Le Pérou

 

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Premières civilisations

Les premiers vestiges de présence humaine au Pérou ont été découverts dans la grotte Pikimachay et dateraient pour les couches les plus anciennes de 19 000 avant notre ère. Les populations sont alors pour la plupart nomades, vivent de la chasse de camélidés et de la cueillette et s’abritent dans des grottes.

Durant la période archaïque tardive, les premiers villages et organisations sociales complexes apparaissent. Ils permettent l’apparition de la plus vieille ville du continent et l’une des plus anciennes du monde : Caral. La cité de Caral, un grand centre urbain doté de pyramides tronquées au sommet, appartenait à un ensemble de sites archéologiques qui aurait abrité la première civilisation américaine : Caral-Supe ou Norte Chico (entre 2627 et 2100 avant notre ère). Lors de fouilles, divers objets ont été exhumés, tels que des figurines anthropomorphiques en argile crue, des flûtes traversières taillées dans des os de pélican ou de condor, ou des cordelettes à nœuds (probablement des quipus).

Caractérisées par une nouvelle complexification de l’organisation sociale et des technologies, les cultures de la période dite de « horizon de formation » (2700-200 av. J.-C.) développèrent la céramique, le tissage, l’usage de l’or et du cuivre, et la construction de canaux d’irrigation et la culture en terrasse, facteurs déterminants pour l’accroissement du pouvoir étatique. Dans la culture de Chavín (~1800-300 av. J.-C.), la vie sociale, économique et rituelle s’organise autour des dieux féroces représentant les grands prédateurs locaux comme le jaguar, le serpent ou le caïman. Le centre cérémoniel, Chavin de Huantar, est un réseau complexe de galeries décorées par des immenses mégalithes ornés. Au plan iconographique, les divinités de la cosmogonie chavín seront présentes dans presque toutes les manifestations artistiques postérieures. Paracas (~800-200 av. J.-C.), une culture située sur une péninsule désertique portant le même nom, se distingue par ses textiles de grande valeur esthétique et scientifique.

L’effondrement de la culture Chavín ira de pair avec l’affirmation de pouvoirs régionaux, caractérisés par un relatif isolement local. Chaque région abrite alors de petites entités politiques qui adoptents leurs propres modèles de développement culturel, n’ouvrant leurs frontières qu’aux échanges commerciaux. À cette période appartiennent notamment la culture Nazca (~200 av. J.-C. - 600), la culture Huari (600-1000) et la culture Mochica (~100-700), l’une de plus importantes organisations politiques de l’ancien Pérou.

 

Empire Inca

La période impériale, aussi appelée Règne des belligérants, succède au déclin de la civilisation Huari, la dernière entité politique régionale. Divers États locaux qui tentent de dominer politiquement leurs voisins apparaissent. Parmi ces États, nous retrouvons la culture Chimú, la culture Chanca, la culture Chincha et enfin, la plus célèbre, la culture inca. Les origines des Incas se mêlent à la légende. Probablement, ils étaient une tribu guerrière quechua du sud de la sierra. Entre 1100 et 1300, ils se déplacent peu à peu vers le nord de la région jusqu’à la vallée fertile de Cuzco, occupée alors par des peuples aymaras. L’empire naissant se distinguait par sa condition d’État agraire, au sommet duquel se trouvait l’Inca.

 

Cependant, la véritable expansion des Incas commence en 1438, avec Pachacutec (1438-1471), qui entreprend de conquérir les terres voisines. Durant les 70 dernières années de cette période, le royaume de Cuzco forme un vaste empire qui s’étend sur toutes les Andes. Le génie de Pachacútec se manifesta avant tout dans la législation et l’administration qu’il établit dans l’Incanat. Il aboutit à accomplir l’unité d’un si vaste empire grâce à trois mesures principales. Il préserva l’unité géographique de l’empire en développant un gigantesque réseau de routes (le Qhapaq Ñan) ; puis il fit son unité linguistique en imposant le runa simi ou quechua comme langue officielle ; enfin, grâce à une organisation centrale absolue, il forma l’unité politique impériale. En même temps, il créa une élite capable de l’assister dans son œuvre : les curacas. Pour faciliter la transmission des ordres et le renseignement sur l’état de provinces, on établit un système de « chasquis » ou « coureurs messagers », qui parcouraient les chemins de l’Empire.

À la fin du XVe siècle, l’Inca Pachacutec transmet le pouvoir à son fils Tupac Yupanqui († 1493), qui étend l’Empire jusqu’à l’actuel territoire équatorien. Sous le règne de son fils, Huayna Capac († 1527), les frontières de l’Empire inca sont repoussées jusqu’à la frontière de l’actuelle Colombie. Une guerre de succession éclate entre les deux fils de Huayna Capac, Huascar et Atahualpa. Ce dernier est parvenu à battre les troupes de son frère, au moment où les conquistadores arrivent au Pérou.

 

Conquête et vice-royauté

Lorsque les troupes de Francisco Pizarro arrivèrent en 1531, l’Empire inca était déchiré par une guerre civile. Le 16 novembre 1532, durant la bataille de Cajamarca, Pizarro captura l'empereur Atahualpa et le fit exécuter. Il faudra cependant plus de quarante ans pour briser les dernières tentatives de résistance : le dernier Inca de Vilcabamba, Tupac Amaru, fut capturé et exécuté en 1572.

Les Espagnols instituèrent le système de l’encomienda : les Amérindiens devaient payer un tribut, dont une partie allait à Séville. Les encomenderos étaient chargés également de les christianiser. En tant que gouverneur du Pérou, Pizarro abusa de l'encomienda en accordant à ses soldats et compagnons un pouvoir quasi illimité sur les populations indigènes qui furent obligées à travailler sans rétribution dans des mines et des champs. Pizarro fut assassiné en 1541 par une faction menée par Diego de Almagro, surnommé el Mozo. En 1543, le roi Charles Quint pour réagir aux luttes intestines entre les conquistadores envoya Blasco Núñez Vela en tant que premier vice-roi. Il sera à son tour tué par Gonzalo Pizarro, le frère du premier Pizarro. Finalement, un nouveau vice-roi, Pedro de la Gasca parvint à restaurer l'ordre et exécuta Gonzalo Pizarro après sa capture. 39 vice-rois ont succédé à Núñez Vela et ont gouverné la vice-royauté entre 1544 et 1824.

Francisco de Toledo (1569-1581) fut celui qui organisa l'État colonial et fonda les « réductions » ou cités d'Indiens où ils furent regroupés. Au niveau local, les encomenderos étaient maintenant sous l'autorité des curacas. Une pyramide hiérarchique permit ainsi de contrôler toutes les villes et villages. Le recensement sous le dernier Quipucamayoc ou « maître du quipu » indiquait qu'il y avait 12 millions d'habitants dans l’Empire inca. Quarante-cinq années plus tard, le recensement du vice-roi Toledo, montrait qu'il en restait 1,1 million. Les villes Incas reçurent des noms catholiques et furent reconstruites selon le modèle espagnol. Elles comportaient une place centrale et une église ou cathédrale en face d'un bâtiment officiel. Quelques villes, telle Cuzco, gardèrent leurs fondations d'origine inca. Certains sites incas, tel Huánuco Viejo, furent abandonnés au profit de villes à plus basse altitude.

Après l'établissement de la vice-royauté, le Pérou devint l'une des premières sources de la richesse pour l'Espagne. La ville de Lima, fondée par Pizarro le 18 janvier 1535 sous le nom de Ciudad de los Reyes (« la Ville des Rois »), devint la capitale et une ville puissante qui avait sous sa juridiction toute l'Amérique du Sud à l'exception du Brésil dominé par les Portugais. Au XVIIe siècle, Lima abritait une université et était la principale place forte de l'Espagne sur le continent américain. Toutes les richesses coloniales passaient par Lima, puis par l'isthme de Panama avant d'arriver à Séville, en Espagne.

Au XVIIIe siècle, devant la difficulté de l'administration d'un territoire immense, seront réalisées des réformes dans la structure politique coloniale (« les réformes bourboniennes »). En 1717, la Vice-royauté de Grenade fut formée : elle regroupa la Colombie, l'Équateur, le Panama et le Venezuela. En 1776, une nouvelle vice-royauté vit le jour, la Vice-royauté du Río de la Plata : elle regroupait l'Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l'Uruguay.

