, une Assemblée des Notables à Mexico nomme Maximilien d’Autriche empereur. Il était un des frères de François-Joseph, empereur d'Autriche. Le prince déçut souvent les conservateurs par ses idées modernes et libérales, allant jusqu'à demander à Juárez de gouverner avec lui, mais cet Habsbourg imbu d'étiquette commit des maladresses irréparables qui hâtèrent sa chute. Le pays resta peu sûr pour l'envahisseur, une guérilla féroce ne lui laissa aucun repos et épuisa ses forces et son moral, d'autre part les bandits pullulèrent, ce qui ne fit qu'aggraver la situation.

Dès la fin de la guerre de sécession en 1865, Juárez trouve auprès des États-Unis, en échange de promesses de concessions sur le territoire mexicain (isthme de Tehuantepec), un soutien en armes et en hommes, ainsi que diplomatique (doctrine de Monroe). Ce nouvel appui, les succès militaires des républicains, et surtout les menaces de guerre en Europe, forcèrent les troupes françaises à se retirer. L'intervention au Mexique fut un grand échec pour Napoléon III. Le Second Empire mexicain durera jusqu’en 1867. L’empereur Maximilien est exécuté à Santiago de Querétaro. Durant toute cette période, Benito Juárez n'abandonna jamais le territoire national et continua d'exercer sa fonction de président de la République.3

 

La dictature de Porfirio Diaz

En 1910, quand éclata la révolution, depuis plus de trente ans, le dictateur Porfirio Diaz gouvernait le pays d’une main de fer au nom « de la liberté, de l’ordre et du progrès ». La liberté, c’était celle de l’entrepreneur capitaliste ; l’ordre s’obtenait en agitant, tour à tour, « le pain et le bâton » ; quant au progrès, c’était le développement industriel et commercial mené au rythme rapide de l’arrivée du chemin de fer. Ainsi, entre 1891 et 1910, la production minière augmenta de 239 %.

L’industrialisation s’amorça autour de Monterrey, riche en métaux, qui accueillit de nombreux entrepreneurs nord-américains sudistes, vaincus de la guerre de Sécession, et dans les régions de Mexico et Guadalajara, où se concentrèrent industrie textile, chimie, agroalimentaire et hydro-électricité. Même si le Mexique, dégagé de la mainmise de l’Espagne depuis 1821, devenait plus industriel dans le nord du pays, au total, la bourgeoisie nationale ne pesait guère, face aux investissements étrangers, qui en 1910 contrôlaient, par exemple, 80 % des capitaux investis dans les mines. Au premier rang des prédateurs impérialistes, les États-Unis (38 %), la Grande-Bretagne (29 %) et la France (27 %).

Dans les campagnes, d’immenses espaces restaient improductifs ou destinés à des cultures d’exportation. Les cultures vivrières étaient très faibles : ainsi, le maïs, avec lequel on réalise des galettes (tortillas), base alimentaire des plus pauvres depuis des millénaires, était importé. En échange d’un peu d’arpentage, de grandes sociétés étrangères reçurent le tiers des terres publiques mesurées. Le reste fut vendu à bas prix à la clientèle de Diaz : généraux, politiciens et spéculateurs étrangers. Le magnat de la presse américaine, Hearst, acquit ainsi 7 millions d’hectares, bien plus que n’en possédait le plus gros propriétaire foncier sous Diaz, la famille Terrazas ! En outre, les trois quarts des bourgeois locaux arrondissaient leurs revenus par un emploi d’État.

Les Indiens (13 % des 15 millions d’habitants d’alors), dont deux insurrections avaient été écrasées en 1885 et 1898, achevaient d’être expropriés de leurs terres communes au profit de la grande exploitation concentrée, les haciendas, héritées de la domination espagnole. À la veille de la révolution de 1910, la concentration des terres entre les mains d’une poignée de magnats, locaux ou étrangers, atteignait des niveaux incroyables : 97 % des terres cultivables appartenaient à une minuscule minorité de propriétaires, représentant 1 % de la population rurale. 80 % des familles rurales ne bénéficiaient d’aucune terre. À côté des ouvriers agricoles des grands domaines, la plupart des paysans traités comme des serfs (peones) vivaient dans des conditions féodales : mauvais traitements, sous-nutrition, endettement à vie à la « tienda de raya », ce magasin qui leur ouvrait un crédit en marchandises. La soif de terre des paysans pauvres était inextinguible. Mais toutes les régions n’étaient pas logées à la même enseigne. Là où l’hacienda n’avait pas encore gagné la partie, et où les villages conservaient encore sinon la terre au moins leurs formes d’organisations communales, se recrutèrent les combattants les plus décidés de la révolution.

La construction des voies ferrées engendra le salariat. Le long des lignes de chemins de fer, on vit se rassembler des peones échappés du joug de l’hacienda. Six ou sept centaines de milliers de paysans formèrent ainsi les premiers contingents d’ouvriers, dont les contremaîtres étaient le plus souvent des étrangers. Un prolétariat, d’abord influencé par les idées anarchistes véhiculées par le journal Regeneracion des frères Flores Magon, Ricardo et Enrique, se lança dans la lutte. Les grèves, de plus en plus nombreuses, furent durement réprimées comme celles de Cananea en 1906, écrasée par des volontaires nord-américains, et de Rio Blanco en 1907, réprimée par la police locale et l’armée (200 morts, 400 prisonniers).

Diaz s’était emparé du pouvoir en 1876, en faisant campagne pour un « suffrage effectif sans réélection ». En 1880, ne pouvant être réélu, il tourna la difficulté en désignant un homme de paille à qui il succéda quatre ans plus tard. En 1887, il modifia la Constitution, ce qui lui permit de conserver le pouvoir et d’être ainsi « réélu » sept fois ! Députés et sénateurs étaient élus de la même manière après cooptation par la clique dirigeante. Les juges étaient nommés par le gouvernement, mais les opposants étaient très souvent exécutés, grâce à la ley fuga, la loi de fuite permettant à la police, les rurales, d’abattre des personnes en fuite.

Pendant la campagne électorale de 1910, Diaz trouva sur sa route Francisco Madero. Ce fils de grand propriétaire foncier, grand bourgeois du nord, estimait que le régime lésait la bourgeoisie nationale au profit du capital étranger. Il fit campagne pour une constitution qui instaurerait les libertés démocratiques. Pour être réélu, Diaz l’emprisonna. Sorti de prison, Madero appela au soulèvement. La révolution avait commencé.4

 

 

La révolution mexicaine

Le vieux président remporta des élections truquées. Exilé aux États-Unis, Madero ne s'avoua pas vaincu. Il lança le Plan de San Luis, daté du 5 octobre 1910, dans lequel il déclarait nulles les élections et exhortait les Mexicains à prendre les armes le 20 novembre 1910 contre le gouvernement.

Après des débuts difficiles, le soulèvement connut ses premiers succès au Chihuahua, dans le nord du pays, grâce à des chefs militaires tels que Pascual Orozco et Pancho Villa. Le mouvement s'étendit à d'autres régions, notamment au Morelos, où Emiliano Zapata et les petits paysans luttaient pour récupérer les terres dont ils avaient été spoliés par les grands propriétaires de plantations de canne à sucre. L'armée fédérale, incapable de faire face sur plusieurs fronts, subit de lourdes défaites et le président Díaz se résigna à démissionner en mai 1911, puis à quitter le pays.

L'élection de Madero en novembre 1911 ne résolut rien. Bien intentionné mais plus préoccupé de rétablir la légalité constitutionnelle que de résoudre les griefs socio-économiques, il dut faire face à la désillusion de certains de ses propres partisans mais aussi à l'opposition des partisans de l'ancien régime, qui occupaient encore de nombreux postes. En février 1913, il fut renversé un coup d'état militaire puis assassiné.

Après avoir manœuvré pour s'emparer du poste de président, le général Victoriano Huerta dut rapidement faire face à l'opposition déterminée de Venustiano Carranza gouverneur de l'Etat de Coahuila, Pancho Villa, qui avait repris les armes dans l'État de Chihuahua et Emiliano Zapata, qui ne s'était jamais soumis, au Morelos. Après plusieurs défaites de l'armée fédérale au printemps 1914, Huerta quitta le pays au mois de juillet. Des fractures apparurent rapidement entre les différentes factions révolutionnaires, carrancistes, villistes et zapatistes

Réunies lors de la Convention d'Aguascalientes en octobre 1915, ces factions n'arrivèrent pas à un accord durable et les combats reprirent. En 1915, le meilleur général carranciste, Álvaro Obregón, affronta et défit Pancho Villa au cours de plusieurs batailles sanglantes dans le centre du pays. Emiliano Zapata, qui avait conclu une alliance éphémère avec Villa, fut réduit à la défensive au Morelos.

En 1916, Venustiano Carranza était le seul à pouvoir prétendre au pouvoir suprême, même s'il ne contrôlait pas l'ensemble du pays et qu'il devait faire face à d'énormes problèmes socio-économiques. Après la promulgation d'une nouvelle constitution en 1917, Carranza fut élu président. Devenu progressivement impopulaire, il fut renversé en 1920 par le dernier coup d'état de la révolution, organisé par les partisans d'Obregón, qui fut ensuite élu président.5

La révolution se terminera officiellement en 1917, date de la nouvelle constitution mexicaine, mais la violence dura jusqu’aux années 1930 (assassinat d'Alvaro Obregón par un fanatique catholique en 1928)6. Une autre vague de violence suit l'application des mesures de laïcisation contenues dans la Constitution de 1917 et appliquées par le gouvernement dès 1926 : c'est la guerre des Cristeros dont la révolte à proprement parler commença le 1er janvier 1927, lorsque les rebelles prirent le nom de Cristeros — ils disaient en effet combattre au nom du Christ lui-même.

Moins de deux ans plus tard, tandis que les Cristeros commençaient à faire jeu égal avec les troupes de l'État fédéral, des négociations diplomatiques, dans lesquelles l'ambassadeur américain Dwight Whitney Morrow joua un grand rôle, permirent de mettre fin au conflit.

La fin de la guerre cristero entraîne une forte émigration vers les États-Unis7. « Au lendemain de leur défaite, la plupart des Cristeros – selon certaines estimations, jusqu'à 5 % de la population du Mexique – ont fui vers l'Amérique. Beaucoup d'entre eux se sont installés à Los Angeles, où ils ont trouvé un protecteur en John Joseph Cantwell, l'évêque de ce qui était alors le diocèse de Los Angeles-San Diego ». Les derniers rebelles refusant de fuir sont finalement capturés ou tués.

La guerre aurait fait quelque 90 000 morts. De nombreux civils ou anciens insurgés, mais aussi des prêtres, seront d'ailleurs tués dans des raids anticatholiques dans les années suivant la fin de la guerre, certaines autorités locales maintenant également une forte pression sur le clergé de leur zone de compétence. Environ 500 dirigeants Cristero et 5 000 autres Cristeros auraient été abattus, souvent à leur domicile et en face de leurs conjoints et de leurs enfants. La pression ira en diminuant au cours des années 1930, mais ne se stabilisera complètement qu'après l'élection en 1940 du Président Manuel Ávila Camacho, lui-même un catholique pratiquant, et représentant de l'aile droite du régime.8

 

Le PRI au pouvoir

En 1928 est fondé le PNR (Parti national révolutionnaire), qui deviendra le PRM en 1938 et le PRI en 1946.

En 1938, le président Lázaro Cárdenas nationalisa la production de pétrole en créant Pemex au détriment des compagnies pétrolières américaines. Les États-Unis pratiquèrent alors un embargo mais se firent finalement livrer du pétrole pendant la Seconde Guerre mondiale grâce à l'octroi de crédits accordés par Franklin Delano Roosevelt à la Pemex dès 1939. À la fin de la Guerre d'Espagne, le gouvernement mexicain offrit l'asile aux opposants à Franco.

 

La mise en place d'un système assimilé au corporatisme qui fortement lié à la société civile mexicaine, aux syndicats et aux entreprises, permit au parti d'assurer la pérennité et le progrès de la Nation durant 70 ans.

Le 2 juin 1942, sous le gouvernement de Manuel Ávila Camacho, le Mexique entra dans la Seconde Guerre mondiale aux côtés des Alliés en déclarant la guerre à l'Allemagne, à la suite du refus de l'Allemagne de payer des dommages et intérêts pour avoir coulé deux navires mexicains en mai 1942. L'aviation mexicaine (escadrille 201) participa à la Guerre du Pacifique.9

Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), membre de l'internationale socialiste prit son nom actuel en 1946 et dirigea le pays sans interruption jusqu’en 2000.