 

Indépendance

Entre 1780 et 1781, la vice-royauté du Pérou connut la plus violente insurrection de son histoire. Dirigée par Túpac Amaru II, un cacique du Cuzco, l’insurrection était à l’origine une révolte fiscale, mais très vite se transforma en un mouvement qui revendiquait l’autonomie du territoire par rapport à la Couronne espagnole. Túpac Amaru arriva à réunir une armée de près de 50 000 hommes, composée majoritairement d’Amérindiens et de métis. Après quelques batailles, la révolte fut écrasée de manière extrêmement violente. Le 18 mai 1781, José Gabriel Túpac Amaru II fut écartelé et décapité à Cuzco, mais il devint pendant le XXe siècle une figure importante de la lutte pour l'indépendance et de la liberté.

Le processus d’indépendance prit définitivement son élan avec le soulèvement des propriétaires terriens d'origine espagnole. José de San Martín et Simón Bolívar étaient à la tête des troupes rebelles. Après avoir débarqué dans la baie de Paracas, San Martín s'empara de Lima et déclara, le 28 juillet 1821, l'indépendance du Pérou par rapport à l'Espagne.

L'émancipation devint effective en décembre 1824, lorsque le général Antonio José de Sucre battit les Espagnols dans la bataille d'Ayacucho le (9 décembre 1824). Après cette victoire, une scission sépara le pays en Haut-Pérou resté fidèle à Bolivar (maintenant, la Bolivie) et bas Pérou (le Pérou actuel). Comme le Chili, la Bolivie, le Mexique, ou la Grande-Colombie, le pays fait appel à la Bourse de Londres pour financer des sociétés minières : des centaines de techniciens anglais traversent l’océan, avec leur machine à vapeur, pour les moderniser.

Après la guerre Grande Colombie-Pérou (1828-1829), les conflits frontaliers entre le Pérou et l'Équateur débutèrent à partir des années 1830. Quatre guerres éclatèrent entre ces pays entre 1858 et 1995, guerre de 1858-1860 ; guerre de 1941-1942 ; la guerre du Paquisha en 1981 et la guerre du Cenepa en 1995.

Malgré la domination d'une oligarchie de propriétaires terriens, l'esclavage des noirs et le tribut des indiens furent abolis par le caudillo Ramón Castilla (1845-1851 et 1855-1862). Entre 1840 et 1879, le guano du Pérou, récolté par des compagnies privées ou publiques sur les côtes, généra d’énormes richesses car le pays bénéficia pendant cette période du monopole mondial de ce fertilisant. La vie politique fut alors une alternance de périodes démocratiques, de coups d'État et de dictatures.

L'Espagne n'abandonna pas complètement ses ambitions coloniales et fit encore de vaines tentatives comme lors de la guerre hispano-sud-américaine. Après la bataille de Callao, elle reconnut l’indépendance du pays en 1880, établit des relations diplomatiques et signa un traité de paix et d’amitié définitif la même année. La guerre contre l’Espagne marquait pour le Pérou la consolidation de son indépendance.

Entre 1879 et 1883, le Pérou mena aux côtés de la Bolivie la guerre du Pacifique. La guerre éclata lorsque le Chili envahit le port bolivien d’Antofagasta. La Bolivie déclara la guerre au Chili et le Pérou, par un traité réciproque de défense, entra à son tour dans le conflit. Malgré l'infériorité navale, le capitaine du navire Huascar, Miguel Grau, maintint sous pression la flotte chilienne pendant plusieurs mois. Le Huascar fut finalement pris par les Chiliens en octobre 1879.

Pendant la campagne terrestre, le Pérou connaîtra quelques victoires, mais en 1881 les troupes chiliennes entrèrent dans Lima. La guerre prit fin le 20 octobre 1883 par le traité d'Ancón et fit perdre au pays la région de Tarapacá1. La province de Tacna fut restituée au Pérou en 1929 ce qui mit fin aux différends entre le Chili et le Pérou. Les conflits territoriaux ne cessèrent pas pour autant, comme l'attestent les confrontations militaires de 1941 et de 1981.

 

XXe siècle

La constitution de 1933 réservait le droit de vote aux citoyens alphabétisés ; qui en 1960, ne représentaient encore que le tiers de la population adulte. Les Indiens, presque la moitié de la population, restaient des exclus et vivaient de façon misérable. L'Alliance populaire révolutionnaire américaine (Alianza Popular Revolucionaria Americana) fondée par Víctor Raúl Haya de la Torre en 1924 s'implanta rapidement et fut mise hors la loi en 1933 par Oscar R. Benavides qui resta président jusqu'en 1939.

Entre 1932 et 1933 a lieu la guerre avec la Colombie.

Une guerre opposa le Pérou et l'Équateur entre le 5 juillet et le 31 juillet 1941. Durant cette guerre, le Pérou occupa les provinces occidentales de Loja et el Oro. Les États-Unis, le Brésil, l'Argentine et le Chili proposèrent leur médiation et le protocole fut finalement signé. Néanmoins, un nouveau conflit éclatera entre les deux pays un demi-siècle plus tard.

Peu de temps après les États-Unis, le Pérou déclara la guerre à l'Allemagne, malgré les félicitations adressées par Hitler pour les quelques parachutistes péruviens ayant pris un port équatorien.

 

De la dictature militaire à la transition démocratique (1948-1990)

À nouveau autorisée en 1945, l'Alliance populaire révolutionnaire américaine soutint le président José Luis Bustamante y Rivero (1945-1948) qui, renversé par le coup d'État militaire du général Manuel A. Odría d'octobre 1948, augura du début d'une dictature.

Des élections sont pourtant organisées en 1962, et remportées par le candidat apriste Víctor Raúl Haya de la Torre. Toutefois, un coup d'État militaire dirigé par le général Ricardo Pérez Godoy empêcha le respect de la légalité. La junte organisa à nouveau des élections l'année suivante, qui furent remportées par Fernando Belaúnde Terry, fondateur de l'Acción Popular, qui demeura en place jusqu'en 1968.

Le 3 octobre 1968, le coup d’État réformiste mené par un groupe d’officiers dirigés par le général Juan Velasco Alvarado amène l'armée au pouvoir dans le but d’appliquer une doctrine de « progrès social et développement intégral », nationaliste et réformiste, influencé par les thèses de la CEPAL sur la dépendance et le sous-développement. Six jours après le golpe, Velasco procède à la nationalisation de l’International petroleum corporation (IPC), la société nord-américaine qui exploitait le pétrole péruvien, puis lance une réforme de l’appareil d’État, une réforme agraire mettant fin aux latifundios et exproprie de grands propriétaires étrangers. Le Pérou souhaite s’affranchir de toute dépendance et mène une politique extérieure clairement tiers-mondiste.

En 1980 Fernando Belaúnde Terry retrouvait le pouvoir en remportant l'élection présidentielle.

Alan García Pérez, candidat du parti Alliance populaire révolutionnaire américaine, lui succéda le 28 juillet 1985. C'était la première fois qu'un président démocratiquement élu remplaçait un autre président démocratiquement élu en 40 ans.2

Le gouvernement péruvien rejette alors les préconisations du Fonds monétaire international et limite le remboursement de la dette extérieure à 10 % des revenus d’exportations du pays. Cette décision en retarde le remboursement et vaut au Pérou d’être déclaré inéligible par le FMI en août 1986. La hausse des bas salaires, la baisse du taux d’inflation et la forte croissance de l’économie emportent dans un premier temps l’adhésion de la population et l'APRA gagne haut la main les élections municipales en novembre. Mais à partir de 1987, les déconvenues s’accumulent avec l’épuisement des ressources de l'État.

En juillet, le gouvernement annonce la nationalisation des secteurs de la banque et de l’assurance afin de garder sous contrôle l’inflation, mais cette tentative s’enlise à la suite de la saisie des tribunaux par les actionnaires dépossédés. Le pays entre en récession en 1988 malgré les tentatives de stabilisation.

Le Pérou souffre d’une inflation de 120 % en 1987, 1722 % en 1988, 2776 % en 1989, et qui atteint 7649 % en 1990. Entre juillet 1985 et juillet 1990, l’inflation cumulée atteint 2 200 200 % et les réserves sont négatives de 900 millions de dollars à la fin du mandat de Garcia.

L'autre problème qui déstabilise le gouvernement de García est l'activité terroriste qui a débuté sous le gouvernement précédent de Fernando Belaúnde Terry mais qui connaît son paroxysme de violence en 1986 et 1988, nourrie par les tensions sociales engendrées par les difficultés économiques. Le Sentier lumineux, un mouvement violent d’inspiration maoïste, a commencé par attaquer des villages de montagne puis les grandes villes, notamment des usines électriques, provoquant de nombreuses coupures d'électricité à Lima qui jusque là ne voyait qu'un conflit confiné aux Andes.

Le gouvernement García cherche sans succès une solution militaire au terrorisme, avec comme corollaire des violations des droits de l'homme. On peut citer le massacre d'Accomarca (es) en août 1985 où 47 paysans sont assassinés par l’armée péruvienne, le massacre de Cayara (es) en mai 1988 dans lequel 30 personnes environ sont tuées et des dizaines d’autres disparaissent. Il y également l’exécution sommaire de plus de 200 détenus lors de mutineries dans les prisons de Lurigancho, San Juan Bautista, (El Frontón) et Santa Bárbara en 1986 à Lima, pendant que se tient au même moment un congrès de l’Internationale socialiste. Le président Garcia a donné l'ordre d’attaquer mais il n'assumera pas les conséquences funestes de cette attaque.

Une enquête officielle estime à 1 600 le nombre des personnes disparues pendant la présidence de García.3

 

Le Sentier Lumineux

Le Sentier Lumineux – dont le nom complet est PCP-SL, pour Partido Comunista del Peru - Sendero Luminoso – a été fondé en 1970 par Abimael Guzmán, alors professeur de philosophie à l'université d'Ayacucho. Celui-ci prit en 1980 la tête de l'insurrection armée issue d'une dissidence du Parti communiste péruvien, sous le nom de camarade Gonzalo.

Le Sentier Lumineux a participé au conflit armé des années 1980 et 1990 au Pérou, qui a fait 70 000 victimes. L'organisation est placée sur la liste officielle des organisations terroristes du Canada, des États-Unis d'Amérique et de l'Union européenne.

Le mouvement a lancé sa « guerre populaire prolongée » par un acte symbolique en mai 1980 : à deux jours des élections générales, un commando brûla les urnes électorales de Chuschi, village isolé du département d'Ayacucho. Cette action a été sans conséquence, puisque les urnes ont pu être remplacées et le vote se tenir normalement. La guerre prend de l'ampleur tout au long des années 1980 et le Sentier Lumineux contrôle de vastes régions rurales du Pérou, en particulier dans les Andes et le piémont amazonien, et commence à s'implanter dans les villes, en particulier dans certains bidonvilles de Lima. Le gouvernement échoue dans un premier temps à combattre l'influence du mouvement.

Qu'ils soient imputés au Sentier Lumineux, à leurs « ennemis » du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru ou au gouvernement péruvien, les massacres présentent un bilan très lourd : plus de 26 000 morts, 4 000 disparus et 50 000 orphelins (chiffres fin 2002). Les chiffres de la commission Vérité et Réconciliation qui a siégé dès le milieu des années 1990 a relevé que 54 % des victimes étaient imputables au Sentier Lumineux et 46 % à l'armée péruvienne. Parmi eux, 80 % d'hommes ayant entre 20 et 49 ans pour 66 % d'entre eux. 56 % étaient des paysans andins, analphabètes à 68 % et de langue Quechua pour les trois quarts d'entre eux.

Dans cet État à forte tendance centraliste tout au long de son histoire, nombre de massacres survenus au cours de la guérilla ont revêtu l'aspect d'un conflit ethnique. De longue date, la société péruvienne a été marquée par une rupture (économique, culturelle, en termes de présence d'administrations et d'écoles) entre Lima, la capitale et sa zone côtière, et tout l'arrière-pays en altitude. À quoi s'ajoutent des phénomènes fort anciens de discriminations envers les peuples des montagnes. Tant la violence du Sentier Lumineux que celle des forces étatiques s'est abattue sur les populations andines, considérées comme "indios" (indiens) ou "serranos" (montagnards). Le fait que cette population ait été visée en quasi exclusivité explique, en partie, la faible médiatisation des massacres à l'époque.

Le gouvernement péruvien évalua le coût économique des activités terroristes du Sentier Lumineux à plus de 16 milliards de dollars, l'équivalent de la dette extérieure du pays, dont le service absorbait un tiers des devises provenant des exportations (pêche, cuivre, zinc, argent, notamment).4

 

La présidence d'Alberto Fujimori (1990-2001)

En 1990, les Péruviens étaient inquiets des attaques terroristes du Sentier lumineux et des scandales de corruption, les électeurs choisirent ainsi Alberto Fujimori, un mathématicien relativement peu connu reconverti dans la politique.5

Pour lutter contre l'inflation, Fujimori, rapidement rebaptisé « Fujishock », se lance dans une politique économique de grande envergure qui allait au-delà du slogan de son programme électoral (« Travail, technologie, honnêteté »). Sous la tutelle du FMI, il adopte ses mesures d'austérité très sévères6. Il parvint à faire passer l'inflation de 7 650 % en 1990 à 139 % en 1991.

En raison de l'opposition des députés à ces réformes, il dissout le 4 avril 1992 le Congrès et modifia la constitution. Il organisa ensuite des élections législatives, engagea des réformes économiques : privatisant de nombreuses entreprises publiques, initiant un climat d'investissement plus favorable et une meilleure gestion.

Sa présidence fut fortement marquée par l'autoritarisme, l'usage d'escadrons de la mort, la répression politique et la promulgation d'une législation antiterroriste. Il a aussi mis en place un programme de stérilisations contraintes des indigènes.7

Le 13 novembre 1992, une tentative militaire du coup d'État échoua à renverser Fujimori, qui se réfugia temporairement dans l'ambassade japonaise en pleine nuit.

En 1993, le Pérou adopta une nouvelle Constitution et revint sur la scène internationale.

Un deuxième opposant apparut en la personne de la femme de Fujimori après leur divorce en 1994. Susana Higuchi fut formellement démise de son titre de première dame, qui fut remis à leur fille aînée. Dès lors, Higuchi dénonça son ancien époux comme un tyran, maître d'un gouvernement corrompu.

En avril 1995, au moment de sa plus forte popularité, Fujimori fut réélu et son parti obtint la majorité absolue au Congrès. Il battit Javier Pérez de Cuéllar, ancien secrétaire général des Nations unies.

Quelques jours après son élection, un conflit territorial à la frontière avec l'Équateur éclata. Cédant une partie du territoire que réclamait l'Équateur, il signa un accord de paix avec l'Équateur, mettant fin à près de deux siècles de conflits territoriaux en Amazonie. Cet accord permit également d'obtenir des fonds internationaux pour développer la région frontalière.

Fujimori avança également dans les discussions avec le Chili au sujet du Traité d'Ancón.

Cependant, 1995 marqua le point de retournement dans la carrière de Fujimori. Après plusieurs années de stabilité économique et une disparition du terrorisme, les Péruviens commençaient à réclamer des droits, la liberté de presse et le retour à la démocratie. À cela s'ajoutaient les scandales autour de Fujimori et du chef des services de renseignement, Vladimiro Montesinos.

Malgré l'interdiction constitutionnelle de briguer un troisième mandat présidentiel, Fujimori se porta candidat pour les élections de 2000 en prétextant que le 1er mandat avait eu lieu sous l'ancienne Constitution.

Il fut déclaré vainqueur de l'élection du 28 mai, au milieu d'accusations d'irrégularités faites par ses opposants. Le leader de l'opposition, Alejandro Toledo, fit campagne pour l'annulation de cette élection. Dans ce contexte, remonta le scandale de corruption autour de Vladimiro Montesinos : une vidéo fut diffusée de Montesinos corrompant un député d'opposition. Fujimori fuit le pays en novembre 2000 pour le Japon. Le 17 novembre, le Congrès péruvien vote sa destitution.

Après un intérim assuré par Valentín Paniagua, Toledo est élu le 28 mai 2001 et installé président de la République le 28 juillet.

 

Bilan de la lutte contre la guérilla

Beaucoup de Péruviens créditent Fujimori d'avoir mis fin à l'extrême violence et au terrorisme d'une quinzaine d'années qu'avait amorcé et dirigé le groupe du Sentier lumineux (Sendero Luminoso), et d'avoir arrêté son chef, Abimaël Guzmán. Pour permettre cela, Fujimori a accordé à l'état-major militaire le pouvoir d'arrêter les personnes suspectés de terrorisme et de les juger en secret par des tribunaux militaires. Dans le même temps, Fujimori encourageait les habitants à former des patrouilles de campagne (rondas campesinas) pour veiller à la sécurité des zones rurales.