Le président Camacho opère un net virage à droite. Le soutien aux couches populaires est remplacé par la recherche de l’harmonie sociale et de l’unité nationale. Les distributions de terres sont freinées, les relations avec la Confederación de Trabajadores de México (CTM) se relâchent, alors que son secrétaire général Lombardo est remplacé par Fidel Velázquez, un modéré. Àvila Camacho mène une politique de « bon voisinage » avec les États-Unis, impliquant une coopération commerciale et militaire.10

 

La domination des États-Unis sur le Mexique

Les mesures prises par le gouvernement mexicain après la révolution de 1910-1920 et ensuite les grandes grèves des années 1930 avaient encouragé un petit mouvement d’indépendance face à l’impérialisme. Plusieurs secteurs clefs de l’économie mexicaine, l’industrie pétrolière, les chemins de fer et l’industrie minière, avaient été arrachés des mains des compagnies américaines et britanniques et placés sous le contrôle de l’État. Le gouvernement mexicain avait également imposé l’érection de barrières au commerce et à l’investissement pour protéger l’industrie mexicaine et l’agriculture.

Bien sûr ces mesures ne firent que limiter la domination américaine pendant un certain temps. Plus l’économie mexicaine se développait, plus elle s’intégrait dans l’économie mondiale dominée par l’impérialisme. Avec le temps, de plus en plus d’investissements et de commerce avec les États-Unis ont soutiré de plus en plus de richesses du Mexique. Bien que le Mexique ait connu un certain développement de son économie au cours des années 1940, 1950 et 1960, il n’échappa pas à son sous-développement.

Et puis, au cours des années 1970 et 1980, la domination américaine s’accrut de manière significative. Cela commença avec la crise de 1972-1973. Les États-Unis connurent alors une première crise, suivie par une crise plus importante encore quelques années après. Au départ, il sembla que le Mexique pourrait éviter les pires conséquences de cette crise. En 1972, des gisements pétroliers étaient découverts au large des côtes mexicaines. En 1973, du fait de la prétendue crise énergétique, le prix du pétrole quadrupla et il doubla encore en 1979.

Pour pouvoir développer ces gisements pétroliers, le gouvernement mexicain se tourna vers les grandes banques américaines pour obtenir des crédits. Ces banques furent plus qu’heureuses de coopérer. Leurs coffres regorgeaient de surplus de capitaux et elles les replaçaient en offrant des prêts à de nombreux pays sous-développés.

L’afflux massif de prêts pour payer les importations de biens de consommation et d’équipement, notamment celles provenant des États-Unis, permit de maintenir à flot l’économie mexicaine. Mais au début des années 1980, le pétrole représentait 75% des exportations mexicaines. Cela rendait le Mexique fortement dépendant de l’exportation d’une seule marchandise, comme tant d’autres pays sous-développés.

L’économie mexicaine se retrouva bientôt prise dans un étau. En 1979, les banques des pays industrialisés augmentèrent leurs taux d’intérêt qui allèrent jusqu’à atteindre parfois 20 % et alourdirent ainsi la charge du remboursement des dettes contractées par le Mexique. En 1981, les prix du pétrole chutèrent du fait de l’enlisement de l’économie mondiale dans la crise, ce qui réduisait le revenu du Mexique et sa capacité à rembourser ces prêts usuraires.

En août 1982, le gouvernement mexicain se retrouva en cessation de paiement face au système financier international. Cette cessation de paiement engendra une crise monétaire qui engendra une crise financière et ensuite une dépression brutale. Crise ou pas crise, la bourgeoisie s’en sortit très bien. Entre 1982 et 1989, les profits des 72 plus grandes compagnies mexicaines s’accrurent de manière considérable.

Pendant ce temps, la dette mexicaine était renégociée selon les conditions dictées par les États-Unis. L’économie mexicaine fut entièrement dirigée pour répondre aux nécessités du remboursement de la dette. Quelqu’un devait payer pour cela : ce fut la population laborieuse mexicaine. Pour pouvoir rembourser une partie des intérêts de la dette, le gouvernement multiplia les mesures brutales d’austérité pour mieux soutirer l’argent de la population. Il augmenta le prix des services de l’État. Il réduisit les subventions aux produits de première nécessité comme les tortillas et le pain, ce qui fit grimper leur prix. Alors que les prix explosaient, le gouvernement imposa un contrôle des salaires en commençant par un gel du salaire minimum.

L’impact de ces mesures sur la population fut catastrophique. En l’espace de deux ans seulement, le niveau de vie des ouvriers et des paysans fut réduit de moitié.

Le renforcement de la domination de l’impérialisme américain sur l’économie mexicaine avait généré les conditions catastrophiques qui poussèrent une première vague de millions de Mexicains à fuir le pays.

 

L’offensive s’accélère

Les énormes sacrifices imposés à la population mexicaine restaient insuffisants pour que le gouvernement mexicain parvienne même à rembourser les intérêts de la dette aux grandes banques internationales. Ce manquement aux obligations financières fut utilisé par le gouvernement américain pour demander au Mexique plus d’ouverture sur le plan du commerce, des investissements et de la propriété vis-à-vis des États-Unis. Les secteurs nationalisés comme la téléphonie, la banque, la radio et la télévision furent vendus pour rien à des multinationales américaines, mexicaines ou autres. Les nouvelles entreprises privatisées se lancèrent dans des restructurations massives qui jetèrent des millions de travailleurs à la rue.

Le gouvernement mexicain octroya d’énormes subventions aux compagnies américaines qui voulaient investir dans le secteur manufacturier, particulièrement dans les maquiladoras sur la zone frontalière avec les États-Unis. Il leur paya le terrain, installa l’infrastructure et accorda d’énormes réductions fiscales sous le prétexte que cela créerait de nouveaux emplois pour les Mexicains. Les maquiladoras se mirent à pousser comme des champignons le long de la frontière.

Le gouvernement mexicain « restructura » également l’agriculture, soi-disant pour encourager l’investissement et la production. L’agriculture fut de plus en plus tournée vers les exportations par les grandes multinationales comme les groupes Campbell Soup, General Mills, Ralston Purina, PepsiCo, CPC International, Kraft Foods, Coca-Cola et Pilgrim’s Pride. On autorisa la vente des « ejidos », les terres communales qui avaient été jadis protégées par la Constitution mexicaine, même aux compagnies étrangères.

Cela accéléra l’appauvrissement de la paysannerie et priva des millions de paysans de terres. Ils rejoignirent soit les millions de travailleurs licenciés dans les villes surpeuplées, soit le flot humain qui fuyait le pays.

Cette restructuration économique a culminé avec la mise en place de l’ALENA (ndt : NAFTA en anglais : Accord de libre échange de l’Amérique du Nord qui comprend le Canada, les États-Unis et le Mexique) qui confirma ou formalisa une série de mesures qui étaient déjà en application ou prêtes à être mises en place.

L’ALENA fut présentée comme le moyen d’offrir des emplois avec des salaires décents et ainsi de réduire la nécessité d’émigrer. En rapprochant l’économie mexicaine de celle des États-Unis, la plus grande du monde, l’économie mexicaine serait tirée vers le haut et le Mexique passerait du groupe des pays du tiers-monde à celui des pays développés. Le Mexique ferait partie de cette élite économique restreinte.

La réalité fut bien sûr très différente. Le capital américain domina l’économie mexicaine comme jamais auparavant. Les productions industrielle et agricole destinées à l’exportation, principalement pour le marché américain, remplacèrent en grande partie la base de production nationale. D’énormes profits furent engrangés, d’abord par les grandes compagnies multinationales, et ensuite par un petit groupe de capitalistes mexicains.

Mais cela n’engendra pas une croissance économique plus rapide. Au contraire, la croissance du PIB resta faible.

Cela n’apporta pas non plus une plus grande stabilité. L’économie mexicaine continua d’être ravagée par la crise. À la fin de 1994, des spéculateurs provoquèrent une panique financière en retirant des dizaines de milliards de dollars de l’économie mexicaine. Cela déclencha une nouvelle crise financière et une nouvelle dépression.

Finalement en 2000-2001, la récession de l’économie américaine qui se traduisit par une baisse de la production industrielle entraîna l’économie mexicaine dans la chute. Avec plus de 90 % de ses exportations destinés au marché américain, l’économie mexicaine était devenue synchronisée avec celle des États-Unis. Cette dépendance accrue par rapport au marché américain impliqua que la récession fut plus sévère et plus longue qu’aux États-Unis. Non, l’ALENA et l’intégration économique sous la domination américaine ne créèrent pas d’emplois plus nombreux et meilleurs. Cela accrut l’appauvrissement.

 

L’impact sur les masses laborieuses et pauvres

Les conditions de vie des masses pauvres et laborieuses allèrent de mal en pis. Les licenciements provoqués par les fermetures d’usines et par les coupes budgétaires se comptèrent par millions, le chômage et le sous-emploi s’accrurent, gonflant le secteur informel. Parallèlement, les paysans étaient continuellement chassés de leurs terres par la pauvreté et par la faim, à un rythme de 400 à 600 par jour selon les années.

Une grande partie de la population active se retrouve sans travail régulier ou sans emploi stable. Pour survivre ils sont forcés d’accepter des petits boulots, de vivre d’expédients, de mendicité ou de commettre des délits. Cela a généré un énorme secteur informel et une gigantesque économie souterraine. Selon le recensement de 1970, 747 000 Mexicains, soit 5 % de la population active, travaillaient dans le secteur informel. En 1990, ce nombre avait crû jusqu’à atteindre huit millions de personnes, soit 30 % de la population active.

En 2007, sur une population de 106 millions de personnes, on en compte moins de 14 millions qui disposent d’un emploi régulier donnant droit à une couverture médicale et à une pension. De plus, les entreprises profitent des crises et de ce manque d’emplois décents pour imposer des salaires de misère.

Les salaires n’ont cessé de baisser. Selon l’Organisation Internationale du Travail, entre 1991 et 2004, le pouvoir d’achat des salaires réels dans le secteur manufacturier a diminué de moitié. Quant au salaire minimum, il est en 2007 de 4,25$ par jour, soit un pouvoir d’achat quatre fois moindre qu’il y a 30 ans.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que les grandes multinationales n’ont pas créé d’emplois. Au contraire, elles en ont créé beaucoup, en commençant par une base industrielle orientée vers l’exportation située dans la zone frontalière, les maquiladoras. Les maquiladoras sont des usines possédées par des firmes étrangères, les plus grandes d’entre elles le sont par des multinationales américaines. Elles importent des produits semi-finis (pièces détachées) sans droits de douanes, elles les assemblent pour en faire des produits finis et les réexportent vers les États-Unis. Au total, elles emploient plus d’un million de travailleurs. En 2007, l’entreprise américaine qui dispose de la présence la plus importante est l’équipementier automobile Delphi, qui possède 54 usines employant 68 000 personnes.

La véritable question est la sorte d’emplois que créent ces entreprises. Elles engagent principalement des jeunes femmes issues des régions intérieures du Mexique dont c’est, pour la plupart, le premier emploi. Elles les payent 45$ (30 euros) la semaine, environ le double du salaire minimum au Mexique. Bien que la paye soit un peu plus élevée, cela ne compense pas le coût élevé du logement, de la nourriture, de l’eau et de l’électricité dans les villes frontalières. En plus de cela, les taudis dans lesquels vivent les travailleurs sont très pollués, insalubres et souvent dangereux.

Bien qu’ils aient désespérément besoin d’un travail, la plupart des travailleurs des maquiladoras quittent leur emploi dans l’année. Même les entreprises admettent que le roulement de la main-d’œuvre dépasse les 100 % par an.

Pour résumer, ce que les grandes entreprises américaines ou autres appellent la « modernisation » et la « restructuration » de l’économie mexicaine consiste à imposer des conditions de vie et de travail pareilles à celles qui prévalaient il y a un siècle.

Ce sont précisément les mêmes dirigeants des sociétés et du gouvernement américains qui dénigrent l’immigration qui ont imposé la domination impérialiste américaine au Mexique et les conditions qui poussent les gens à fuir le pays. Et il faut ajouter que lorsque les Mexicains arrivent aux États-Unis, ce sont ces mêmes dirigeants qui déclarent ces immigrés « illégaux » et qui se servent de ce statut pour les priver de la plupart de leurs droits en ce qui concerne en particulier le droit du travail et l’accès aux allocations sociales afin de les exploiter dans des emplois mal payés.11

 

 

Les électeurs cassent le PRI

En remportant le 2 juillet 2000, l'élection présidentielle mexicaine, Vicente Fox, leader du PAN (Parti d'Action Nationale, parti de droite proche du monde des affaires) a mis fin à 71 années de règne sans partage du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), qui se disait héritier de la révolution qui, par vagues successives, secoua le Mexique de 1910 à 1940.

Le PAN l'emporte en effet avec 43 % des voix devant le candidat du PRI, Labastida (35,5 % des voix) et le Parti de la Révolution Démocratique (PRD, parti de centre-gauche de Cuauhtemec Cardenas), qui obtient 16,5 % des voix.