Fujimori est accusé d'avoir entraîné l'arrestation et l'assassinat de milliers de Péruviens innocents, d'avoir miné les droits et libertés individuels au profit de l'armée, sans compter les ruraux qui ont pu se trouver pris au milieu des opérations de l'armée et du Sentier lumineux. Néanmoins, dès 1992, les activités de la guérilla diminuèrent, et Fujimori se posa en vainqueur.

Le rapport final de la commission « Vérité et Réconciliation » du gouvernement péruvien, publié le 28 août 2003, soutient toujours la thèse de Fujimori voulant que la majorité des atrocités commises entre 1980 et 1995 sont bien le fait du Sentier lumineux ; toutefois, ce rapport affirme également que les forces armées péruviennes comme celles de l'actuel chef du parti nationaliste, Ollanta Humala, sont coupables de la destruction de villages et de meurtres de paysans suspectés d'aider les terroristes, comme le massacre de 47 habitants, enfants compris, de Cayara (département d'Ayacucho) en 1988, dont les officiers responsables furent condamnés à des peines de prison de trois mois à un an ; mais beaucoup ne furent pas condamnés, faute de preuve ou de témoin.

Les révélations en 2002 sur le dénouement de la prise d'otages de la résidence de l'ambassadeur du Japon à Lima parlent également contre le comportement de l'armée. Du 17 décembre 1996 au 22 avril 1997, les miliciens du groupe terroriste Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) prennent violemment en otage 800 personnes (diplomates, hauts-fonctionnaires et dignitaires du régime) dans la résidence de l'ambassadeur japonais. Malgré la libération de 72 otages, le gouvernement Fujimori a refusé en échange de délivrer des prisonniers membres du MRTA. L'armée prend la résidence d'assaut le 22 avril : deux soldats tués, un otage (le juge de la Cour suprême Carlos Ernesto Giusti), ainsi que les 14 preneurs d'otages.8

 

Un crime contre les femmes

Fujimori a régné sur le Pérou comme un véritable dictateur de 1990 à 2000, imposant au pays un véritable traitement de choc, à coups de privatisations à outrance. Ce qu'on a appelé le « Fujichoc » a plongé les plus pauvres dans une situation encore plus misérable. Des crimes de sang lui sont également reprochés, notamment l'assassinat de 24 civils, accusés sans aucune preuve d'être de la guérilla du Sentier Lumineux. Mais le plus grand crime de l'ancien président du Pérou est apparemment celui perpétré contre plus de 300 000 femmes et 25 000 hommes, à qui on a imposé une stérilisation forcée.

Ces femmes ont été victimes de ce que Fujimori appelait pompeusement un « programme de santé reproductive et de planification familiale », lancé en juillet 1995. « Les femmes péruviennes doivent être maîtresses de leur destin ! », avait lancé le président. Il prétendait que les familles à bas revenus et à faible niveau d'éducation allaient avoir accès aux différentes méthodes de planification familiale, dont bénéficiaient les classes à hauts revenus.

Le projet reçut le soutien de l'Agence américaine pour le développement international (USaid) et du Fonds de population des Nations Unies (UNFPA). La fondation Sasakawa, un des clans de la mafia japonaise, amenait également ses yens. Fondée par un ancien criminel de guerre japonais entretenant des liens avec la secte Moon, la CIA et l'ex-président américain Jimmy Carter, elle protège toujours l'ancien président péruvien.

L'Église péruvienne, opposée à tout contrôle des naissances, montra immédiatement son hostilité à ce programme. En revanche, les organisations féministes y virent au départ un moyen de résister aux pressions réactionnaires de l'Église.

Mais ce que Fujimori avait en tête était tout autre chose qu'une campagne pédagogique pour faire comprendre aux populations les plus pauvres et les moins cultivées qu'il vaut mieux avoir moins d'enfants. Il décida de réduire la pauvreté en... réduisant le nombre des pauvres par la stérilisation forcée. Deux mois après avoir lancé son prétendu programme de santé, il y ajoutait un volet « stérilisation » qui allait prendre un caractère particulièrement abject.

Un congrès à sa botte lui vota une loi qui mettait sur le même plan la stérilisation et les autres moyens contraceptifs. Mais pour rendre la stérilisation plus attractive, il fut décrété qu'elle serait gratuite. Tous les ministères, en tête celui de la « Promotion de la femme », mais aussi l'armée et la police se lancèrent dans cette campagne. On organisa des « festivals de ligatures des trompes » (sic) dans les campagnes et dans les bidonvilles, qui prirent la forme de véritables fêtes. La famille « moderne » (avec peu d'enfants) était exaltée. Pour toute information, les femmes, en majorité indiennes, recevaient un texte en espagnol, illisible pour elles (elles étaient souvent analphabètes ou ne comprenaient qu'un dialecte indien, le quechua). À la fin de la journée de fêtes, les médecins, embauchés pour des campagnes de trois mois et n'ayant pas le droit de faire jouer une quelconque clause de conscience, avaient abattu leur besogne.

Dans les dispensaires locaux, on appâtait les candidates à la stérilisation par des distributions de nourriture, ce qui était irrésistible dans un pays où la pauvreté touche 44 % des femmes, dont 18 % sont dans une situation de pauvreté extrême. Pendant plusieurs mois, la campagne se poursuivit. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne tarissait pas d'éloge sur les « succès » du Pérou dans le contrôle des naissances.

Ce n'est qu'au second trimestre de l'année 1996 que le scandale commença à transpirer. De 1996 à 1998, au plus fort de la campagne il n'y eut pas moins de 200 000 ligatures des trompes. Puis la campagne fut mise en sourdine. Au total, de 1996 à 2000, 331 600 femmes ont été stérilisées et 25 590 hommes vasectomisés.

Après le départ de Fujimori, le nouveau ministre de la Santé, proche de l'Église, a lancé une enquête. Son rapport admet que « ces personnes ont été captées, soit à force de pressions, de chantages et de menaces, soit en se voyant offrir des aliments, sans qu'elles aient été dûment informées, ce qui les a empêchées de prendre leur décision en réelle connaissance de cause ». Mais il a refusé de placer la liberté de choix des femmes au centre du problème. L'avortement reste interdit et passible de poursuites. C'est une situation à laquelle échappent les femmes des beaux quartiers qui peuvent payer un avortement réalisé par un médecin. En revanche, les femmes des quartiers pauvres prennent le risque d'en mourir.

Quant au fait que les principales victimes des campagnes de stérilisation furent des femmes pauvres et indiennes, cela n'intéressa pas les ministres. Non seulement, les femmes pauvres du Pérou n'ont pas accédé à un système de santé équivalent à celui des femmes riches, comme on leur avait promis, mais on leur reconnaît à peine le droit à la vie et le droit de la donner.9

 

Exil et condamnations

Après 5 ans d'exil volontaire au Japon, Fujimori a été arrêté au Chili peu de temps avant l’élection présidentielle de 2006. Il y est demeuré en attendant son extradition vers le Pérou. Le 21 septembre 2007, son extradition a finalement été acceptée par la cour suprême du Chili. Il a été condamné le mardi 7 avril 2009 à 25 ans de prison par le tribunal de Lima, notamment pour violation des droits de l'homme pendant sa présidence, peine confirmée par la Cour suprême du pays le 2 janvier 2010.10

 

 

Un nouveau président pour la même misère

Le 3 juin 2001, c'est finalement Alejandro Toledo, un économiste de 55 ans, qui avait été l'un des artisans de la chute de Fujimori, qui a quitté le pouvoir et même le pays en novembre 2000, qui l'a emporté avec près de cinq points d'avance (52 % contre 47,8 % selon les derniers résultats connus) sur son adversaire de ce deuxième tour de l'élection présidentielle, Alan Garcia, social-démocrate et ex-président de 1985 à 1990.

La fin du précédent régime avait été marquée par la mise au grand jour de la corruption de l'appareil d'État, qui s'était traduite par le truquage de la précédente élection présidentielle, quatorze mois auparavant. Cette fois-ci, Washington garantit au monde entier que ces élections se sont déroulées sans truquage. La comédie de l'élection présidentielle nord-américaine de l'an 2000 donne toute la valeur de cette « garantie ».