Le PRI a régné longtemps en entretenant une relation populiste et démagogique avec les ouvriers et les paysans. Mais en donnant le signal de la libéralisation de l'économie, pour l'ouvrir à l'économie mondiale, il a en partie liquidé lui-même les mécanismes qui avaient contribué dans le passé à le faire bénéficier des voix populaires.

Le Mexique est loin d'être remis de ce qu'on a appelé l'effet " tequila ", c'est-à-dire la chute de l'économie mexicaine entraînée par la spéculation financière qui avait fait chuter de 6,2 % le produit intérieur brut en 1995. Sur 97 millions d'habitants en l'an 2000, on dénombre en effet 43 millions de pauvres, selon les critères des Nations Unies. La politique menée par l'État mexicain pour sortir de cette crise financière a été dévastatrice. Elle a entraîné l'accroissement du chômage (il n'est alors officiellement que de 3 à 4 % mais ne recense ni les millions de personnes survivant avec un emploi précaire, ni les paysans qui émigrent entre semailles et récoltes). En 1995, des faillites d'entreprises avaient détruit 800 000 emplois. Et les emplois créés depuis ont été notoirement insuffisants, représentant 40 % des emplois nécessaires pour absorber les nouveaux venus sur le marché du travail.

Parallèlement, les salaires ont été rognés par l'inflation : celle-ci a amputé de 25 % le pouvoir d'achat en cinq ans. Les salaires réels ont chuté de l'indice 100 en 1994 à l'indice 75 en 1999. 40 % des Mexicains survivent avec un salaire minimum (et 21 % avec deux). Celui-ci est notoirement insuffisant pour couvrir les besoins élémentaires ; il existe aussi une disparité régionale. Si dans le nord du pays, le salaire minimum ne concerne que 15,6 % de l'ensemble des salariés, il en intéresse 60 % dans les États du sud. En 1995, cette aggravation des conditions d'existence avait entraîné une vague de grèves, mais celle-ci est retombée. Et, tandis que le PRI continuait de démanteler le système des syndicats verticaux par l'intermédiaire desquels il avait longtemps établi sa loi, celui-ci a été plus souvent remplacé par des syndicats-maison contrôlés par les patrons que par des syndicats lutte de classe, la peur du chômage jouant à plein dans cette transformation.

En 1997, le PRI a lancé un programme de compensation sociale, composé principalement d'allocations financières versées aux mères pour assurer la nourriture de la famille, les soins aux enfants et le maintien à l'école. En 2000, 56,7 % des Mexicains souffrent de malnutrition (contre 47,6 % cinq ans auparavant).

Le PRI, ayant supprimé plusieurs verrous qui protégeaient un peu l'économie mexicaine des turbulences de l'économie mondiale, a engendré un appauvrissement et une régression sociale qu'il ne pouvait que finir par payer sur le plan électoral. N'a-t-il pas été jusqu'à entamer, en 1992, la liquidation du système de l'ejido, cette communauté agraire, fruit de la Révolution mexicaine, qui permettait aux paysans de disposer de l'usufruit de la terre. Un changement constitutionnel a en effet permis qu'il devienne plus facile à des entrepreneurs capitalistes, en quête de terres, de pouvoir conclure un marché avec la communauté agraire, bien sûr à son détriment. Il reste encore quelques garde-fous. L'État mexicain hésitait encore à privatiser l'ensemble du secteur pétrolier mais, sans mobilisation populaire, ce n'était qu'un sursis.

Vers qui pouvaient se tourner les masses mexicaines en quête d'un changement ? Ces dernières années, elles ont cherché d'abord du côté du PRD, mais celui-ci, dont la plupart des cadres sont issus du PRI, est souvent apparu comme un PRI-bis. Sa gestion de Mexico, ville gigantesque livrée au capitalisme sauvage, n'a pas convaincu. Ni la corruption, ni la délinquance, quand elle ne venait pas des responsables du PRD eux-mêmes, n'ont été éradiquées. Le PRD a surtout montré qu'il n'était pas moins clientéliste qu'un PRI, dont la population voulait se débarrasser. Rejetant l'original et la copie, ils se sont tournés vers le PAN.

Vicente Fox, sous les couleurs du PAN, personnage haut en couleur, venu tardivement à la politique, ancien PDG de Coca-Cola Mexique, a voulu montrer qu'on peut faire fonctionner un État, en l'occurrence le Guanajuato dont il est devenu gouverneur en 1995, comme une entreprise. Et, dans sa campagne, il a su faire rêver une partie de l'électorat de droite et en partie populaire qu'il pourrait en faire autant avec le Mexique.

La partie de cet électorat populaire qui nourrissait des illusions sur Fox devait se préparer à des déconvenues. Avec le PAN comme avec ou sans le PRI, les classes possédantes du Mexique, qui ces dernières années ont inscrit plusieurs milliardaires dans le top-50 des super-riches de la planète, entendent continuer à faire peser tout le poids de leur restructuration économique sur les épaules des ouvriers et paysans pauvres. Ils y ajouteront maintenant la réorganisation de l'État mexicain.12

 

 

L’exode

Il y a déjà fort longtemps que des Mexicains émigrent aux États-Unis à la recherche d’un emploi. Mais par le passé ils ne s’installaient pas en permanence aux États-Unis ou ne cherchaient pas à obtenir la nationalité américaine. Ils travaillaient simplement aux États-Unis assez longtemps pour gagner et mettre de côté un peu d’argent et retournaient ensuite au Mexique. Nombre d’entre eux le faisaient plusieurs fois au cours de leur vie.

Le nombre de personnes qui émigraient du Mexique a explosé au début des années 1980. En plus, une partie importante de ceux-ci quittèrent le pays pour de bon.

Les chiffres sont éloquents. Jusqu’aux années 1980, à peu près deux millions de Mexicains avaient émigré vers les États-Unis. 25 ans plus tard, ce nombre s’élevait à douze millions. Le fait que la proportion de sans-papiers dans la population immigrée mexicaine ait grimpé, de 10 % au début des années 1980 à plus de 90 % depuis la fin des années 1990 et jusqu’en 2004, indique à quel point la situation est désespérée.

Il est clair que le fait qu’une plus grande partie des immigrés mexicains reste aux États-Unis s’explique par la politique d’immigration américaine. L’augmentation massive de la présence de la police le long de la frontière a rendu le franchissement de cette dernière plus difficile et plus coûteux. Cela a réduit considérablement la circulation de la main-d’œuvre le long de la frontière.

Mais ce qui fait du retour au Mexique une option impensable, c’est l’appauvrissement et la misère du Mexique lui-même.

Les Mexicains quittent les régions de l’intérieur comme le Guanajuato, le Zacatecas, le Jalisco et le Michoacán qui ont été à l’origine d’émigrations vers les États-Unis depuis plus d’un siècle. Mais maintenant les gens viennent aussi des régions les plus pauvres du sud du pays -Pueblo, Guerrero, Vera Cruz, Oaxaca et même Chiapas.

Dans les régions où l’émigration est la plus importante, l’impact est visible. Plus de la moitié de la population originelle de l’État de Zacatecas vit maintenant aux États-Unis. Dans certaines régions vidées de leur population, on ne trouve guère que des villes fantômes. Il y a aussi des vastes étendues de terres agricoles abandonnées ou laissées en friche car on ne trouve plus de main-d’œuvre pour les travailler.

C’est un fait établi que la partie de la population mexicaine qui quitte le pays provient du cœur même de la population active mexicaine. Une étude du Pew Hispanic Center a révélé que ceux qui quittent le Mexique ne sont pas les chômeurs. Ce sont des travailleurs qui ont quitté un emploi dans la construction, l’industrie ou la distribution, ou, pour une plus faible proportion d’entre eux, dans le secteur traditionnel de l’agriculture. Ils sont de plus en plus jeunes, plus qualifiés et possèdent un niveau d’éducation plus élevé que celui de la plupart des Mexicains, bien qu’il ne soit pas aussi élevé que celui des travailleurs aux États-Unis.

Dans un laps de temps relativement court, près de 10 % de la population mexicaine sont partis aux États-Unis. Selon une étude, le Mexique devrait avoir en 2007 une population de 128 millions d’habitants si les immigrants (en comptant leur progéniture) étaient restés au Mexique.

Cette perte est amplifiée car ceux qui partent constituent la partie la plus productive de la main-d’œuvre mexicaine, celle qui est plus jeune, mieux qualifiée et disposant d’un meilleur niveau d’éducation. Ceux qui représentent une grande partie de l’avenir du Mexique quittent le pays. Cela constitue une perte énorme pour la société et l’économie mexicaines.

 

Émigration : le gouvernement mexicain met de l'huile dans les rouages...

Bien qu’elle soit coûteuse pour la société mexicaine, le gouvernement n’a rien fait pour stopper ou même pour ralentir l’émigration. Bien sûr la seule réponse aurait été de payer des salaires décents, ce dont il n’avait pas les moyens même s’il l’avait voulu, ce qui n’était pas le cas. Évidemment la bourgeoisie américaine a clairement montré qu’elle comptait sur la réserve de main-d’œuvre abondante et vulnérable du Mexique comme source importante de ses profits dans de nombreux secteurs économiques. Si le gouvernement mexicain avait fait de sérieuses tentatives pour s’opposer à l’émigration, en encourageant les personnes à rester pour construire le Mexique, les États-Unis auraient pris cela comme un geste de défi et auraient trouvé un moyen de lancer des représailles à son encontre.

Au lieu de cela, le gouvernement mexicain s’est simplement contenté d’essayer de garder des contacts avec les millions d’émigrés qui ont quitté le pays. Il a instauré la double nationalité, techniquement une « non-perte de la nationalité mexicaine » pour ceux qui acquièrent la citoyenneté américaine. Il a fait passer un amendement constitutionnel qui permet aux Mexicains à l’étranger de voter aux élections nationales. Les élections de 2006 furent les premières où les gens auraient pu bénéficier de cette mesure mais peu le firent étant donné qu’il fallait revenir dans son ancienne communauté pour pouvoir voter.

Vicente Fox, qui a pris ses fonctions de président en décembre 2000, a salué ceux qui émigraient vers les États-Unis comme des « héros ». Il s’est ensuite posé en défenseur des immigrés sans-papiers mexicains aux États-Unis en jouant le rôle d’homme de paille du président Bush pour rassembler les soutiens à « NAFTA-Plus », une nouvelle « réforme de l’immigration » qui n’était rien d’autre que la glorification d’un simple programme de « travailleur invité » (ndt : les « travailleurs invités » sont une force de travail sous condition : lorsque leurs contrats temporaires se terminent, ils doivent quitter le pays). Le premier effort pour faire passer cette « réforme » de l’immigration fut torpillé par la chasse aux sorcières contre les immigrants à laquelle s’est livré le gouvernement Bush suite aux attaques terroristes du 11 septembre. Mais lorsqu’en 2005 et 2006 le gouvernement Bush mit en avant ce qui revenait à un nouveau programme de « travailleur invité », Fox s’en fit encore une fois le complice.

Fox avait d’autres raisons pour collaborer avec le gouvernement Bush : la bourgeoisie et le gouvernement mexicains cherchaient à profiter, directement et indirectement, des Mexicains vivant à l’étranger.

Premièrement, il y avait les milliards de dollars que ces Mexicains vivant à l’étranger renvoient dans leur pays, des sommes qui ont augmenté avec l’émigration. En 2002, ces versements étaient proches de 16 milliards de dollars.

Pour la bourgeoisie, ces versements constituent une subvention indirecte. Cela lui permet de réduire encore plus les salaires, en comptant que le coup en serait amorti pour de nombreuses familles grâce à l’argent reçu des États-Unis.

Le gouvernement a également trouvé des moyens de demander de l’argent aux Mexicains vivant à l’étranger. Il a créé le 3-to-1 Community Program, un fonds commun au gouvernement fédéral, aux gouvernements des États fédérés et aux autorités municipales qui verserait le triple des dons versés par les émigrants pour des projets. Ceux qui versaient de l’argent pouvaient même choisir le projet qu’ils désiraient, qu’il s’agisse d’un projet d’infrastructure comme la distribution d’eau potable, de bourses d’éducation ou de la restauration des églises. Quelques-uns de ces projets portèrent sur l’amélioration des villages qui perdent leurs habitants ou qui sont presque vides.

Ce programme gouvernemental fut lancé par les Associations Mexicaines des Villes Natales aux États-Unis qui rassemblent plusieurs résidents américains originaires de certains villages et de certains États mexicains (ndt : le Mexique, dont le nom officiel est États-Unis mexicains, est un système fédéral). Les 600 associations de 26 États mexicains ont créé le Conseil des Fédérations de l’Amérique du Nord qui a déclaré en 2004 que ces associations avaient réalisé 1100 projets au Mexique. Pour ce faire, ces associations dirigeaient des collecteurs de fonds.

Ceci constituait également une subvention des émigrés au gouvernement car cela permettait à ce dernier d’éviter de payer lui-même pour ces projets. De plus, beaucoup de cet argent fut tout simplement détourné par les entrepreneurs engagés par le gouvernement pour réaliser ces projets.

Fox a également cherché des moyens pour régulariser certaines activités des émigrés mexicains aux États-Unis, en particulier en relançant le vaste programme de carte d’identité vieux de 131 ans appelé le matricula consular (aussi connu sous le nom de matricula). Le matricula, délivré par le réseau des 47 consulats mexicains aux États-Unis, a constitué un moyen de garder la trace de la population émigrée et... de percevoir des impôts.

Mais après le 11 septembre 2001, l’usage de cette carte s’accrut de manière considérable. D’abord du fait des menaces que les politiques de l’après-11 septembre poursuivies par le gouvernement américain faisaient peser sur les immigrés sans-papiers. Les cartes servaient de papiers officiels d’identité que les sans-papiers pouvaient utiliser pour se faire identifier.

Les cartes furent également utilisées pour insérer les sans-papiers dans le système financier, c’est-à-dire pour leur faire payer des taxes aux États-Unis et pour leur ouvrir des comptes en banque et leur faire obtenir des cartes de crédit auprès de banques, y compris de géantes comme Citibank, Bank of America, US Bankcorp et Wells Fargo. En 2003, la Wells Fargo a estimé qu’elle avait utilisé la matricula pour ouvrir plus de 70 000 comptes depuis qu’elle avait accepté cette carte en novembre 2001.

Pour le gouvernement mexicain, ces comptes en banque permettaient surtout de rendre plus faciles et moins coûteux les versements des émigrés vers le Mexique. C’était aussi une source de profits pour les grandes institutions financières américaines et le moyen pour les deux gouvernements de percevoir des impôts.

Donc, bien que la société mexicaine ait souffert du bouleversement causé par cet exode massif, la bourgeoisie mexicaine, pour ne pas parler des structures financières américaines, trouva un moyen d’en profiter. Et bien qu’un grand nombre de ces travailleurs mexicains aux États-Unis ne se trouvaient pas dans une situation légale sur le plan de leurs droits, les gouvernements mexicain et américain ont trouvé des moyens de les « légaliser » en ce qui concerne le dépôt de leur argent et le paiement de leurs impôts.13

 

 

Élections présidentielle et législatives mexicaines de 2006

Les élections se sont déroulées le 2 juillet 2006 et elles ont été entachées de nombreuses irrégularités. Après quatre jours de suspense, Felipe Calderón, le candidat du PAN est proclamé vainqueur avec 36,69 % des voix, contre 36,09 % pour Andrés Manuel López Obrador, le candidat du PRD. Ce dernier a fait appel, sans succès. Ce résultat fabriqué fut entériné par l'Institut fédéral électoral (IFE), censé empêcher la fraude mais y prenant sa part. Cette fraude engendra un profond mécontentement populaire dans les rues de Mexico. Plusieurs manifestations massives de soutien à Obrador parcoururent les rues de la ville. Dans la ville d'Oaxaca, une région très pauvre, le mécontentement contre le PRI et le PAN prit un tour insurrectionnel. Il fallut des mois pour qu'un mouvement qui avait commencé par une grève d'enseignants, que la répression avait élargie à l'ensemble de la population et étendu aux villes voisines, rentre dans le rang.

Le second sextennat du PAN aggrava encore la situation des classes populaires. Les privatisations successives multiplièrent le nombre des chômeurs. Le Mexique a été emporté dans la crise mondiale de 2008. Mais le fait le plus marquant des douze années de règne du PAN fut la montée en puissance des cartels de la drogue avec ce qui l'accompagne, l'explosion de la violence.14

 

Lutte contre le crime organisé

La lutte contre les activités des narcotrafiquants constitue une préoccupation majeure au Mexique. Le nouveau président, Felipe Calderón, a décidé d'engager les forces militaires dans le combat contre les cartels de la drogue et a défini le combat contre ces gangs comme l'une des principales priorités de son administration. Cependant, sur ce point, le bilan de Calderón a été mitigé. Au cours des cinq dernières années (2007-2011), les violences liées aux narco-trafiquants ont fait plus de 55 000 morts au Mexique, notamment dans les villes du nord du pays. L'Institut national de statistiques et géographie avance des chiffres bien plus élevés en 2012 : 27 199 homicides ont été enregistrés en 2011 et pour les années 2007-2011, le total s'élèverait à 95 632 assassinats. La politique menée par le président Calderón - qui consistait à attaquer frontalement les bandes criminelles - n'ayant pas été concluante.15

En mai 2012, Calderón a reconnu que la corruption avait permis la pénétration du crime organisé au sein des institutions. 80 % des municipalités seraient sous son emprise. Il faut dire que les moyens financiers des cartels sont illimités : ils dépassent largement le budget de la Défense. Ce cancer, limité au départ à deux États, s'étend maintenant à plusieurs autres, y compris Mexico.

Le discrédit de Calderón, rendu impopulaire par les conséquences de son prétendu combat contre la drogue, déclencha une crise au sein du PAN qui ne parvint pas à imposer un successeur. Et Vicente Fox accepta finalement un partenariat avec le candidat du PRI à l'élection présidentielle, Enrique Peña Nieto16. Ce dernier remporta l'élection présidentielle de 2012. Son mandat fut notamment marqué par une nouvelle orientation stratégique de la sécurité intérieure.

En 2013, sous Peña Nieto, le Mexique a enregistré une baisse de 17 % du nombre d'assassinats. Le 11 mai, les homicides ont baissé de 18 % en cinq mois, ce qui représente 2000 morts en moins sur cette période. Les six premiers mois du mandat du président Peña Nieto ont ainsi été marqués par une baisse de près de 20% des décès liés au crime organisé. Le 22 août 2014, le président met sur pied une nouvelle gendarmerie nationale dont les missions sont principalement axées sur la répression des bandes criminelles. Peña Nieto s'est aussi illustré par un fait divers d'envergure : l'arrestation en 2013 de Miguel Treviño, le chef des Zetas, le plus puissant gang du Mexique. La ville de Ciudad Juarez, après être devenue la capitale mondiale du crime, a enregistré en 2011 une baisse de près de 60 % de son nombre d'homicides.17

 

 

Un État mafieux

« Le Mexique ne peut pas continuer ainsi après Iguala », a déclaré Enrique Pena Nieto en annonçant un plan en dix points pour lutter contre le crime organisé. Au même moment, des tests ADN sur un des cadavres retrouvés dans la ville d'Iguala ont confirmé qu'il s'agissait bien d'un des 43 étudiants disparus depuis septembre 2014.

Le massacre de ces 43 élèves-instituteurs par un gang qui entretenait des liens avec la police, mais aussi avec la municipalité, a révélé au monde entier l'ampleur de la corruption dans ce pays où les politiciens des trois principaux partis, le PRI, le PAN et le PRD, mais aussi une partie de la police et de l'armée, sont notoirement corrompus par l'argent de la drogue.

La revue Forbes publie régulièrement des classements des grandes fortunes mondiales où figure Carlos Slim, multimilliardaire mexicain de la téléphonie, mais il lui est arrivé d'y faire entrer un certain Guzman, un des principaux parrains mexicains de la drogue.

Ce massacre montre que, outre la corruption, la population subit une véritable terreur des gangs mais aussi des forces répressives de l'État, notoirement dans les États de la frontière nord avec les États-Unis, mais aussi au sud, là où le massacre d'Iguala a eu lieu.

De 1929 à 2000, le Mexique a vécu sous le régime du parti unique. Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) encadrait la population en s'appuyant sur des organisations syndicales ou corporatistes. L'État intervenait dans l'économie, tout en favorisant les multinationales, notamment nord-américaines, leur proposant une main-d'œuvre très bon marché et donc surexploitée. Malgré les importantes ressources du Mexique, malgré une semi-industrialisation, la pauvreté y est très forte. Parmi les quelque 120 millions de Mexicains, des millions cherchent un sort meilleur aux États-Unis.

En outre, l'État mexicain n'a jamais hésité à réprimer les mouvements sociaux dont il perdait le contrôle. Ainsi furent réprimées la grève des cheminots de 1958-1959, dont les dirigeants furent jetés en prison pour des années, la guérilla paysanne de Ruben Jaramillo, assassiné en 1962, ou la grève des étudiants de 1968, massacrés à Mexico, sur la place des Trois-Cultures.

Usé par le pouvoir dans les années 1990, le PRI aida le PAN, parti de droite lié à l'Église, à lui succéder. Les douze années de gouvernement du PAN (2000-2012) ont été marquées par une montée en puissance des cartels de la drogue. Calderon, chef du PAN élu en 2006 à la présidence, prétendit lui aussi combattre le crime organisé, mais au final l'argent de la drogue a inondé les quartiers pauvres, corrompu les responsables et inondé les circuits bancaires. En même temps, Calderon s'attaqua aux travailleurs qui résistaient à sa politique antiouvrière, notamment au syndicat des électriciens.

Ces années ont donc été marquées par de nombreux affrontements armés auxquels participèrent police, armée et cartels. La population civile en a payé le prix fort. On parle d'au moins 22 000 « disparus ». Le massacre des 43 étudiants n'est qu'un de plus dans le tribut que la population mexicaine paye depuis longtemps à un État mafieux, sans qu'il ait été possible bien souvent, après la découverte de tel ou tel charnier, de discerner qui, des forces de répression de l'État ou des gangs, en était responsable.

Le retour du PRI aux affaires en 2012 n'a pas fait disparaître la corruption et la violence. Si Pena Nieto voulait calmer la colère qui s'exprime, pas plus que ses prédécesseurs il n'est en mesure de mettre un terme à la corruption et à la violence qui gangrènent le pays et qui d'ailleurs ont en partie assuré son élection.

Au moment où le président mexicain se préparait à brader le secteur énergétique et cherchait à attirer des capitalistes pour un nouveau dépeçage, cette affaire le gênait un peu. Heureusement pour lui, les investisseurs n'ont jamais été regardants. Il y a déjà longtemps qu'un dirigeant nord-américain avait expliqué qu'il revenait à l'État mexicain de se charger des basses besognes, ce qui permettait à d'autres de s'occuper des profits.18

 

 

Entre glorifications et silence médiatique

Les médias occidentaux nous ont habitués à dépeindre les nations latino-américaines de manière binaire et manichéenne. Il y aurait selon les grands médias comme Le Monde ou El Pais des gentils et des méchants. Des démocrates et des despotes. Des dirigeants réalistes et des utopistes. Bref, des « analyses » journalistiques souvent biaisées, incomplètes et très souvent mensongères. Dans ce flot médiatique ininterrompu, un pays bénéficie d'un traitement de faveur particulier, c'est le Mexique ! Et pour cause ! Depuis que le pays s'est engagé voilà plus de trente ans sur la voie néolibérale, il n'a cessé d’être encensé par la presse et les gouvernements occidentaux. Libéralisation de l'économie, soumission aux États-Unis, privatisation à marche forcée... Le cocktail du FMI et de la BM a été appliqué à la lettre et ce pour le plus grand bonheur des marchés financiers et des investisseurs étrangers.

 

L’inféodation du Mexique aux multinationales étrangères a atteint son paroxysme lorsque le 20 décembre 2013, le président Enrique Pena Nieto annonça une reforme constitutionnelle dans le but de privatiser le pétrole du pays au profit d’entreprises étrangères. Pemex, l’entreprise d’État qui conservait jusqu’alors un monopole sur ce pétrole fut vidée de sa substance et reconvertie en vulgaire sous-traitant du ministère de l’énergie.

Lazaro Cardenas, père de l’État moderne mexicain et qui avait fait du pétrole un bien national inaliénable en écartant les multinationales prédatrices en 1938 a sans doute dû se « retourner dans sa tombe ». Comme vous pouvez l’imaginez, cette décision a provoqué un flot ininterrompu d’applaudissements et de félicitations de la part des multinationales, des marchés financiers, des gouvernements occidentaux et sans oublier des médias. Une nouvelle chasse au pétrole était désormais ouverte. Le Washington Post dans son éditorial du 16 décembre 2013 saluait avec enthousiasme cette réforme du président mexicain :

« Alors que l’économie du Venezuela implose, et que la croissance du Brésil stagne, le Mexique est en train de devenir le producteur de pétrole latino-américain à surveiller et un modèle de la façon dont la démocratie peut aider un pays en développement ».

Ou encore le Financial Times qui chantait les louanges de cette initiative du président : « le vote historique du Mexique en faveur de l’ouverture de son secteur pétrolier et gazier aux investissements privés, après soixante-quinze ans de soumission au joug de l’État ».