Et, bien entendu, la pourriture de l'appareil d'État n'est pas effacée d'un coup de baguette magique. Les Péruviens qui sont dans l'obligation d'aller voter n'avaient le choix qu'entre un ex-président qu'ils ont déjà vu à l'œuvre et un nouveau qui n'a encore rien fait, même si ses travers connus (consommation de drogue et fréquentation des prostituées) n'en faisait pas un candidat très attrayant.

Si on ajoute qu'il a poussé la démagogie jusqu'à se déguiser à l'occasion en Pachacutec, un chef inca qui parvint à conquérir et unifier en un empire le monde inca (au XVe siècle), on aura compris que cet aventurier politique, avide de pouvoir, n'a que mépris pour les travailleurs, les chômeurs et les paysans pauvres dont il lui fallait gagner les voix pour l'emporter.

Malheureusement il n'y avait aucun candidat pouvant exprimer les intérêts des masses pauvres de ce pays de 26 millions d'habitants, et Alejandro Toledo ne s'est pas privé de mettre en avant ses origines indiennes (il est le premier président péruvien d'origine indienne), et le fait qu'il a gagné sa vie autrefois comme cireur de chaussures et vendeur de journaux. Mais, depuis, des études d'économie l'ont conduit à un poste de consultant de la Banque mondiale, c'est-à-dire à devenir un acteur d'un des instruments dont l'impérialisme dispose pour imposer sa domination à un pays pauvre comme le Pérou.

Pour se faire élire, Toledo a multiplié les promesses à une population dont 60 % survit grâce à des « petits boulots ». Il a promis de créer 2,5 millions d'emplois, d'augmenter les salaires, de baisser les impôts, de développer l'agriculture et l'industrie, d'améliorer l'éducation, d'augmenter le nombre des fonctionnaires, d'attirer les investissements étrangers et de gérer sérieusement les caisses de l'État, alors qu'il sait d'ores et déjà qu'il n'en fera rien.

Quant à la lutte contre la corruption entamée par le président par intérim, Panaguia, elle a laissé en place cet appareil militaire réactionnaire qui, comme dans tant de pays pauvres, détient la réalité du pouvoir. L'arrestation de plusieurs généraux et de près de 200 hauts officiers poursuivis pour corruption n'y changera rien.

C'est sur la situation économique et sociale que la population attend des résultats, dans un pays où la récession a fait qu'un Péruvien sur deux est sans travail. Pour gouverner, il devait s'allier avec d'autres partis politiciens, car son propre parti, Pérou Possible, n'avait que 45 sièges sur les 120 du Parlement. Mais quelles que soient les combinaisons politiciennes éventuelles, les travailleurs et les pauvres du Pérou n'avaient rien à attendre ni de Toledo ni de ses semblables.11

 

 

Le massacre de Bagua

Le 5 juin 2009, journée mondiale de l’environnement, fut choisi par le président Alan García, successeur de Toledo, pour faire massacrer les Awajun et Wamis défenseurs de l’environnement.

 

Qui sont les peuples de l’Amazone ?

La population amazonienne péruvienne regroupe 11% de la population totale du pays. Elle vit dans la plus vaste des trois régions naturelles du Pérou, le nord, le centre et l’orient. Elle parle des dizaines de langues et est composée de dizaines d’ethnies.

Les habitants de la jungle sud-américaine sont les indigènes les moins contaminés par la « civilisation », dont l’étape actuelle est le capitalisme néolibéral. Ils n’ont jamais été entièrement soumis par l’empire inca et les envahisseurs espagnols ne sont jamais parvenus à les dominer. L’indigène rebelle des montagnes Juan Santos Atahualpa, pourchassé par les troupes espagnoles, s’est réfugié dans la jungle au sein de ces peuples. Les forces coloniales n’ont pas pu le vaincre.

À l’époque de l’exploitation du caoutchouc, le capitalisme a pénétré dans la jungle où il a réduit en esclavage et massacré des populations entières. C’est pour cette raison que plusieurs d’entre elles se maintiennent jusqu’à aujourd’hui dans un isolement volontaire, ne souhaitant aucun contact avec la « civilisation ».

Les frères de l’Amazonie ne partagent pas les préjugés d’ordre religieux du « monde civilisé » qui impose de recouvrir son corps de vêtements même s’il fait une chaleur intense. La forte offensive morale des missionnaires religieux et les lois qui défendent ces préjugés sont toutefois parvenues à ce que certains d’entre eux s’habillent, particulièrement lorsqu’ils doivent se rendre dans les villes.

Ces populations se sentent partie intégrante de la Terre Mère et la respectent profondément. Lorsqu’ils aménagent un espace de culture au milieu de la forêt, ils y sèment différentes plantes de contexture variée et aux cycles vitaux distincts, imitant ainsi la nature. Après un certain temps, ils rendent cet espace à la nature et recommencent ailleurs.

Ils partent à la chasse et à la cueillette, lorsque leur chemin croise quelque chose de digne à chasser, ils le font ; ils passent ensuite par les lieux de culture et s’ils voient que quelque chose est mûr, ils le récolte et après un certain temps ils reviennent chez eux. On ne peut affirmer avec exactitude s’ils se sont promenés ou s'ils ont travaillé. Même les indigènes des montagnes, plus contaminés par la « civilisation », les traitent de paresseux alors qu’en vérité ils ne veulent pas « progresser », mais seulement vivre bien.

Ils vivent dans des huttes collectives. Il n’y a ni partis, ni élections, leur organisation sociale et politique est la communauté. Ce n’est pas le chef qui dirige mais la collectivité, la communauté. Ils vivaient ainsi depuis des siècles avant l’invasion européenne et la constitution de l’État péruvien qui ne les a jamais consultés pour élaborer ses lois avec lesquelles ils les attaque aujourd’hui.

 

Les multinationales

Cette vie paisible attachée à la nature est aujourd’hui soumise à la voracité des entreprises multinationales pétrolières et minières. Pour ces entreprises, selon la religion néolibérale, peu importe d’agresser la nature ou d’exterminer l’espèce humaine, la seule chose qui compte est d’obtenir un maximum de profit en un minimum de temps.

Elles empoisonnent l’eau des rivières, abattent les arbres, tuent la jungle amazonienne, mère des natifs indigènes, ce qui revient également à les tuer. Il existe pourtant une abondante législation péruvienne censée les protéger, entre autres la Convention n°169 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) qui est une loi constitutionnelle puisqu’elle a été approuvée par l’assemblée nationale. Cette Convention stipule que toute mesure concernant les territoires indigènes doit être prise en consultation avec leurs communautés. Il existe également une multitude de loi de protection de l’environnement.

Mais la législation péruvienne ne représente qu’un maigre obstacle pour les grandes compagnies privées qui, au travers de la corruption, parviennent à mettre à leur service tout l’État péruvien ; le président de la république, la majorité parlementaire, le pouvoir judiciaire, les forces armées, la police, etc. Les médias sont également entre leurs mains.

Au service de ces entreprises, qui sont ses maîtres, le président Alan Garcia a élaboré toute une théorie pour se justifier. Il souligne que les petits paysans ou les communautés indigènes, puisqu’elles ne disposent pas de capitaux à investir, doivent laisser le champs libre aux grandes entreprises prédatrices de la nature comme le sont les compagnies d’extraction minières et d’hydrocarbures. Il faut également laisser le passage, sur tout le territoire national, à des entreprises agro-industrielles qui tuent les sols par la monoculture, les produits agro-chimiques et qui ne produisent que pour l’exportation et non pour le marché intérieur. Selon lui, telle est la politique à mener pour que le Pérou « progresse ».

Pour imposer cette politique, le pouvoir législatif a reçu l’autorisation de légiférer pour, selon ses termes, « nous adapter » au Traité de Libre Echange (TLE) avec les États-Unis. Cela s’est traduit par une flopée de décrets-lois contre les communautés indigènes de la montagne et de la jungle car elles sont un obstacle au pillage impérialiste. Ces décrets ouvrent la porte à la déprédation environnementale, à l’empoisonnement des rivières par les entreprises minières, à la stérilisation des sols par l’agro-industrie, au saccage de la jungle pour l’exploitation du pétrole, du gaz, du bois.

 

Réaction indigène

Naturellement, les indigènes de la montagne et de la jungle ont réagi contre cette attaque et ont initié une lutte courageuse. Ce sont les peuples indigènes de l’Amazonie, ceux qui ont le plus préservé l’amour de la nature, le collectivisme, l’esprit de « commander en obéissant » et du bien vivre qui sont à la tête du combat.