Faire du pétrole, ressource stratégique mondiale un bien public au service du peuple s’apparente selon le Financial Times à « une soumission au joug de l’État ». Pas très étonnant au fond de la part d’un journal libéral. Mais il aurait quand même pu s’efforcer de montrer le développement impulsé par l’État après que ce dernier ait pris les rênes de l’industrie pétrolière. Ce fait important dans l’histoire du Mexique a été passé aux oubliettes.

Sur le plan économique, afin de justifier sa décision de privatiser le pétrole, l’argument du président Nieto a consisté à répéter ce que disent constamment les libéraux quand il s’agit de privatiser des pans entiers du secteur public. « L’État n’a plus les moyens », « il faut dégraisser le mammouth » en l’occurrence l’État mais aussi et toujours « L’État n’est pas compétent », il faut donc transférer ses activités au secteur privé, plus efficace et qui investira plus nous dit-on.

Mais ces arguments relèvent souvent du mythe. En Argentine par exemple, après que le président Menem eut décidé la privatisation de l’entreprise nationale pétrolière Yacimientos Petroliferos Fiscales (YPF) au profit du géant espagnol Repsol, très actif en Amérique du Sud. Bilan de cette privatisation : désinvestissement au profit d’une hausse des dividendes versés aux actionnaires, augmentation des prix, déficit de la balance énergétique...
Ce qui en avril 2012 a poussé la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, réélue avec 54 % des voix l’année précédente à exproprier 51 % des actions d’ YPF et ce avec l’objectif de rééquilibrer la balance énergétique puis commerciale du pays et d’œuvrer au développement de la nation albiceleste grâce à l’argent des exportations. Sans surprise, les médias sont montés au front comme le Financial Times qui applaudissait la privatisation au Mexique et qui là qualifiait cette expropriation d’acte de « piraterie ». Le gouvernement espagnol de son coté, enragé, a qualifié cette décision d’ « arbitraire » et a menacé l’Argentine de représailles. Le deux poids, deux mesures... Un exemple parmi d’autres qui montre la duplicité des médias.

Mais revenons au Mexique. L’enchantement exprimé par la presse capitaliste à l’égard des politiques néolibérales imposés dans la nation aztèque s’accompagne d’un profond silence à propos des impitoyables violations des droits de l’homme. Dans son éditorial cité plus haut, le Washington Post faisait l’éloge de la « démocratie » mexicaine, qui serait selon le journal un atout pour le « développement » du pays. Les médias dominants occidentaux sont-ils vraiment les mieux placés pour parler de démocratie ? Certainement pas. Allons voir la fameuse « démocratie » mexicaine de plus près. Tout d’abord, s’agissant de la privatisation du pétrole, notons que le président Nieto n’a aucunement consulté son peuple sur une réforme pourtant capitale pour l’indépendance économique du Mexique. L’esprit démocratique aurait été d’organiser un référendum sur cette ignoble privatisation. Au lieu de ça, un vote vite fait bien fait à l’Assemblée Nationale et le tour était joué.

Cette réforme faite dans le dos du peuple par une élite politique qui rassemble les trois principaux partis sous le nom de « Pacte pour le Mexique » a une nouvelle fois mis en lumière l’atomisation du débat public et le mépris croissant des élites à l’égard du peuple. Car comme le souligne John Mill Ackerman, chercheur à l’institut de recherches juridiques de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), le « Pacte a simultanément approfondi le fossé entre le monde politique et la société ». Cette privatisation du pétrole a nourri beaucoup de colère chez le peuple mexicain. Car celle-ci profitera qu’à deux camps : les multinationales étrangères et l’oligarchie politico-économique nationale au pouvoir. L’enquête annuelle Latinobarometro confirme la tendance autocratique qu’a pris la démocratie mexicaine. Elle révélait en 2013 qu’à peine 21% des Mexicains jugeaient être « satisfaits » de leur démocratie...le pire résultat en Amérique Latine.

Ça, le Washington Post se passe de le dire. Tout comme ce silence sur les relations qu’entretiennent les partis dominants avec les cartels de la drogue. Le massacre des 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa à Iguala dans l’État de Guerrero est un exemple frappant qui démontre la complicité entre le pouvoir d’État et le pouvoir des cartels. Alors que les étudiants qui avaient manifesté pour la survie de leur école se trouvaient à bord d’un bus, ils furent arrêtés par la police puis emmenés dans un lieu secret pour être remis à une organisation criminelle dans le but de les faire disparaître. Depuis maintenant plusieurs années, les étudiants des écoles normales rurales luttent sans relâche pour faire vivre leurs écoles. En effet, le désengagement de l’État dans les services publics menacent la vie de ces institutions. Des écoles nées au lendemain de la grande révolution mexicaine de 1910-1917. Leurs créations eurent pour objectif d’offrir aux jeunes issus des campagnes l’opportunité de poursuivre des études universitaires. Mais également de permettre aux jeunes instituteurs issus de la classe paysanne de pouvoir enseigner. Ces écoles qui ont une empreinte importante dans la société mexicaine ne cessent de recevoir les foudres des néolibéraux qui veulent faire de l’école non plus un bien public pour tous mais une marchandise comme une autre.

 

L’État terroriste mexicain a ainsi fait appel aux criminels pour faire disparaître ces étudiants qui devenaient gênant et qui risquaient de contagionner le reste de la société mexicaine, fatiguée d’une caste politique corrompue et violente. Selon Rafael Barajas et Pedro Miguel, journalistes mexicains, la connivence entre le pouvoir politique et les barons de la drogue fait du Mexique un « narco-État ». Cet acoquinement entre les deux pouvoirs, intimement liés, s’explique notamment par leur dépendance mutuelle.

En effet, selon l’agence de sécurité Kroll, ce sont entre 25 et 40 milliards de dollars provenant de la drogue qui alimenteraient l’économie mexicaine. Un argent indispensable pour un État néolibéral où le secteur financier occupe une place prépondérante. Une somme plus importante que celles tirées des exportations de pétrole qui représente 25 milliards de dollars. L’État mexicain ne peut donc plus vivre sans cet argent provenant de la drogue. On comprend tout de suite mieux pourquoi l’impunité envers les organisations criminelles est de mise. Comme le souligne les journalistes mexicains, « les narcotrafiquants ne peuvent agir sans la coopération des hommes politiques et des fonctionnaires à tous les niveaux ». Et le président Nieto est loin d’être épargné. Une partie de la presse a en effet révélé le lien potentiel entre ce dernier et les narcotrafiquants. Il aurait reçu toujours selon les informations de la presse mexicaine des millions de dollars afin de financer sa campagne électorale, une des plus dispendieuses de l’histoire.

Enfin, notons la terrible répression policière et militaire qui s’abat en permanence sur ceux qui osent défier l’ordre injuste et violent qui prévaut au Mexique. Une des cibles privilégiées des différents pouvoirs en place a été les journalistes. Entre 2010 et 2015, plus de 100 d’entre eux ont été assassinés, 12 dans le seul État de Guerrero, là où ont disparus les étudiants.

Critiquer le pouvoir en place ou pire oser révéler ses liens avec les barons de la drogue, c’est s’auto-condamner à la mort. Être journaliste critique du pouvoir dans ce pays, c’est vivre avec la peur. La peur de l’enlèvement, le peur du viol, la peur de la mort. Dans un reportage réalisé par la chaîne d’information Telesur dans l’État de Guerrero, une journaliste témoigne :

« L’État de Guerrero est un État très compliqué. Tu peux être menacé par les narcotrafiquants, par le maire, par les militaires... Tu n’as aucune garantie », avant de dénoncer la complicité des médias dominants mexicains avec le pouvoir notamment au sujet d’Ayotzinapa : « La télévision est devenue le moyen par lequel le pouvoir se légitime ».

Aujourd’hui au Mexique, le simple fait de revendiquer tel ou tel droit en allant manifester est suffisant pour se retrouver soit derrière les barreaux soit dans une des centaines de fosses communes que l’on trouve dans le pays. L’insécurité règne et le pouvoir installe une peur quotidienne. Et les chiffres sont là :

57 899, c’est le nombre d’enquêtes préliminaires pour homicide volontaire ouverte depuis l’arrivée au pouvoir d’Enrique Pena Nieto le 1er décembre 2012. Le nouveau président mexicain est lui un habitué des répressions. Lorsqu’il était gouverneur de l’État de Mexico, il avait donné l’ordre en 2006 de mater les manifestants de San Salvador Atenco qui luttaient pour ne pas être expulsés de leur terre. Cette violence impitoyable s’applique également envers ceux (qui ne pensent pas ou) qui osent montrer leur désaccord politique et idéologique avec le pouvoir en place. En août 2014, l’organisation Nestora Libre qui défend les prisonniers politiques a annoncé que plus de 350 personnes avaient été mis derrière les barreaux depuis décembre 2012, et ce pour des motifs politiques.

Face à ce constat alarmant, doit-on encore considérer le Mexique comme un pays démocratique où règne un État de droit ? Cet État terroriste, présidé par un homme tout aussi violent et cruel ne semble pas déranger certains présidents occidentaux. En effet, la France lui a remis la grand-croix de la Légion d’honneur. Elle faisait ainsi honneur à la politique néolibérale impulsée par le président Nieto. Comme dans le cas du Pérou qui s’est montré très complaisant avec les multinationales, la France tout comme la majorité des pays impérialistes et néocoloniaux a décidé de fermer les yeux sur les atrocités qui secouent le Mexique. La presse également même si elle a évoqué les événements d’Ayotzinapa, est restée discrète sur les liaisons qui unissent l’État mexicain et les narcotrafiquants. Cela signifie la chose suivante : tant qu’un pays sert les intérêts économiques, énergétiques, géopolitiques des multinationales, alors il pourra commettre les pires exactions, assassiner à tout va, torturer comme bon lui semble, emprisonner arbitrairement, il ne sera jamais épinglé par ni par les gouvernements ni par les médias occidentaux.

Comme l’affirmait le secrétaire d’État états-unien Henry Kissinger : « les grandes puissances n’ont pas de principes, juste des intérêts ». Le cas du Mexique en est le parfait exemple.19

 

 

Comment en est-on arrivé la ?

Depuis quelques années, le Mexique occupe de plus en plus d’espace dans la chronique de nos médias : narcotrafic, immigration, violence, décapitations, disparitions d’étudiants etc. Comme d’habitude s’opère une occultation systématique des véritables origines de cette situation. Pourquoi ? Que se passe-t-il réellement au Mexique ? Quelles sont les forces maîtresses de ce « jeu », et surtout, quels sont leurs intérêts ? Afin de décanter cette situation d’embrouille, nous nous sommes entretenus avec le sociologue mexicain Luis Martinez Andrade, fin connaisseur de la situation sociale et politique de son pays.

 

Pouvez-vous nous dresser un bilan de l’histoire et du développement des mouvements sociaux au Mexique ?

Pour commencer, il est important de souligner que le Mexique a une large tradition de mouvements sociaux depuis son indépendance. Pendant la révolution de 1910, ces mouvements acquièrent des nouvelles teintes, et en leur sein, différentes tendances voient le jour. Il y a par exemple, la tendance plus « paysanne et zapatiste » dans le sud du pays, une autre tendance au nord, qui s’inspire du révolutionnaire Pancho Villa, et il existe aussi une tendance anarchiste avec l’influence des frères Flores-Magon.

Avec la formation de l’État mexicain, on assiste à un développement, dit-on, favorable aux mouvements sociaux : il y a une reforme agraire, les mouvements gagnent la bataille pour certains droits sociaux (la journée de 8h par exemple). C’est ainsi qu’au Mexique, on peut observer les caractéristiques d’un État social bien avant la révolution russe de 1917.

Cependant, avec la consolidation du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) un nouveau pacte social voit le jour, accompagné par la recomposition d’une nouvelle élite qui prend la place de l’élite familiale prérévolutionnaire. Au Mexique, on parle de la « révolution trahie » ou « volée ».

Les communautés indigènes qui plaidaient pour plus de représentation, sont écartées du pouvoir, tout comme les communautés paysannes les plus vulnérables ou encore les partis de la gauche révolutionnaire. Le PRI va consolider ce que Gramsci appellerait un « bloc hégémonique », où les groupes subalternes vont adopter l’apparat étatique pour essayer de s’emparer des revendications sociales, tout en conservant dans le même temps, un caractère fortement réactionnaire. C’est ainsi que s’est construit un imaginaire collectif d’ascension sociale au sein des communautés indigènes, qui, dans les faits, n’a jamais cessé d’être que fictif.

Face à cette situation, on voit surgir une forme de résistance populaire qui ira jusqu’à la guerre et plus précisément, jusqu’à la guérilla, notamment dans le sud du pays, la partie la plus pauvre du pays et à majorité indigène. Mais cette guérilla se répand aussi en zone urbaine. Le commandant Marcos par exemple, construit le début de sa carrière au sein de groupes de guérilleros urbains, pour après, émigrer vers des zones plus rurales et essayer de mener une révolution guevariste (d’Ernesto Che Guevara) par la création de foyers de guérilla révolutionnaires.

Aujourd’hui, grâce au mouvement zapatiste, le peuple mexicain est en train de se rendre compte que différentes façons de s’organiser sont possibles, qu’un autre modèle est envisageable. Et cela est certes, une note positive. Mais ce dont le Mexique a besoin aujourd’hui c’est d’un grand front commun, anti-néolibéral, anticapitaliste, progressiste et émancipateur. Mais il n’y a pas de canalisateurs, il faut donc une structure d’organisation bien définie, et cela prendra du temps.

 

D’un point de vue politique, économique et social, comment en est-on arrivé à la situation dramatique d’aujourd’hui ? Comment un pays aussi riche en ressources naturelles, et pouvant compter sur des mouvements sociaux nombreux et bien structurés, est devenu un pays détruit par la violence, la pauvreté, le narcotrafic etc. ?

Il y a deux phénomènes parallèles qui peuvent nous aider à comprendre cette situation. Le premier élément, c’est le rôle des États-Unis, qui depuis le coup d’État organisé au Guatemala contre le président Arbenz, en 1954, n’ont jamais cessé d’intervenir en Amérique latine, directement ou indirectement, là où leurs intérêts étaient menacés. La force et la violence d’intervention des USA à l’égard de l’Amérique latine, et du Mexique plus en particulier, ne sont pas discutables, c’est un fait établi. Le deuxième élément, c’est le développement du néolibéralisme, impulsé également par les USA et les instances financières internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale. Cette période commence à la fin des années 70 – début des années 80, avec une vague de privatisations des entreprises publiques, justifiée par le mythe qu’une entreprise publique ne peut pas être rentable si elle est étatique. L’iceberg de cette dynamique est la signature du traité de libre-échange en 1994 avec les USA et le Canada : l’ALENA (Accord de Libre-échange Nord-Américain).

La privatisation commence avec les grandes banques publiques et la grande entreprise publique de téléphonie, ouvrant la porte au développement d’une classe managériale qui va s’enrichir énormément au cours des dernières années, opposée à un peuple en voie de paupérisation en raison des mesures d’austérité imposées par les programmes d’ajustement structurel du FMI/Banque Mondiale.

Dans ce contexte on doit se rappeler des enseignements du penseur marxiste Louis Althusser quand il analyse les apparats idéologiques de l’État. Il analyse la façon dont les individus se sont pliés aux exigences de l’État néolibéral et comment, à travers le système éducatif étatique ou la télévision (qui sont des moyens de propagande idéologique de l’État), ils ont accepté de se soumettre à ses lois. En 1968 par exemple, l’entreprise de télécommunication Televisa nie le massacre de centaines d’étudiants par les forces de l’ordre. L’histoire se répète en 1988, avec l’occultation systématique des scandales des fraudes électorales.

Le néolibéralisme a entraîné une véritable décomposition de l’État et de la structure politique et sociale mexicaine. Il ne faut pas oublier que le néolibéralisme et la militarisation de la société sont deux phénomènes qui vont de pair, deux faces d’une même pièce. Pensez au Chili. D’après vous, le néolibéralisme a-t-il pu s’imposer pacifiquement ? Bien sûr que non, cela s’est fait par un coup d’État militaire, par une « stratégie du choc » comme le dirait Naomi Klein. La même chose est en train de se passer ici, au Mexique, le tout, avec l’appui des moyens de communication monopolistiques, véhicules et porte-paroles fondamentaux de cette dictature.

 

Pouvez-vous nous expliquer le développement du narcotrafic dans votre pays ? Quels sont les liens entre l’État mexicain et le narcotrafic ? La situation est-elle similaire à la Colombie, où les liens entre la politique et les grands producteurs de drogue sont désormais une évidence ?

Avant tout, il y a quelque chose qu’il faut clarifier. Quand on aborde le thème du narcotrafic, on se trouve dans une situation plutôt « floue ». Par exemple, le blanchiment d’argent sale : comment peut-on être sûr de son ampleur, tant que demeure le secret bancaire ? Suivre la piste du narcotrafic est difficile car il n’y a pas de données précises. On sait bien qu’il fonctionne comme une entreprise mais il est très difficile à détecter, et presque impossible d’en comprendre les mouvements et les mécanismes. C’est un monde de spéculation.

Que se passe-t-il dans cette relation narcotrafic-État ? C’est un sujet très intéressant. La question du trafic est complexe. Ce n’est pas uniquement la vente de marijuana ou de cocaïne, c’est également le trafic d’organes, d’armes, de femmes etc. Tous ces trafics impliquent le blanchiment d’argent, l’existence d’entreprises illicites etc. Déjà, dès les années 20-30 il y a avait des camions de marijuana qui partaient vers les USA…

Néanmoins, on peut identifier un moment de rupture : ce sont les années de la présidence de Vicente Fox entre 2000 et 2006. C’est sous sa présidence que Chapo Guzman (membre de l’un des plus grands cartels de la drogue du pays) s’enfuit de la prison de haute surveillance, dans laquelle il est prisonnier et ceci, dans des circonstances très obscures. Apparemment, selon l’avis d’experts, le gouvernement de Fox a déclaré la guerre à certains cartels, et a pactisé avec d’autres. Cela a généré beaucoup de méfiance au sein de certains cartels, car ils se sont rendus compte que l’État était en train de prendre une position stratégique au sein même de la guerre entre les cartels. Cela a rendu la situation encore plus tendue et a exacerbé la lutte de pouvoir au sein du monde narcotrafiquant. Le problème c’est qu’à partir de là, il y a eu une forte infiltration du narcotrafic au sein de la police. Une infiltration qui, peu à peu, est remontée jusqu’aux hautes sphères de l’État.

Cette situation larvaire explose sous le gouvernement de Felipe Calderon. À cause d’un soutien populaire très faible, Calderon décide de déclarer la guerre au narcotrafic. Par contre, ne pouvant pas compter sur la police à cause de la corruption généralisée, le président décide d’utiliser l’armée. Il est très intéressant à cet égard, de rappeler que quelques années auparavant, il y a eu, au sein de l’armée, le développement d’une élite fortement réactionnaire, entraînée, imaginez-vous, par le Mossad, la CIA et des assesseurs colombiens d’Alvaro Uribe. Ce groupe d’élite a été formé et mis en place pour lutter contre les cartels de la drogue, mais immédiatement, ils ont compris qu’il y avait moyen de gagner beaucoup plus d’argent… En formant leur propre cartel de la drogue ! C’est ainsi que ce groupe d’élite de l’armée s’est transformé en un véritable cartel. En fait, ce sont justement eux qui vont commencer à mener des actions d’une violence sans précédent, avec des décapitations, des pendaisons, et par une stratégie de terreur, exactement comme ce qui se passe en Colombie.

Il faut aussi rappeler que déjà en 1994 on parlait du « Plan Mexique-Panama », qui par la suite, a échoué et a été recyclé dans le « Plan Colombie ». Là, on a pu voir le rôle des USA qui visaient à mettre sur pied des plans stratégiques pour détruire toute forme de résistance dans les pays sous leur sphère d’influence, là même où l’expansion et l’accumulation des capitaux étaient remises en question par des mouvements progressistes, syndicalistes, indigènes etc. Auparavant, on utilisait l’armée, mais aujourd’hui, on a recours aux paramilitaires, à partir du moment où le fait d’utiliser l’armée équivaut à impliquer directement l’autorité publique. Au Mexique on est même arrivé à un stade supérieur, c’est-à-dire à l’utilisation du narcotrafic comme moyen de lutte réactionnaire.

Il ne faut pas perdre de vue le fait que le narcotrafic et la classe politique dominante ne sont pas deux entités antagonistes. Il y a quelques différents, c’est clair, car toutes ces oligarchies sont en conflit entre elles. Mais finalement ils représentent la même force, c’est-à-dire celle d’une élite dominante au pouvoir. Le narcotrafic est le bourreau du peuple, tout comme l’élite oligarchique capitaliste au pouvoir. Je pense que les cartels de la drogue font partie d’une stratégie de contre-insurrection. Grâce à eux, l’État possède un prétexte pour accroître la militarisation de la société. Finalement on peut dire que les cartels ne constituent pas une menace pour l’État, ils sont un instrument de l’État !

 

Quel est le rôle du para-militarisme au Mexique ? Comment s’est-il développé ?

Les paramilitaires jouaient déjà un rôle important dans les années 70, pour démanteler les mouvements de résistance. On parlait alors de « guerre sale » pour décrire ce qui se passait dans l’État de Guerrero, une région très pauvre qui a connu un développement important de groupes de guérilleros marxistes. En 1994, cette guerre sale connaît un essor considérable avec l’arrivée du mouvement zapatiste. On parle aussi de « guerre de faible intensité » (le même concept utilisé pour décrire les guerres anti-communistes dans les pays de l’Amérique centrale). Cette guerre consiste dans la formation d’escadrons paramilitaires formés par l’armée régulière pour semer le chaos entre les différentes ethnies et cultures existantes dans ces régions. Les médias ont par la suite « fini le boulot », en faisant passer ces guerres pour des guerres ethniques, et entre différents groupes politiques. Aujourd’hui, au sein même des cartels, la confusion règne. La même manipulation de masse s’est passée avec les 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa. Dans un premier temps en effet, les moyens de communication ont relayé l’information que les étudiants étaient liés à des groupes de délinquants. Le para-militarisme s’est ainsi avant tout, vu divisé, laissé intimider, et réprimer.

Il faut savoir aussi que l’État du Chiapas (où il y a eu le soulèvement du mouvement zapatiste EZLN) est très riche en ressources naturelles. Il y a également beaucoup de ressources hydriques, et minières. L’État, pour s’approprier ces terres, a recours au para-militarisme. Exactement comme en Colombie.

 

Mais alors peut-on affirmer qu’il y a un lien entre la montée du para-militarisme et du narcotrafic, et la mise en place autoritaire du modèle néolibéral ?

Oui bien sûr. Le para-militarisme a connu un décollage important justement à partir de la période où s’est mis en place le néolibéralisme. En ce sens, ce n’est pas une surprise que les deux pays, où le problème du para-militarisme/narcotrafic est le plus significatif soient le Mexique et la Colombie, les deux pays latino-américains où le modèle néolibéral a pu s’imposer (presque) sans résistance aucune, grâce à la présence d’une oligarchie capitaliste assujettie aux intérêts des USA. Le néolibéralisme en Amérique latine implique l’accaparement des terres par les multinationales, la destruction des droits sociaux, du tissu social, des droits des indigènes etc. Pour que cela soit soutenable, le néolibéralisme a besoin d’une force qui fait respecter le statut quo, et cette tâche a été confiée justement au paramilitaires...

 

Le Mexique possède d’énormes réserves de pétrole. L’ingérence des USA dans le pays, peut-elle aussi s’expliquer par la présence de cette ressource ?

En décembre 2013 le président Peña Nieto privatise la dernière grande entreprise pétrolière étatique. Cette privatisation correspond au modèle classique capitaliste et au développement de la mondialisation, là où les pays riches du centre, volent les ressources des pays pauvres de la périphérie. Cela perdure depuis des siècles, depuis le début de la colonisation au 16ème siècle. La privatisation du pétrole s’inscrit dans cette même logique de pillage des ressources des pays du sud, exercée autrefois par les colonialistes espagnols, et aujourd’hui, par les États-Unis.

Au Mexique, la lutte sera longue et compliquée. Mais le peuple n’est pas stupide. Cette situation ne pourra pas durer toujours.

Je vais terminer par une phrase du philosophe français Daniel Bensaïd : « Ah la révolution, soit elle arrive trop tôt, soit elle arrive trop tard, mais jamais à l’heure. »20

 

 

Le candidat de gauche élu à la présidentielle

89 millions de Mexicains votaient le 1er juillet 2018 pour élire le président de la République, mais aussi les députés, gouverneurs et maires. Pour la première fois, c’est un candidat de gauche qui a remporté la présidentielle. Andrès Manuel Lopez Obrador, appelé familièrement Amlo, a obtenu 53 % des voix.

Amlo bat le candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), parti du président sortant Enrique Pena Nieto, qui ne fait que 16 % des voix, et la coalition du Parti d’action nationale (PAN) et du Parti de la révolution démocratique (PRD), et ses 22 % de voix. Le PRI a été longtemps le parti unique de la bourgeoisie, de 1929 à 2000, avant de céder la place pendant deux mandats au PAN, autre parti bourgeois.