La plus grande organisation des indigènes d’Amazonie est l’Association Interethnique de la Jungle (AIDESEP) qui a ses bases dans le nord, le centre et le sud de l’Amazonie péruvienne. Elle exige l’abrogation des décrets-lois. Sa méthode de lutte consiste à bloquer les voies de transport terrestre et fluvial, très utilisés par les multinationales, l’occupation d’installations, la prise de terrains d’aviation. Lorsque la répression s'abat, ils se replient en dénonçant le fait que le gouvernement ne cherche pas le dialogue.

Au mois d’août 2008, ils ont obtenu une victoire en obligeant l'assemblée nationale à abroger deux décrets-lois. Cette année-ci, leur lutte a commencé le 9 avril. Le gouvernement a sans cesse manœuvré pour éviter la discussion, notamment pour empêcher que le parlement débatte du caractère non constitutionnel d’un décret-loi, pourtant qualifié comme tel par une commission parlementaire elle-même.

 

Le 5 juin

Le 5 juin, journée mondiale de l’environnement, est la date choisie par Alan Garcia pour décharger toute sa rage anti-écologique contre les défenseurs de l’Amazonie. Il a utilisé le corps spécial de la police pour la répression des mouvements sociaux, la DIROES.

Les frères Awajun et Wampis qui bloquaient la route près de l’agglomération de Bagua ont été brutalement attaqué. Le massacre a commencé à 5 heures du matin à partir d’hélicoptères et au sol. On ignore le nombre de morts. Les policiers ont empêché que l’on soigne les blessés prisonniers et la récupération des corps par leurs familles.

Les indigènes se sont défendus avec des lances et des flèches, puis en utilisant des armes à feu récupérés sur les agresseurs. Dans leur rage, ils ont pris une installation pétrolière dans laquelle ils ont capturé un groupe de policiers qu’ils ont emmené dans la jungle où plusieurs d’entre eux ont été tués.

La population métisse de l’agglomération de Bagua, indignée par le massacre, a pris d’assaut le local de l’APRA, le parti au pouvoir, ainsi que des officines publiques et ont brûlé des véhicules. La police a assassiné plusieurs habitants, dont des enfants.

Le gouvernement a aussitôt décrété l’état de siège. Soutenus par cette mesure, les policiers sont entrés sans mandats dans les maisons pour capturer des indigènes qui s’y étaient réfugiés. On ignore le nombre de prisonniers, d’autant plus que les avocats ne peuvent entrer en contact avec eux. Des dizaines de personnes ont été signalées « disparues ».

 

Solidarité

Heureusement, la solidarité s'est exprimée de manière émouvante. Au Pérou, un front de solidarité s’est organisé. Le 11 juin, les manifestations de protestation contre le massacre ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. À Lima, la capitale qui, traditionnellement, tourne le dos au reste du pays, 4000 personnes ont marché encadrés sous la menace de 2500 policiers, des affrontements se sont déroulés près du siège du parlement. À Arequipa, plus de 6000 personnes ont manifesté. Dans la région de La Joya, la route Panaméricaine a été bloquée. À Puno, il y a eu une grève et le siège du gouvernement a été attaqué. D’autres manifestations ont eu lieu à Piura, Chiclayo, Tarapoto, Pucallpa, Cusco, Moquegua et dans beaucoup d’autres villes.

À l’étranger, de nombreuses actions de protestation ont été organisées face aux ambassades péruviennes ; à New York, Los Angeles, Madrid, Barcelone, Paris, Grèce, Montréal, Costa Rica, Belgique…

Des protestations se sont élevées de la part de la chargée des affaires indigènes à l’ONU et de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme. Des journaux étrangers ont dénoncé sans ambiguïté le massacre, comme La Jornada au Mexique. La colère a d’autant plus augmenté suite aux déclarations du président Garcia à la presse européenne selon lesquelles les indigènes « ne sont pas des citoyens de première catégorie ».

La jungle a continué à se mobiliser, à Yurimaguas, dans la zone de Machiguenga del Cusco et dans d’autres régions. Les frères de l’Amazone et ceux qui les soutenaient exigeaient l’abrogation des décrets-lois 1090 et 1064 et d’autres encore, qui ouvraient la voie au saccage et au pillage de la jungle. Comme on l’a vu, malgré le fait qu’une commission parlementaire ait jugé certains d’entre eux comme non constitutionnels, le parlement a décidé de ne pas en débattre et s’est contenté de les « suspendre » comme le souhaitait l’APRA. Sept parlementaires qui ont protesté contre cette irrégularité ont été suspendus pour 120 jours, faisant en sorte que l’ultra-droite (l’APRA, Unité nationale et les fujimoristes) avaient dans leurs mains l’élection du prochain bureau du parlement.

Le gouvernement a créé une « table du dialogue » de laquelle fut exclue la principale organisation représentative des indigènes d’Amazonie, l’AIDESEP, dont le dirigeant a dû se réfugier à l’ambassade du Nicaragua puisque le gouvernement l’accusait des crimes du 5 juin ordonnés par Alan Garcia.

La lutte amazonienne continue, pour exiger le respect de la jungle. Les indigènes savent que ce qui est en jeu est leur propre survie. Nous espérons que la population mondiale prenne conscience du fait qu’ils luttent en défense de toute l’humanité car l’Amazonie et le poumon du monde.12

 

 

Le pouvoir soumis aux compagnies minières

Ollanta Humala, a succédé à Alan Garcia à la présidence du pays. Il s'est fait élire en 2011 sur un programme dénonçant, entre autres, la mainmise des multinationales sur les ressources minières du pays. Dans la campagne électorale, il avait bénéficié du fait que son adversaire, la fille de l'ex-président Fujimori, grand artisan de la privatisation sauvage, portait un nom vomi par les classes populaires. La presse avait voulu voir dans son succès électoral un renforcement de la « gauche » sud-américaine. N'était-il pas, comme Chavez, un nationaliste et un ancien militaire ?

Humala a commencé par choisir certains de ses ministres parmi ceux d'un de ses prédécesseurs. Il a donc conservé autour de lui des politiciens rodés à berner la population, ce qui augurait assez mal de sa volonté de changement. Quant à protéger les richesses minières de la convoitise des grandes sociétés d'exploitation impérialistes, il a carrément viré à 180°.

Pendant sa campagne, il avait dénoncé un projet d'extension de l'extraction de cuivre et d'or de la société Yanacocha, un consortium dominé par une multinationale américaine. Il avait dénoncé l'extraction d'or &ndash ; le Pérou est l'un des cinq grands producteurs de ce métal précieux &ndash ; et proposé de défendre l'eau, cette vraie richesse. Car ce projet d'exploitation allait se traduire par le déversement de dizaines de milliers de tonnes de scories de métal dans plusieurs lacs.

La société Yanacocha exploite déjà, depuis plus de vingt ans, une des plus grandes mines d'or d'Amérique latine près de la ville de Cajamarca, ce qui a déjà condamné plusieurs lacs. Sans compter qu'elle pompe neuf cents litres d'eau par seconde et contraint la ville à rationner l'eau potable de ses 280 000 habitants.

La population locale en rébellion contre cette compagnie espérait le soutien du président. Mais, cinq mois après son élection, Humala s'affichait partisan de l'eau et... de l'or. En réaction, la population a répondu par une grève générale et le président par l'état d'urgence, déployant l'armée. En juillet 2012, il a réaffirmé son soutien à la compagnie minière et les affrontements ont fait cinq morts et une trentaine de blessés dans la population.

En 2013, le président a vanté l'« industrie minière (...) levier du développement grâce à l'investissement privé ». En vingt ans, ces investissements ont été multipliés par quarante. Toutes les multinationales du secteur sont attirées par le boom des prix des métaux (or, argent, cuivre, étain, zinc et plomb). Cette industrie minière n'emploie qu'une faible partie de la population locale, en revanche elle détruit les ressources en terre et en eau, au point que, dans les régions rurales, le taux de pauvreté frise les 60 %.

Et, pour qu'il soit bien clair que le président est l'homme des compagnies minières, il a adapté la fiscalité à leurs exigences. Elles paient des impôts, non pas sur ce que leur rapportent les minerais sur le marché mondial, mais sur ce qu'il en coûte de les extraire, autant dire bien peu. Les compagnies ont aussi arraché l'obtention accélérée des permis miniers, la liquidation des protections des sites archéologiques et des délais réduits pour l'étude de l'impact écologique. Enfin, elles n'ont plus besoin de consulter les populations locales d'origine indienne.

Tout cela a exacerbé l'exploitation des ressources minières, mais aussi les réactions des travailleurs et des populations qui la subissent. Au point que la gendarmerie française vient maintenant former les policiers « au contrôle des multitudes » (sic !). La fameuse « école française », qui a déjà beaucoup fait dans le passé pour former à la torture et au meurtre les militaires des dictatures sud-américaines, continue donc de faire recette !

Quant à Ollanta Humala, c'est ce qu'on appelle ici un « président normal », c'est-à-dire un serviteur des possédants, nationaux ou étrangers, et un adversaire résolu des classes populaires.13

 

 

Élections générales de 2016

Les élections ont eu lieu le 10 avril 2016 (premier tour) et le 5 juin 2016 (second tour), pour désigner le président de la République et ses vice-présidents, ainsi que les 130 députés au Congrès de la République pour la période 2016-2021. Le président actuel Ollanta Humala ne pouvait pas présenter à sa propre succession à cause de la constitution péruvienne qui interdit d'effectuer deux mandats successifs. Keiko Fujimori, fille de l'ancien président Alberto Fujimori, ancienne parlementaire et candidate malheureuse à l'élection présidentielle de 2011, était la favorite des sondages. Elle est arrivée en tête au premier tour mais elle est fut battue au second tour par Pedro Pablo Kuczynski, élu président en obtenant environ 50 000 voix de plus que son adversaire.14

 

 

 

Le dictateur grâcié

En 2009, l’ex-président-dictateur de la République péruvienne, Alberto Fujimori, avait été condamné à vingt-cinq ans de prison pour crimes contre l’humanité. Huit ans après, l’actuel président du Pérou, Pedro Pablo Kuczynski, vient de le gracier. Cette décision a déclenché une série de manifestations, auxquelles participent notamment les parents des opposants que Fujimori a fait assassiner.

Fujimori avait présidé le Pérou de 1990 à 2000. En 1992, il avait organisé un coup d’État, en s’appuyant sur l’armée, s’octroyant les pleins pouvoirs en dissolvant la Chambre des députés et en muselant le pouvoir judiciaire. Ministres, juges et journalistes devaient désormais être dans ses bonnes grâces.

Sa répression de la sanglante guérilla du Sentier lumineux l’avait d’abord rendu populaire mais, en l’étendant aux opposants politiques et aux militants ouvriers, il s’était discrédité. Sa politique de stérilisation forcée de 300 000 femmes pauvres lui avait aliéné les soutiens populaires. Il était alors apparu clairement pour ce qu’il était : un dictateur sans scrupule et un corrupteur achetant des soutiens grâce aux fonds provenant du trafic de drogue.

En 2000, pour ne pas être rattrapé par la justice pour corruption, il annonça sa démission depuis le Japon, où il se terra jusqu’en 2005. Ce n’est qu’en 2007 qu’il fut ramené au Pérou et condamné en 2009. Dans le contexte d’une guerre civile qui dura de 1980 à 2000 et qui fit 70 000 morts, il avait mis sur pied un escadron de la mort chargé de traquer les guérilleros et d’assassiner des opposants. Il fut reconnu coupable de deux massacres qui firent l’un quinze morts, dont un enfant de 8 ans, et de l’enlèvement et du meurtre de huit étudiants et d’un universitaire, dont les corps furent retrouvés calcinés. Il fut également condamné pour l’enlèvement d’un journaliste et d’un chef d’entreprise. Ces crimes avaient eu lieu dans la seule période de 1991-1992, ce qui en laissait bien d’autres de côté. Officiellement, la grâce lui a été accordée pour des raisons d’humanité. Mais la véritable raison est probablement autre. L’actuel président, élu seulement un an auparavant, l’a été à la tête d’un front anti-Fujimori. La fille de ce dernier, Keiko, était candidate et avait cristallisé sur son nom le mécontentement populaire, ce qui a profité à Kuczynski. Mais à présent lui-même est à son tour discrédité.

Il vient d’échapper à une motion de censure le visant pour avoir bénéficié des largesses du groupe brésilien Odebrecht, qui a acheté des dizaines d’hommes politiques dans toute l’Amérique latine pour accéder à des marchés. Ce qui a sauvé Kuczynski, c’est l’abstention de dix députés partisans de Fujimori, parmi lesquels le fils du dictateur, Kenji. Trois jours après, le père était gracié. Au royaume de la corruption, le hasard fait bien les choses.15

 

 

Pedro Castillo devient président

Le 6 juin 2021, le candidat de centre-gauche, Pedro Castillo, a remporté l’élection présidentielle contre la candidate de la droite dure, Keiko Fujimori.

Castillo l’avait déjà largement emporté contre Fujimori au premier tour en avril. Le fait qu’il ait finalement réussi au deuxième tour est un vrai succès, tant la campagne de ses adversaires a été violente. Les possédants, la mafia de droite qui dominait le Parlement et les médias n’ont pas cessé de l’attaquer, annonçant que son élection conduirait à une situation aussi désastreuse qu’au Venezuela chaviste, ou en le traitant de communiste, ce qu’il n’est pas, ou de complice de la guérilla du Sentier lumineux.

En revanche, les mêmes avaient les yeux de Chimène pour la candidate Keiko Fujimori, qui tentait pour la troisième fois de s’emparer de la présidence. Digne fille de son père, elle était poursuivie pour corruption et risquait trente ans de prison, autant dire que cette troisième défaite électorale n’arrangeit pas ses affaires.

Mais il est facile de comprendre que, aux yeux des classes possédantes et de la classe politique péruvienne, cette candidate présentait toutes les garanties. Le Pérou est l’un des pays d’Amérique latine où la corruption est la plus ouverte. La droite parlementaire agit comme une mafia, n’hésitant pas à écarter du pouvoir un président qui prétendrait remettre de l’ordre dans la maison. C’est le sort qu’a connu le précédent président, et d’autres avant lui, et qui menaçait le nouvel élu.

Pedro Castillo n’est pas un politicien professionnel, mais un instituteur qui s’est fait connaître lors des luttes menées par les enseignants en 2017 et qui a une certaine influence dans des secteurs paysans. Il affirmait vouloir privilégier dans son mandat l’éducation et la santé. Sur ce dernier point, il avait fort à faire car, avec plus de 180 000 morts, le Pérou est le pays où la pandémie a fait le plus de ravages en proportion de sa population. Son modèle politique est Evo Morales, qui a su en Bolivie, par le truchement de l’État, imposer des nationalisations et une répartition des richesses moins injuste, qui avait fait nettement reculer l’illettrisme et la pauvreté. Castillo voulait faire de même, d’où la hargne de ses adversaires.

Castillo, loin d’être un communiste, est en fait ­ultra-conservateur sur bien des plans. Il s’opposait à l’élargissement du droit à l’avortement, entendait s’en prendre aux migrants, et notamment aux réfugiés venus du Venezuela, envisageait la création de milices armées contre la délinquance dans les quartiers et même de rompre avec une convention des droits de l’homme signée par le Pérou, afin de rétablir la peine de mort.16

 

 

Révolte contre l’envolée des prix

En mars 2021, confronté à une révolte populaire en riposte à l’inflation, le président Castillo a choisi la répression, décrété l’état d’urgence dans plusieurs régions et déployé l’armée.

Le Pérou est la sixième économie de l’Amérique latine. Riche en ressources minières (cuivre, argent, or, étain, molybdène) ou en hydrocarbures (gaz, pétrole) et en productions agricoles, elle se place dans le premier tiers des économies de la planète (50e place selon la Banque mondiale). Mais le Pérou n’est que 92e pour le PIB par habitant. La grande majorité des 33 millions d’habitants ne voient jamais la couleur de ces richesses. En outre, avec plus de 200 000 décès, c’est le pays du monde qui a été le plus frappé par le Covid. C’est aussi là que la récession a été la plus forte dans la région. Le taux de pauvreté, ramené de 59 à 20 % ces quinze dernières années, est remonté à 30 % en 2021.

C’est dans ce contexte que, le 28 mars, les syndicats des chauffeurs de poids lourds et de bus ont appelé à la grève contre l’augmentation du prix de l’essence, installant des barrages routiers sur la route centrale qui part de la capitale Lima vers le centre andin du pays.

Ce qui aurait pu rester un mouvement limité d’une corporation a été l’étincelle qui a permis à la colère populaire d’exploser. Des péages ont été incendiés et la population pauvre s’est jointe aux transporteurs ou a organisé ses propres barrages. Des grèves ont éclaté. Des manifestations ont été réprimées par la police, faisant au moins six morts.