PRI et PAN sont aujourd’hui très discrédités et le PRD, issu du PRI, n’est pas mieux loti depuis l’assassinat de 43 étudiants à Ayala, dans le Guerrero. Les élus locaux membres du PRD avaient fait appel à la police et à un cartel local de la drogue pour faire disparaître ces étudiants qui les contestaient ; l’affaire a aussi discrédité le président du PRI, du fait de son inertie.

Ce discrédit a bénéficié à Amlo, même le patronat prenant des distances avec son parti naturel, le PRI. Contrairement aux précédents scrutins, la corruption et les achats de vote n’ont pas empêché l’élection de Lopez Obrador. Celui-ci a acquis une partie de son crédit comme maire de Mexico de 2000 à 2005 où il a mené une politique sociale appréciée sur l’éducation et la santé publique. Une femme de son parti, le Mouvement pour la renaissance nationale (Morena), Claude Sheinbaum, vennait aussi de chasser le PRD du siège de gouverneur de Mexico qu’il occupait depuis vingt ans.

Amlo a fait campagne contre la corruption, le crime organisé et les inégalités, des sujets brûlants dans un Mexique gangrené par la corruption des politiciens, des policiers et de l’armée. Les neuf cartels de la drogue qui dominent le pays sont intervenus à leur manière, éliminant physiquement 145 hommes politiques dont 48 candidats qui ne leur convenaient pas. Jamais une campagne électorale n’a été aussi meurtrière. Ce qu’on appelle « la guerre à la drogue », une guerre civile qui ne dit pas son nom, a tué quelque 300 000 personnes depuis douze ans et fait plus de 25 000 morts l’année d'avant. On dénombrait aussi 34 000 disparus. Cette « guerre » n’a pas empêché les cartels d’étendre leurs activités à des pans entiers de l’économie. Ils l’ont fait à leur manière par le vol d’hydrocarbures à la raffinerie Pemex ou celui de récoltes entières d’avocats, un produit phare de l’agriculture mexicaine.

Le succès de Lopez Obrador soulève de l’espoir. Mais il pourrait aussi devenir cause de désillusion. Rien ne dit qu’il pourra mener une politique sociale semblable à celle qu’il a menée à la mairie de Mexico. S’étant affiché catholique, il devrait s’appuyer sur l’Église, et sans doute s’opposer au droit à l’avortement. Il s’est dit « ni chaviste, ni trumpiste », mais cela n’éclaire pas vraiment la politique que mènera le nouveau président vis-à-vis des multinationales américaines, ni même des cartels de la drogue.

Les travailleurs qui espèrent un véritable changement devront donc compter d’abord sur leurs propres luttes. Beaucoup le font déjà. Dans le Guerrero, par exemple, des habitants ont mis sur pied leur propre police pour échapper aux exactions de la police officielle ; des paysans producteurs d’avocats se sont armés pour protéger leurs récoltes des vols des cartels.21

 

 

Le scandale silencieux de la dette extérieure et du modèle néolibéral

En 1914, en pleine révolution, quand Emiliano Zapata et Pancho Vila étaient à l’offensive, le Mexique suspendit complètement le paiement de sa dette extérieure. Le pays alors le plus endetté du continent remboursa seulement, entre 1914 et 1942, des sommes purement symboliques à seule fin de calmer la situation. Entre 1922 et 1942 (20 ans !), de longues négociations eurent lieu avec un consortium de créanciers dirigé par un des directeurs de la banque J.P. Morgan des États-Unis. Entre 1934 et 1940, le président Lázaro Cárdenas nationalisa sans indemnisation l’industrie pétrolière et les chemins de fer qui étaient aux mains d’entreprises étatsuniennes et britanniques, expropria et répartit sous formes de "biens communaux" (ejido) plus de 18 millions d’hectares de grandes latifundias de propriété na étrangère, réforma en profondeur l’éducation publique.

Cette politique radicale, anti-impérialiste et populaire provoqua naturellement des protestations chez les créanciers (en majorité, des capitalistes étatsuniens et des britanniques). Mais la ténacité du Mexique fut payante : en 1942, les créanciers renoncèrent à environ 80 % de la valeur des crédits (dans leur état de 1914, c’est-à-dire, sans prendre en compte les arriérés des intérêts) et acceptèrent de légères indemnisations pour les entreprises qui leur avaient été expropriées. D’autres pays comme le Brésil, la Bolivie et l’Équateur, suspendirent aussi totalement ou partiellement les paiements à partir de 1931. Dans le cas du Brésil, la suspension sélective des remboursements dura jusqu'en 1943, année où un accord permit de réduire la dette de 30 %. L’Équateur, de son côté, interrompit les paiements de 1931 jusqu’aux années ’50.

Dans les années ’30, au total, 14 pays suspendirent les paiement de manière prolongée. Parmi les grands débiteurs, seule l’Argentine remboursa sans interruption, après avoir fait la même chose durant la crise précédente, à la fin du 19e siècle. Si on compare les résultats économiques de l’Argentine dans la décennie de 1930 avec ceux des autres grands débiteurs (Mexique et Brésil), ils furent clairement pires.

Lors de la crise initiée en 1982 et toujours en cours vingt ans plus tard, la situation change profondément. Les gouvernements latino-américains, à l’exception de Cuba, adoptent en général une attitude de capitulation devant les créanciers. Depuis août 1982 et devant la suspension momentanée du remboursement de la dette mexicaine, les créanciers, avec la complicité et la lâcheté des gouvernements latino-américains, surent tirer profit de la situation.

Toutes les interruptions de paiement durèrent moins d’un an et jamais elles ne furent décidées de manière concertée par plusieurs pays. En conséquence, les créanciers privés purent réaliser de juteuses négociations et le FMI parvint à récupérer avec intérêt les sommes mises dans chaque cas à disposition des débiteurs pour qu’ils puissent honorer les engagements internationaux. Les remboursements continuèrent ou reprirent.

Plus important, les gouvernants et les classes dominantes d’Amérique latine acceptèrent les exigences des gouvernements impérialistes créanciers, en premier lieu celles de l’Administration des États-Unis, et ils appliquèrent des mesures économiques néolibérales qui débouchèrent sur une recolonisation de leurs pays. Les politiques appliquées au Mexique, en Argentine ou au Brésil sont déterminées dans les moindres détails à Washington au siège de la Banque mondiale, du FMI et de l’Administration des États-Unis. Joseph Stiglitz, ex premier vice président et économiste en chef de la Banque mondiale, prix Nobel d’économie 2001, le déclare clairement : "Aujourd’hui, si un pays est confronté à une crise, le FMI lui dit que, s’il veut plus d’argent, il doit faire telle chose (...). Il y a y compris une farce permanente qui consiste à ce que le pays rédige une lettre d’intention dans laquelle il détaille ce qu’il pense faire et il l’envoie au FMI ; mais c’est le FMI qui lui a dit auparavant ce qu’il doit écrire. Ils l’ont dictée. (...) Au FMI, il n’y a qu’un seul pays qui ait le droit de veto : le département du Trésor des États-Unis" (El Pais Semanal, 23 juin 2002).

Entre 1982 et 2000, la dette extérieure du Mexique a quasi triplé (passant de 57 milliards de dollars à 157 milliards) bien que le pays ait payé à ses créanciers 8 fois ce qu’il devait (selon la Banque mondiale, le Mexique a remboursé 478 milliards de dollars). Le pays rembourse en s’endettant. La dette extérieure devient éternelle. Le paiement de la dette extérieure mexicaine représente, comme pour les autres pays du Tiers Monde, un énorme transfert des revenus des salariés, des petits et moyens producteurs vers les capitalistes possédant des titres de la dette extérieure. Parmi les créanciers, on trouve des capitalistes mexicains qui possèdent une partie des créances grâce aux capitaux qu’ils ont placé sur les marchés financiers étrangers et qu’ils ont investi dans l’achat de titres de la dette publique externe de leur pays. Pendant que le peuple s’appauvrit, obligé qu’il est de se sacrifier pour payer la dette extérieure, les capitalistes mexicains s’enrichissent de manière inédite. Les 3 Mexicains les plus riches ont une fortune supérieure au revenu de plus de la moitié de la population.

Après la crise de 1994-1995, malgré les discours propagandistes des gouvernants mexicains, les transferts du Mexique à l’extérieur sont énormes, pires que dans les années 1982-1986. Selon les données communiquées par la Banque Mondiale, entre 1986 et 2000, le Mexique a reçu 140 milliards de dollars de prêts et il a remboursé 210 milliards. Cela signifie que le Mexique a transféré à ses créanciers 70 milliards de dollars de plus que ce qu’il a reçu.

Le remboursement de la dette publique extérieure se réalise au détriment des dépenses sociales (éducation, santé,...) et de l’investissement public (logement, infrastructure) : le gouvernement consacre 30 % du budget public au paiement de la dette extérieure. Dans la seule année 2001, le gouvernement a payé 29 milliards de dollars aux créanciers de la dette publique extérieure (Source : Gobierno, Primer informe de ejecución 2001, page 208).

Si nous ajoutons le coût de la dette publique interne, nous arrivons à des sommes astronomiques. En 2001, le coût financier de la dette publique interne et du Fobaproa-Ipab représente 131 milliards de pesos mexicains (quelque 14 milliards de dollars). Le total de la dette publique interne et extérieure atteint environ 150 milliards de dollars (moitié pour l’interne, moitié pour l’extérieure). En dollars, le coût de cette dette représente en 2001 environ 43 milliards de dollars : une terrible hémorragie de ressources vers les capitalistes créanciers nationaux et étrangers. Le trésor public consacre 2,5 fois plus d’argent au paiement de la dette qu’à l’éducation publique dans un pays où, selon le président de la Confédération Patronale de la République Mexicaine (Coparmex), Jorge Espina, il y a "32,5 millions de Mexicains analphabètes" (El Pais, 23 juin 2002). Un pays où, selon le même Jorge Espina, plus de la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté.

Le modèle néolibéral appliqué depuis 1982 par le président Miguel De La Madrid jusqu'au président actuel, implique de transférer progressivement les axes fondamentaux du développement économique, social et culturel de la nation au grand capital étranger (qu’il soit nord-américain ou européen) en complicité avec les capitalistes mexicains, ceux-ci maintenant un certain contrôle sur une partie de l’appareil productif. Ce modèle implique aussi une dégradation profonde des conditions de vie des salariés, des paysans et aussi des petits producteurs, du peuple en général. La vente des entreprises publiques implique une perte de souveraineté nationale et l’argent des privatisations est utilisé pour payer la dette publique interne et extérieure. En 2001, la banque Citigroup des États-Unis s’est emparée de Banamex et en 2002, la Banque Bilbao Viscaya a gagné le contrôle total de Bancomer. Il s’agit des deux plus grandes banques du pays.

Il faut rompre totalement avec le modèle néolibéral et briser la spirale infernale de la dette. Il n’y a rien d’inéluctable.

Les certitudes théoriques néolibérales qui se manifestent aujourd’hui ne valent pas plus que celles des libéraux ou conservateurs au pouvoir dans les années 1920 avant le krach financier. L’échec économique et le désastre social provoqués par les néolibéraux d’aujourd’hui pourraient déboucher sur de nouveaux grands changements politiques et sociaux. La mondialisation n’est pas un bulldozer qui aplatit tout sur son passage : les forces de résistance sont réelles et vivantes. La mondialisation est loin d’avoir réussi à produire un système économique cohérent : les contractions au sein de la Triade sont multiples (contradictions entre puissances impérialistes, contradiction entre entreprises, mécontentement social, crise de légitimité des régimes au pouvoir, criminalisation du comportement des grands acteurs économiques). De plus, les contradictions entre le Centre et la Périphérie se renforcent vu que la dynamique actuelle de la mondialisation est excluante. Les peuples de la Périphérie constituent plus de 85 % de la population mondiale : ceux qui croient qu’ils vont se laisser marginaliser sans réagir, se trompent lourdement. Finalement, au sein de la Périphérie, les autorités qui acceptent la voie néolibérale perdent progressivement des éléments de légitimité (par exemple, Fernando de la Rúa en Argentine défait par le peuple en décembre 2001 ; Alejandro Toledo obligé au Pérou de renoncer à certaines privatisations en juin 2002). En général, les classes dominantes de ces pays n’ont pas beaucoup de perspectives de progrès à offrir à la grande masse de la population. Alors que le Mexique avait progressé fortement au cours de la première moitié du XXème siècle, les 20 dernières années ont représenté une profonde régression dans de nombreux domaines. Le zapatisme a repris vigueur de manière éclatante le 1er janvier 1994 en faisant irruption sur la scène mexicaine nationale et internationale en remettant en cause la soumission du Mexique aux États-Unis dans le cadre du Traité de Libre Commerce. Il a représenté un énorme espoir pour les peuples indigènes d’Amérique latine et au-delà, il a constitué une référence pour toute une génération jeune au milieu des années 1990. Le zapatisme loin d’appartenir au passé peut offrir une source d’inspiration pour entreprendre les changements profonds dont le Mexique a besoin.