La forte hausse des prix, au moins 10 % dans plusieurs régions, concernait le prix des engrais, mobilisant les paysans pauvres qui ne pouvaient plus en acheter. Tous les produits de première nécessité augmentaient aussi. Le sucre a grimpé en une semaine de 2,5 à 6 soles (0,6 à 1,5 euro) et celui du poulet de 12 à 16 soles (3 à 4 euros) en deux jours.

Castillo a dénoncé des manifestants « malintentionnés » et même « achetés » pour entretenir le désordre. Il a instauré le 5 avril l’état d’urgence et le couvre-feu dans la capitale et le port de Callao. Loin d’intimider les manifestants, cela a élargi la colère populaire, qui a déferlé dans Lima : des magasins ont été pillés et des bâtiments officiels attaqués, dont la Cour suprême de justice.

Castillo a dû remballer ses propos injurieux, suspendre les taxes sur certains carburants et les produits de consommation courante et promettre une augmentation du salaire minimum de 930 à 1 025 soles (253 euros) en mai. Ces mesures restaient cependant limitées car l’inflation s’aggravait et la majorité des travailleurs travaillaient au noir, donc hors de toute législation du travail. Si l’état d’urgence a été levé dans la capitale, il était maintenu sur les principaux axes routiers. L’armée restait déployée, le droit de réunion suspendu et les arrestations arbitraires continuaient.

En juillet 2021, la victoire de Castillo contre la droite dure représentée par Keito Fujimori, avait soulevé l’enthousiasme des classes populaires. Le candidat avait promis notamment d’arracher les mines aux compagnies étrangères, de changer la Constitution de Fujimori et de moderniser l’éducation. Mais, dès le deuxième tour de la présidentielle, il renonçait à changer la Constitution et le changement n’est pas venu. Une fois élu, Castillo a été contrecarré par l’opposition déterminée des milieux patronaux et de la droite, un sport auquel le Parlement péruvien est aguerri. Composé de politiciens corrompus, il sait mettre la pression sur les présidents successifs, même très modérés, pour écarter ceux qui ne sont pas à son goût. Et, comme pour ses prédécesseurs, ces parlementaires ont mis en avant des affaires de corruption, insignifiantes, pour exiger la destitution de Castillo. L’arrivée d’un simple enseignant soutenu par des paysans pauvres a déclenché en outre une bronca de l’extrême droite raciste, forte au Congrès, qui voit en lui le « communiste » qu’il n’est pas.

Face à cela, Castillo s’est bien gardé de faire appel à la mobilisation populaire, et a tenté de se préserver en multipliant les concessions. Il n’a cessé de remanier son gouvernement pour tenter, sans succès, d’amadouer ses opposants, y faisant entrer des personnalités de plus en plus à droite, comme Ricardo Belmont, patron de télévision, xénophobe, homophobe, antivax et admirateur de Trump, devenu conseiller de la présidence.

Parmi les manifestants, nombreux étaient les enseignants qui avaient compris qu’aucune promesse éducative ne serait tenue. Et, avec l’envolée de l’inflation, de plus en plus de pauvres de ce « pays riche » réalisaient qu’ils n’avaient pas un allié à la tête de l’État mais un adversaire au service des capitalistes nationaux et de l’impérialisme, comme tous les présidents avant lui. L’élection n’a rien changé, mais la voie de la lutte était ouverte.17

 

 

Pedro Castillo destitué

Destitué le 7 décembre 2022, l’ex-président du Pérou, Pedro Castillo, n’est pas le premier à être victime des manœuvres d’une droite parlementaire corrompue. Depuis 2018, quatre présidents avant lui ont subi le même sort.

La vice-présidente, Dina Boluarte, qui succédait à Castillo était la sixième en quatre ans à exercer la présidence du Pérou, et la première femme à exercer cette fonction… mais pour combien de temps ?

Dans ce pays où un tiers de la population survit dans la pauvreté tandis que les multinationales pillent les riches ressources en matières premières, les élections législatives ont lieu avant la présidentielle. Les élus, en majorité de droite et d’extrême droite, ont l’habitude de bloquer les plus petits signes de réformes qui menaceraient leur position et celle de ceux qu’ils servent, riches possédants locaux ou étrangers.

La Constitution de 1993 permet la destitution du chef de l’État pour « incapacité morale ou physique permanente », une formule assez vague pour permettre de l’écarter s’il déplaît au Congrès. Il suffit alors de réunir 87 votes sur 130. Le président, lui, ne peut dissoudre le Congrès que si les députés refusent deux fois la confiance au gouvernement.

Arrivé en tête du premier tour de la présidentielle de 2021, cet enseignant a été dirigeant en 2017 d’une importante grève de l’éducation. Influent dans des régions rurales et proche d’un parti qui se dit marxiste-léniniste, Castillo a sur des sujets comme l’avortement les convictions d’un catholique conservateur. Il s’est retrouvé au deuxième tour face à la fille de Fujimori, un président déchu notamment à cause de sa barbarie contre les populations indiennes et pour avoir livré les richesses du pays aux multinationales. C’est face à cet adversaire au patronyme épouvantail que Castillo a remporté l’élection.

Les promesses de Castillo comportaient l’abandon de la Constitution de ­Fujimori, la réforme agraire, des budgets pour l’éducation et la santé, le Pérou ayant été très marqué par la pandémie, une révision des contrats des compagnies minières pour retenir dans le pays 70 % des richesses. Ce n’était que des promesses mais les milieux conservateurs entendaient tout empêcher.

N’appartenant pas au sérail, ce fils de petits paysans, métis à demi-indien, a donc été d’emblée la bête noire d’une classe politique cor­rompue et raciste, et de conservateurs qui avaient le soutien de l’armée et des dirigeants ­patronaux. Pas moins de cinq gouvernements se sont ­succédé, impuissants face aux manœuvres d’un ­Parlement ultra-­conservateur.

Après plusieurs tentatives pour le destituer, la troisième, le 2 décembre, a été la bonne. Tentant le tout pour le tout, Castillo a annoncé le 7 décembre la dissolution du Congrès, un gouvernement d’urgence, des élections anticipées et le lancement d’une Assemblée constituante. ­Lâché par son gouvernement, il a été destitué par 101 membres du Congrès pour tentative d’« auto-coup d’État ».

Les États-Unis ont salué aussitôt « les institutions péruviennes et les autorités civiles pour avoir garanti la stabilité démocratique » et l’Union ­européenne a suivi. Castillo a été incarcéré pour « rébellion et conspiration ». Il demandait l’asile au Mexique tandis que des manifestants réclament sa libération.

Castillo rejoint ainsi une liste de dirigeants de l’Amérique latine qui ont été démis, comme par exemple l’ex-président bolivien Evo Morales, lui-même renversé en 2019 par des manœuvres semblables. L’impérialisme et les possédants qui sont ses alliés dans les différents pays d’Amérique latine ne tolèrent guère les dirigeants affichant des velléités de réforme un peu favorables à la population pauvre. À cette véritable guerre, celle-ci devra un jour ou l’autre répondre avec ses propres moyens, en faisant la guerre aux classes dirigeantes et à l’impérialisme.18

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9rou
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_P%C3%A9rou
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Garc%C3%ADa
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Sentier_lumineux
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_P%C3%A9rou
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alberto_Fujimori
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_P%C3%A9rou
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alberto_Fujimori
(9) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1906/dans-le-monde/article/2005/02/09/10206-perou-un-crime-contre-les-femmes.html
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alberto_Fujimori
(11) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1717/dans-le-monde/article/2003/10/12/3105-perou-un-nouveau-president-pour-la-meme-misere.html
(12) Hugo Blanco http://www.npa2009.org/content/p%C3%A9rou-les-indig%C3%A8nes-font-plier-le-gouvernement-et-les-multinationales-par-hugo-blanco
(13) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=2381&id=44
(14) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_g%C3%A9n%C3%A9rales_p%C3%A9ruviennes_de_2016
(15) J.F. https://journal.lutte-ouvriere.org/2018/01/03/perou-le-dictateur-gracie_101592.html
(16) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/06/09/perou-pedro-castillo-vers-la-presidence_160894.html
(17) Antoine Ferrer https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/04/20/perou-revolte-contre-lenvolee-des-prix_280065.html
(18) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/12/14/perou-pedro-castillo-destitue_452668.html