Plus généralement, face au manque de perspective d’amélioration du développement humain, il est temps pour des millions de personnes et des dizaines de milliers d’organisations en lutte, d’apprendre à vivre ensemble en reconnaissant la réelle complémentarité et interdépendance de leurs projets, d’organiser et d’affirmer la mondialisation des forces de (re)construction de notre devenir ensemble, de diffuser la narration solidaire de ce monde.

Oui, il est temps.22

 

 

Dette, néolibéralisme et classes sociales

Une des forces de l’argument du remboursement de la dette publique est l’apparente neutralité de la mesure. Rembourser la dette n’est qu’une question comptable dépourvue de tout agenda caché. « Il nous faut rembourser la dette car un État ne peut vivre au delà de ses moyens ». Imparable comme position. Pourtant, en creusant un peu, il est clair que l’analyse comptable permet d’occulter une vision en termes de classe, pourtant au cœur de la gestion de la dette telle qu’elle se fait depuis plusieurs décennies. Si l’utilisation de la dette comme moyen de domination n’est pas neuve, les années 70 et le ralentissement de l’économie dans les pays du premier monde vont voir l’argument du remboursement de la dette être utilisé par les grandes puissances, avec un double objectif rapidement atteint : la mainmise sur les territoires nouvellement indépendants (le tiers monde) et la restauration du pouvoir de classe dans les économies dites du premier monde. Cet élément marque en quelque sorte les débuts d’une époque qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui.

 

New-York, nous voici !

Si l’on évoque fréquemment la crise de la dette des pays du Sud au début des années 80, c’est pourtant à New York que va débuter un processus de dépossession des classes populaires via la dette. J’emprunte l’analyse qui suit à David Harvey. Dans son livre Brève histoire du néolibéralisme, il décrit un « putsch des institutions financières au détriment du gouvernement démocratiquement élu de New-York ». Dans les années 70, plusieurs éléments structurels (désindustrialisation, appauvrissement du centre-ville suite au développement des banlieues) entraînèrent la ville dans des difficultés financières. Résolues durant un temps par le déficit, ces difficultés s’aggravèrent en 1975 suite à la décision d’une banque d’affaire de refuser de couvrir la dette de la ville, provoquant de facto une sorte de défaut de paiement. Suite à ce défaut, l’administration du budget de la ville passa sous le contrôle de nouvelles institutions non élues, lesquelles visaient prioritairement le remboursement des créanciers. Débuta alors un refrain qui se généralisera rapidement aux quatre coins du monde : coupes budgétaires dans les services publics et sociaux, gel des salaires des fonctionnaires et affaiblissement des syndicats, notamment par l’obligation leur étant faite d’investir leur fond de pension en obligations de la ville. David Harvey donne une grande importance à cet événement « local » car selon lui, « la gestion de la crise budgétaire de New-York prépara la voie aux pratiques néolibérales, tant sur le plan national sous Reagan qu’au niveau international avec le FMI dans les années 1980 ». Et d’ajouter qu’elle posa les bases du principe suivant : « dans le cas d’un conflit opposant l’intégrité des institutions financières et les bénéfices des actionnaires au bien-être des citoyens, on (les pouvoirs publics) privilégierait les premiers ». Par conséquent, « le gouvernement avait pour rôle de créer un climat favorable aux affaires plutôt que de prendre en charge les besoins et le bien-être de la population en général ».

 

Étape suivante : le tiers monde

Après New-York, c’est le Mexique qui aura le triste privilège d’ouvrir le bal de l’austérité.

L’explosion des taux d’intérêt décidée unilatéralement par les États-Unis, appliquée conjointement à la chute des prix des produits d’exportation du pays vont conduire le gouvernement mexicain dans l’incapacité à honorer ses dettes. La méthode new-yorkaise va dès lors être appliquée par le FMI et la Banque mondiale. En plus des coupes budgétaires, ces derniers imposeront également des mesures structurelles telles que la réduction des barrières douanières, des privatisations massives et davantage de flexibilité du marché du travail|. Les conséquences seront doubles et augureront la nouvelle ère néolibérale : précarisation massive de la population mexicaine (entraînant une hausse de l’emploi informel, de la criminalité, de l’insécurité alimentaire, …) et enrichissement d’une « élite » étrangère (banques créancières, entreprises américaines) et nationale (24 milliardaires sont apparus suite aux différentes réformes imposées à l’économie mexicaine, dont Carlos Slim, un temps l’homme le plus riche de la planète). Les choses se dérouleront à peu près de la même façon pour une grande partie de l’Amérique du Sud, de l’Afrique et dans une moindre mesure de l’Asie. Pour bien des auteurs, dont David Harvey, il est clair que la crise de la dette fut à l’origine du virage néolibéral dans la plupart des pays du Sud. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la façon dont les choses se sont passées n’émanait pas du hasard mais était préparée de longue date, notamment par les disciples de Milton Friedman, lesquels ont peu à peu colonisé le FMI et la Banque mondiale. Naomi Klein résume : « confrontés aux chocs à répétition des années 80, les pays endettés n’avaient d’autre choix que de s’adresser à la Banque mondiale et au FMI. Ils se heurtaient alors au mur d’orthodoxie dressé par les Chicago Boys qui, en raison de leur formation, voyaient les catastrophes moins comme des problèmes à régler que comme de précieuses occasions qu’il fallait saisir au vol afin d’ouvrir de nouveaux territoires au libre-marché ». Bien que le Nord ne fût pas épargné par cette attaque, c’est suite à la crise de la dette grecque en 2010 que l’offensive de dépossession par les créanciers va être la plus brutale.

 

Une gestion de la dette au service du 1 %

Ce qu’il faut comprendre, et c’est ce qu’Harvey démontre de façon magistrale, c’est que le néolibéralisme n’est en réalité rien d’autre qu’une coquille idéologique dissimulant la réaffirmation d’un pouvoir de classe. Ainsi, « la principale réussite de la néolibéralisation réside dans la redistribution, et non dans la création, de richesses et de revenus ». Christian Vandermotten ne dit pas autre chose quand il écrit que « quelques soient les modalités de son apparition, le néolibéralisme se traduit par une réaffirmation du pouvoir économique des classes dominantes ». Par conséquent, plus qu’une idéologie, il faut considérer cette vague néolibérale avant tout comme un projet politique de renforcement de la domination en faveur des détenteurs de capitaux. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les multiples entorses faites à la théorie néolibérale, même parmi les plus fervents défenseurs de ce système. La gestion des crises de la dette est probablement le meilleur exemple. « En donnant toute autorité au FMI et à la Banque mondiale pour négocier les allègements de dette, les États néolibéraux en venaient à protéger les principales institutions financières mondiales de la menace d’un défaut. En réalité, le FMI couvre, du mieux qu’il peut, l’exposition aux risques et aux incertitudes sur les marchés financiers internationaux. Pratique difficile à justifier par rapport à la théorie néolibérale, puisque les investisseurs devraient en principe être responsables de leurs propres erreurs ». Joseph Stiglitz va dans le même sens. Prix Nobel d’économie et ancien économiste en chef à la Banque mondiale, il écrit : « dans l’économie de marché normale, si un prêteur consent un prêt qui tourne mal, il en subit les conséquences (…). Dans la réalité, à de multiples reprises, le FMI a fourni des fonds aux États pour tirer d’affaire les créanciers occidentaux ». Il résume les choses de façon limpide : « si l’on examine le FMI comme si son objectif était de servir les intérêts de la communauté financière, on trouve un sens à des actes qui, sans cela, paraîtraient contradictoires et intellectuellement incohérents ». Dans un registre similaire, les sauvetages bancaires suite à la crise de 2007-2008 aux États-Unis et en Europe dévoilent également des intérêts de classe : loin de l’idéal libéral de responsabilité des investisseurs, on assiste plutôt à un mécanisme de privatisation des bénéfices et de socialisation des pertes. Et tant pis pour le fameux aléa moral, pourtant invoqué pour justifier le remboursement de la dette par les pays du Sud.

Un autre point de discordance par rapport à la théorie est le choix des priorités budgétaires. À de rares exceptions près, on remarque que dans la plupart des pays soumis à l’austérité, le budget militaire n’est pas ou peu concerné par les coupes dans les dépenses publiques. Il en était déjà ainsi sous Reagan, qui malgré une rhétorique très antiétatique, a maintenu des budgets militaires faramineux, financés pour l’essentiel par le déficit. Comme le note Harvey, « bien qu’en désaccord avec la théorie néolibérale, l’augmentation des déficits fédéraux a fourni une justification commode au projet de démolition des programmes sociaux ». La double explication est sans doute d’une part l’existence et la puissance du complexe militaro industriel et ses liens avec l’administration américaine, et d’autre part un impérialisme toujours omniprésent de la puissance américaine vis-à-vis du reste du monde (Naomi Klein utilise l’expression capitalisme du désastre pour décrire le phénomène associant ces deux éléments). La gestion de la dette grecque conduit à une analyse semblable puisque le budget de l’armement du gouvernement, parmi un des plus élevés de l’Union Européenne, a été au début épargné des mesures d’austérité, au détriment des dépenses sociales, de santé et d’éducation. Le fait que la France et l’Allemagne soient deux des grands vendeurs d’armes à la Grèce n’y est sans doute pas étranger.

 

Crises et technocrates

Par ailleurs, la crise sert souvent de prétexte à l’imposition de mesures impopulaires. Naomi Klein a décrit ce phénomène sous le nom de stratégie du choc : en résumé, cela consiste à profiter du désarroi d’une population face à un événement brutal pour imposer des mesures qu’il serait difficile, voire impossible de faire passer en temps normal. De nouveau, la crise de la dette, dans le tiers monde ou en Europe, illustre parfaitement ce phénomène. « La menace que représentent les dettes publiques pour la stabilité bancaire est devenue à la fois un écran de fumée pour dissimuler les responsabilités des banques et un prétexte pour imposer des politiques antisociales afin d’assainir les finances publiques ». De plus, l’argument de la crise ou de l’insoutenabilité de la dette tend à évincer de plus en plus de processus démocratiques. En atteste « le goût des néolibéraux pour les institutions non démocratiques, qui n’ont de compte à rendre à personne ». Harvey résume l’imposture néolibérale : « de fortes interventions de l’État et un gouvernement des élites et des « experts », dans un monde qui n’est pas censé être interventionniste ». Cinq ans après avoir écrit ces lignes, la gestion de la crise grecque et européenne lui donne entièrement raison puisqu’ont été placés au pouvoir différents « techniciens » directement en provenance du monde de la finance. Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, est d’ailleurs un ex-dirigeant de Goldman Sachs. Ce qui est regrettable, c’est de voir l’inertie de la sphère politique par rapport à cela. Ainsi, la fameuse règle d’or, qui grave l’austérité dans le marbre et impose des choix budgétaires faisant fi des choix électoraux des populations, n’a pour ainsi dire pas rencontré de protestation de la part des gouvernements en place et de la plupart des partis traditionnels. Pourtant, il est clair que nous sommes face à un nouveau processus d’accaparement des richesses par une minorité. Il existe bel et bien une élite, financière, politique, entrepreneuriale, qui bénéficie des mesures néolibérales imposées la plupart du temps de façon non démocratique. Reconnaître cet état de fait doit nous conduire à dénoncer et à lutter contre la dette illégitime et les plans d’austérité.23

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mexique
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Mexique
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mexique
(4) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/mexique-la-crise-du-parti
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Mexique
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mexique
(7) Wikipédia ?
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Cristeros
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Mexique
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Manuel_%C3%81vila_Camacho
(11) http://www.lutte-ouvriere-mensuel.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/mexique-la-grande-migration
(12) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1670/dans-le-monde/article/2003/10/12/1629-mexique-les-electeurs-cassent-le-pri.html
(13) http://www.lutte-ouvriere-mensuel.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/mexique-la-grande-migration
(14) http://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/mexique-un-regime-en-etat-de
(15) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mexique
(16) http://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/mexique-un-regime-en-etat-de
(17) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mexique
(18) acques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2419/dans-le-monde/article/2014/12/10/35945-mexique-un-etat-mafieux.html
(19) Tarik Bouafia https://www.investigaction.net/fr/Le-Mexique-entre-glorifications-et/
(20) Tarik Bouafia https://www.investigaction.net/fr/Mexique-comment-en-est-on-arrive/
(21) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2018/07/04/mexique-le-candidat-de-gauche-elu-la-presidentielle_109208.html
(22) Eric Toussaint http://cadtm.org/Mexique-le-scandale-silencieux-de
(23) Renaud Duterme http://cadtm.org/Dette-neoliberalisme-et-classes